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St John Paul II's 1st Apostolic Visit to France

30th May - 2nd June 1980

Pape St Jean Paul II was a pilgrim to France for the first time in 1980 on his sixth apostolic journey, during which he visited Paris and Lisieux.

Pope St John Paul II's itinerary included the following:
Friday 30th May - Arrival in Paris, Mass in the Cathedral of Notre Dame, Radio Message, meeting with priests & greeting to the Mayor of Paris.
Feast of the Visitation, 31st May - meeting with representatives of other Christian Confessions, talk with the faithful
in the Chapel of the Miraculous Medal and with the Religious sisters in the Rue du Bac, meeting with the Polish Community of Paris and with members of the Muslim Community, celebration of Mass for workers in the Basilica of Saint Denis, meeting with Movements of the Laity and with Young Christian Workers (JOC) and Catholic Action.
Sunday 1st June - visit to the Institut Catholique, celebration of Mass in Le Bourget, recital of Angelus, meeting with the Jewish Community, with French Bishops, with seminarians, Message to the French youth, meeting with young people in Parc des Princes, visit to the Sacré Cœur, Montmartre.
2nd June - speech to the members of the International Catholic Organizations, to UNESCO, final words in the Chapel of the Military School and at the departure from Paris, homily at Mass in Lisieux, meeting with the Sisters of Lisieux Carmel, with the Presidency of the Major Superiors and the Permanent Committee of Religious of the Carmel of Lisieux, and finally at his departure from France.

Arrivée du Pape St Jean Paul II à Paris
vendredi 30 mai 1980 - also in German, Italian, Portuguese & Spanish

"Monsieur le Président,
Je suis particulièrement touché des paroles que vous venez de m’adresser, dès mon arrivée sur le sol de France. Je vous en remercie vivement. Vous l’avez fait en votre nom personnel, vous l’avez fait au nom du Peuple français auquel, en votre personne, je voudrais adresser mon premier message.

1. Loué soit Jésus-Christ! Oui, c’est bien ainsi, par ces mots emplis de ferveur et d’action de grâce, que j’ai voulu, dès le soir de mon élection comme Évêque de Rome et Pasteur universel, inaugurer mon ministère de prédication de l’Évangile. Ce salut, je l’ai porté en premier à mes diocésains des bords du Tibre, qui venaient de m’être confiés pour les guider selon les desseins de la divine Providence. Je l’ai porté ensuite à d’autres peuples, à d’autres Églises locales, avec tout le contenu d’estime, de sollicitude pastorale, d’espérance aussi dont il est chargé.

Ce même salut, je viens le porter maintenant à la France, avec tout mon cœur, avec toute mon affection, en lui disant: je suis profondément heureux de te visiter en ces jours, et de te montrer mon désir de te servir en chacun de tes Enfants. Le message que je veux te livrer est un message de paix, de confiance, d’amour et de foi. De foi en Dieu, bien sûr, mais également, si je puis m’exprimer ainsi, de foi en l’homme, de foi dans les merveilleuses possibilités qui lui ont été données, afin qu’il en use avec sagesse et dans le souci du bien commun, pour la gloire du Créateur.

A tous les Fils et à toutes les Filles de cette grande Nation, à tous le Pape offre ses vœux les plus cordiaux, au nom du Seigneur. La France symbolise pour le monde un pays à l’histoire très ancienne, très dense aussi. Un pays au patrimoine artistique et culturel incomparable, dont le rayonnement n’est plus à décrire. Combien de peuples ont bénéficié du génie français, qui a marqué leurs propres racines, et constitue encore pour eux un motif de fierté en même temps, on peut l’affirmer, qu’une sorte de référence!

Le rôle de la France se poursuit dans la communauté internationale, au niveau qui est le sien, mais avec un esprit d’ouverture et un souci d’apporter une contribution à la fois aux principaux problèmes internationaux, et aux situations de contrées moins favorisées. Au cours de mes précédents voyages, j’ai pu constater la place qu’elle tient sous d’autres cieux. Mais plus qu’à l’ampleur des moyens mis en œuvre, forcément limités, c’est à son Peuple qu’elle doit sa place, à des hommes et à des femmes héritiers de sa civilisation.

2. Ce sont ces hommes et ces femmes, l’âme de la France, que je rencontrerai en ces jours.

Comment ne pas être touché de l’accueil que vous me réservez ici, dans votre capitale? Beaucoup d’entre vous m’ont écrit avant cette visite, et vous êtes très nombreux ce soir à me souhaiter la bienvenue. Je ne puis malheureusement remercier chacun en particulier, ni serrer toutes les mains que vous aimerez me tendre. Mais devant vous, aux représentants de la souveraineté nationale, je voudrais témoigner ma vive gratitude.

Monsieur le Président, vous que vos compatriotes ont désigné pour assumer la plus haute responsabilité de l’État, daignez par conséquent accepter l’hommage reconnaissant que j’adresse au Peuple français tout entier. J’ajouterai des sentiments de satisfaction pour la disponibilité extrême dont on fait preuve personnellement Votre Excellence, et aussi Monsieur le Premier Ministre et le Gouvernement, dès que leur fut connu mon projet.

De ce voyage, vous avez d’emblée compris la nature propre: un voyage pastoral avant tout, pour visiter et encourager les catholiques de France; un voyage qui veut également traduire mon estime et mon amitié pour l’ensemble de la population, et je pense ici en particulier aux membres des autres confessions chrétiennes, de la communauté judaïque et de la religion islamique. Mon désir était que ce voyage pût s’accomplir dans la simplicité et la dignité, en ménageant aussi, chaque fois que possible, des contacts et des rencontres. Vous avez prêté tout votre concours à la réalisation du programme, et j’y suis d’autant plus sensible qu’il fallait une préparation minutieuse. Je pense enfin aux personnes auxquelles ces événements occasionnent un surcroît de travail. Tout cela fait partie de l’hospitalité, unè vertu dont la France peut s’honorer à juste titre. Vraiment, j’exprime à tous un cordial merci.

3. Je vous salue très spécialement, chers catholiques de France, mes Frères et mes Sœurs dans le Christ, mes amis. Vous m’avez invité à constater, quinze cents ans ou presque après le baptême de votre Nation, que la foi y est toujours vivante, jeune, dynamique, que la générosité ne manque pas chez vous. Elle se traduit même par un bouillonnement d’initiatives, de recherches, de réflexions. Il vous faut en effet affronter des problèmes souvent nouveaux, ou tout au moins des problématiques nouvelles. Le contexte dans lequel vous vivez évolue rapidement, en fonction de mutations culturelles et sociales qui ne sont pas sans influer progressivement sur les mœurs, sur les mentalités.

C’est une multitude d’interrogations qui se posent à vous. Que faire? Comment répondre aux besoins fondamentaux de l’homme contemporain, qui révèlent finalement un immense besoin de Dieu?

En union avec vos évêques, et en particulier avec le cher Cardinal archevêque de Paris et le Président de la Conférence épiscopale française, je suis venu vous encourager dans la voie de l’Évangile, une voie étroite certes, mais la voie royale, sûre, éprouvée par des générations de chrétiens, enseignée par les saints et les bienheureux dont s’honore votre patrie, la voie sur laquelle, tout comme vous, vos frères dans l’Église universelle s’efforcent de cheminer.

Cette voie ne passe pas par la résignation, les renoncements ou les abandons. Elle ne se résout pas à l’affadissement du sens moral, et elle souhaiterait que la loi civile elle-même aide à élever l’homme. Elle ne cherche pas à s’enterrer, à demeurer inaperçue, mais elle requiert au contraire l’audace joyeuse des Apôtres. Elle bannit donc la pusillanimité, tout en se montrant parfaitement respectueuse à l’égard de ceux qui ne partagent pas le même idéal. Si l’Église revendique en effet pour elles-mêmes la liberté religieuse, et si elle a de multiples raisons de se féliciter d’en jouir en France, il est normal qu’elle respecte aussi les convictions des autres. Elle demande, pour sa part, qu’on lui permette de vivre, de témoigner publiquement et de s’adresser aux consciences.

“Reconnais, ô chrétien, ta dignité”, disait le grand Pape saint Léon. Et moi, son indigne successeur, je vous dis à vous, mes Frères et Sœurs catholiques de France: Reconnaissez votre dignité! Soyez fiers de votre foi, du don de l’Esprit que le Père vous a fait! Je viens parmi vous comme un pauvre, avec la seule richesse de la foi, pèlerin de l’Évangile. Donnez à l’Église et au monde l’exemple de votre fidélité sans faille et de votre zèle missionnaire. Ma visite chez vous veut être, en même temps qu’un témoignage de solidarité à l’égard de vos pasteurs, un appel à un élan nouveau devant les tâches nombreuses qui s’offrent à vous.

Je sens que, dans le fond de vos cœurs, vous entendrez cette exhortation. Je l’adresse, dès mon arrivée sur le sol de la France, à tous ceux qui m’écoutent, et j’aurai ensuite l’occasion de la reprendre ces jours-ci en m’entretenant avec les évêques, les prêtres, les religieux et les religieuses, les laïcs engagés dans l’apostolat, en rencontrant le monde du travail et celui des jeunes, les hommes de pensée et de science. Un moment tout à fait spécial sera réservé à l’UNESCO, qui a son siège dans votre capitale: il m’a semblé très important, en effet, de répondre à sa courtoise invitation, pour saluer un aréopage exceptionnel de témoins de la culture de notre temps, et apporter le propre témoignage de l’Église.

Il faut achever à présent ce premier contact. Je vais me rendre à la basilique Notre-Dame, la Mère des églises de ce diocèse, et l’un des plus vénérables édifices religieux de cette Nation. Je veux y confier au Seigneur et à la Vierge très sainte les souhaits que je forme a l’intention du Peuple Français tout entier. Que Dieu bénisse la France!"

Homélie de St JPII à la Messe dans la Cathédral Notre-Dame de Paris
Paris, vendredi, 30 mai 1980 - in French, Italian, Portuguese & Spanish

1. Aimes-tu?

Question fondamentale, question courante. C’est la question qui ouvre le cœur ― et qui donne son sens à la vie. C’est la question qui décide de la vraie dimension de l’homme. En elle, c’est l’homme tout entier qui doit s’exprimer, et qui doit aussi, en elle, se dépasser lui-même.

M’aimes-tu?

Cette question a été posée, il y a un instant, dans ce lieu. C’est un lieu historique, un lieu sacré. Ici, nous rencontrons le génie de la France, le génie qui s’est exprimé dans l’architecture de ce temple il y a huit siècles et qui est toujours là pour témoigner de l’homme. L’homme, en effet, à travers toutes les formules par lesquelles il cherche à se définir, ne peut pas oublier qu’il est, lui aussi, un temple: il est le temple où habite l’Esprit Saint. Pour cette raison, l’homme a élevé ce temple qui lui rend témoignage depuis huit siècles: Notre-Dame.

Ici, en ce lieu, au cours de notre première rencontre, cette question devait être posée: « M’aimes-tu? ». Mais elle doit être posée partout et toujours. Cette question est posée à l’homme par Dieu. Cette question, l’homme doit continuellement se la poser à lui-même.

2. Cette question a été posée par le Christ à Pierre. Le Christ l’a posée trois fois, et par trois fois Pierre lui a répondu. « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu? ― Oui, Seigneur, tu sais bien que je t’aime » [Jn 21, 15-17].

Et Pierre s’engageait déjà, avec cette question et avec cette réponse, sur le chemin qui devait être le sien jusqu’à la fin de sa vie. Partout devait le suivre l’admirable dialogue où il avait aussi entendu trois fois: « Sois le pasteur de mes agneaux », « Sois le pasteur de mes brebis... Sois le pasteur de cette bergerie dont je suis, moi, la Porte et le Bon Pasteur » [cf Jn 10, 7].

Pour toujours, jusqu’a la fin de sa vie, Pierre devait avancer sur le chemin, accompagné de cette triple question: « M’aimes-tu? ». Et il mesurait toutes ses activités à la réponse qu’il avait alors donnée. Quand il fut convoqué devant le Sanhédrin. Quand il fut mis en prison à Jérusalem, prison dont il ne devait pas sortir... et dont pourtant il sortit. Et quand il s’en fuit de Jérusalem vers le nord, à Antioche, puis, plus loin encore, d’Antioche à Rome. Et lorsqu’à Rome il eut persévéré jusqu’à la fin de ses jours, il connut la force des paroles selon lesquelles un Autre le conduisait là où il ne voulait pas... [cf Jn 21, 18].

Et il savait aussi que, grâce à la force de ces paroles, l’Eglise était assidue « à l’enseignement des apôtres et à l’union fraternelle, à la fraction du pain et aux prières » ... et que « le Seigneur ajoutait chaque jour à la communauté ceux qui seraient sauvés » [Ac 2, 42. 48].

Il en fut ainsi à Jérusalem. Puis à Antioche. Puis à Rome. Et ensuite encore ici, à l’ouest et au nord des Alpes: à Marseille, Lyon, Paris.

3. Pierre ne peut jamais se détacher de cette question: « M’aimes-tu? ».

Il la porte avec lui où qu’il aille. Il la porte à travers les siècles, à travers les générations. Au milieu de nouveaux peuples et de nouvelles nations. Au milieu de langues et de races toujours nouvelles. Il la porte lui seul, et pourtant il n’est plus seul. D’autres la portent avec lui: Paul, Jean, Jacques, André, Irénée de Lyon, Benoît de Nursie, Martin de Tours, Bernard de Clairvaux, le Petit Pauvre d’Assise, Jeanne d’Arc, François de Sales, Jeanne-Françoise de Chantal, Vincent de Paul, Jean-Marie Vianney, Thérèse de Lisieux.

Sur cette terre qu’il m’est donné de visiter aujourd’hui, ici, dans cette cité, il y a eu, et il y a bien des hommes et des femmes qui ont su et qui savent encore aujourd’hui que toute leur vie a valeur et sens seulement et exclusivement dans la mesure où elle est une réponse à cette même question: Aimes-tu? M’aimes-tu? Ils ont donné, et ils donnent leur réponse de manière totale et parfaite ― une réponse héroïque ― ou alors de manière commune, ordinaire. Mais en tout cas ils savent que leur vie, que la vie humaine en général, a valeur et sens dans la mesure où elle est la réponse à cette question: Aimes-tu? C’est seulement grâce à cette question que la vie vaut la peine d’être vécue.

Je viens ici sur leurs traces. Je visite leur patrie terrestre. Je recommande à leur intercession la France et Paris, l’Eglise et le monde. La réponse qu’ils ont donnée à cette question: « Aimes-tu? » a une signification universelle, une valeur qui ne passe pas. Elle construit dans l’histoire de l’humanité le monde du bien. L’amour seul construit un tel monde. Il le construit avec peine. Il doit lutter pour lui donner forme: il doit lutter contre les forces du mal, du péché, de la haine, contre la convoitise de la chair, contre la convoitise des yeux et contre l’orgueil de la vie [cf 1 Jn 2, 16].

Cette lutte est incessante. Elle est aussi vieille que l’histoire de l’homme. De notre temps, cette lutte pour donner forme à notre monde semble être plus grande que jamais. Et plus d’une fois nous nous demandons en tremblant si la haine ne l’emportera pas sur l’amour, la guerre sur la paix, la destruction sur la construction.

Qu’elle est extraordinaire l’éloquence de cette question du Christ: « Aimes-tu? »! Elle est fondamentale pour chacun et pour tous. Elle est fondamentale pour l’individu et pour la société, pour la nation et pour l’Etat. Elle est fondamentale pour Paris et pour la France: « Aimes-tu? ».

4. Le Christ est la pierre angulaire de cette construction. Il est la pierre angulaire de cette forme que le monde, notre monde humain, peut prendre grâce à l’amour.

Pierre le savait, lui auquel le Christ a demandé trois fois: « M’aimes-tu? ». Pierre le savait, lui qui, a l’heure de l’épreuve, a renié son Maître par trois fois. Et sa voix tremblait lorsqu’il répondit: « Seigneur, tu sais bien que je t’aime » [Jn 21, 15]. Cependant, il n’a pas répondu: « Et pourtant, Seigneur, je t’ai déçu » - mais: « Seigneur, tu sais bien que je t’aime ». En disant cela, il savait déjà que le Christ est la pierre angulaire, sur laquelle, en dépit de toute faiblesse humaine, peut croître en lui, Pierre, cette construction qui aura la forme de l’amour. A travers toutes les situations et toutes les épreuves. Jusqu’à la fin. C’est pour cela qu’il écrira un jour, dans sa lettre que nous venons de lire, le texte sur Jésus-Christ, la pierre angulaire sur laquelle « vous aussi vous êtes appelés à devenir comme des pierres vivantes pour la construction d’un édifice spirituel, pour un sacerdoce saint, pour offrir des sacrifices spirituels agréables à Dieu par Jésus Christ... » [1 P 2, 5].

Tout cela ne signifie rien d’autre que répondre toujours et constamment avec ténacité et de manière conséquente, à cette unique question: Aimes-tu? M’aimes-tu? M’aimes-tu davantage?

C’est en effet cette réponse, c’est-à-dire cet amour, qui fait que nous sommes « la race élue, le sacerdoce royal, la nation sainte, le peuple que Dieu s’est acquis... » [1 P 2, 9].

C’est elle qui fait que nous proclamons les œuvres merveilleuses de celui qui nous « a appelés des ténèbres à son admirable lumière » [1 P 2, 9].

Tout cela, Pierre l’a su dans l’absolue certitude de sa foi. Et tout cela, il le sait, et il continue à le confesser aussi dans ses successeurs. Il sait, oui, et il confesse que cette pierre angulaire, qui donne à toute la construction de l’histoire humaine la forme de l’amour, de la justice et de la paix, fut, est et sera, véritablement, la pierre rejetée par les hommes..., par les hommes, par beaucoup de ceux qui sont les constructeurs du destin du monde; et cependant, malgré cela, c’est vraiment lui, Jésus-Christ, qui a été, qui est et qui sera la pierre angulaire de l’histoire humaine. Et c’est de lui que, en dépit de tous les conflits, les objections et les négations, en dépit de l’obscurité et des nuages qui ne cessent de s’accumuler à l’horizon de l’histoire ― et vous savez combien ils sont menaçants aujourd’hui, à notre époque! ― c’est de lui que la construction qui ne passe pas surgira, c’est sur lui qu’elle s’élèvera, et c’est à partir de lui qu’elle se développera. Seul l’amour a la force de faire cela. Seul l’amour ne connaît pas de déclin.

Seul l’amour dure toujours [1 Co 13, 8]. Seul, il construit la forme de l’éternité dans les dimensions terrestres et fugaces de l’histoire de l’homme sur la terre.

5. Nous sommes ici dans un lieu sacré: Notre-Dame. Cette splendide construction, trésor de l’art gothique, vos aïeux l’ont consacrée à la Mère de Dieu. Ils l’ont consacrée à Celle qui, parmi tous les êtres humains, a donné la réponse la plus parfaite à cette question: Aimes-tu? M’aimes-tu? M’aimes-tu davantage?

Sa vie tout entière fut en effet une réponse parfaite, sans aucune erreur, à cette question.

Il convenait donc que je commence dans un lieu consacré à Marie ma rencontre avec Paris et avec la France, rencontre à laquelle j’ai été si courtoisement invité par les Autorités de l’Etat et de la ville, par l’Eglise et par ses pasteurs. Ma visite de lundi au siège de l’UNESCO à Paris acquiert par là son cadre complet et la dimension qui convient à ma mission de témoignage et de service apostolique.

Cette invitation est pour moi d’un grand prix. Je l’apprécie hautement. Je désire aussi, selon mes possibilités et selon la grâce d’état qui m’a été donnée, répondre à cette invitation et lui faire atteindre son but.

C’est pourquoi je me réjouis de ce que notre première rencontre ait lieu en présence de la Mère de Dieu, devant Celle qui est notre espérance. Je désire lui confier le service qu’il m’appartient d’accomplir parmi vous. C’est à elle aussi que je demande, en même temps que vous tous, chers frères et sœurs, que ce service soit utile et fructueux pour l’Eglise en France, pour l’homme et pour le monde contemporain.

6. Ils sont nombreux, les lieux de votre pays où bien souvent, peut-être chaque jour, ma pensée et mon cœur s’en vont en pèlerinage: le sanctuaire de la Vierge Immaculée à Lourdes, Lisieux, et Ars, où cette fois je ne pourrai me rendre, et Annecy, où j’ai été invité depuis longtemps sans pouvoir jusqu’ici réaliser mon désir.

Voici que se présente devant mes yeux la France, Mère des saints au long de tant de générations et de siècles. Oh combien je désire qu’ils reviennent tous dans notre siècle, et dans notre génération, à la mesure de ses besoins et de ses responsabilités!

Dans cette première rencontre, je souhaite à tous et à chacun d’entendre dans toute son éloquence la question que le Christ a adressée autrefois à Pierre: Aimes-tu? M’aimes-tu? Que cette question résonne et trouve un écho profond en chacun de nous!

L’avenir de l’homme et du monde en dépend: écouterons-nous cette question? Comprendrons-nous son importance? Comment y répondrons-nous?"

Message radiophonique de St Jean Paul II aux français
Cathédrale de Notre-Dame, vendredi 30 mai 1980 - in French, Italian, Portuguese & Spanish

Ce soir, après avoir célébré la Messe au cœur de la capitale française devant Notre-Dame de Paris, je pense à tous ceux qui auraient aimé participer à ce rassemblement autour du Pape ou aux célébrations qui suivront, mais qui sont retenus chez eux: aux malades, à tous ceux qui sont sur leur lit d’hôpital, auxquels je souhaite réconfort et paix; aux handicapés et à leurs familles; aux prisonniers, que je visite en esprit et auxquels je souhaite la foi en la miséricorde de Dieu, l’espérance et le soutien fidèle de leurs familles; aux travailleurs auxquels l’horaire de leur emploi ou leur tour de service public ne permettent pas facilement de s’associer à de telles manifestations; à tous ceux enfin qui, pour d’autres raisons, ne pourront satisfaire leur désir de voir ou d’entendre le Pape. A tous, chers amis, je vous dis mon estime, je vous assure de ma prière et de mes vœux cordiaux pour vos familles. Bonsoir à tous!

Discours de St Jean Paul II aux Prêtres de L'Île de France
Cathédrale de Notre-Dame, Paris, vendredi 30 mai 1980 - in French, Italian, Portuguese & Spanish

"Chers Frères prêtres,
1. C’est une très grande joie pour moi de m’adresser à vous dès ce soir - et en premier lieu - à vous prêtres et diacres de Paris et de région parisienne, et par vous à l’ensemble des prêtres et des diacres de France. Pour vous, je suis évêque: avec vous, je suis prêtre. Vous êtes mes frères, en vertu du sacrement de l’Ordre. La lettre que je vous ai adressée l’an dernier pour le Jeudi Saint vous disait déjà mon estime, mon affection, ma confiance toutes particulières. Après demain, je rencontrerai longuement vos évêques, qui sont à un titre spécial mes frères; c’est en union avec eux que je vous parle. Mais à mes yeux, aux yeux du Concile, vous êtes inséparables des évêques, et je penserai à vous en m’entretenant avec eux. Une profonde communion unit les prêtres et les évêques, fondée sur le sacrement et le ministère.

Chers amis, puissiez-vous comprendre l’amour que je vous porte dans le Christ Jésus! Si le Christ me demande, comme à l’Apôtre Pierre, d’“affermir mes frères”, c’est bien vous d’abord qui devez en bénéficier.

2. Pour marcher avec joie et espérance dans notre vie sacerdotale, il nous faut remonter aux sources. Ce n’est pas le monde qui fixe notre rôle, notre statut, notre identité. C’est le Christ Jésus; c’est l’Église. C’est le Christ Jésus qui nous a choisis, comme ses amis, pour que nous portions du fruit; qui a fait de nous ses ministres: nous participons à la charge de l’unique Médiateur qu’est le Christ. C’est l’Église, le Corps du Christ, qui, depuis deux mille ans, manifeste la place indispensable que tiennent en son sein les évêques, les prêtres, les diacres.

Et vous, prêtres de France, vous avez la chance d’être les héritiers d’une pléiade de prêtres qui demeurent des exemples pour l’Église entière, et qui sont pour moi-même une source constante de méditation. Pour ne parler que de la période la plus proche, je pense à saint François de Sales, à saint Vincent de Paul, à saint Jean Eudes, aux maîtres de l’École française, à saint Louis-Marie Grignion de Montfort, à saint Jean-Marie Vianney, aux missionnaires du dix-neuvième et du vingtième siècles dont j’ai admiré le travail en Afrique.

La spiritualité de tous ces pasteurs porte la marque de leur temps, mais le dynamisme intérieur est le même et la note de chacun enrichit le témoignage global du sacerdoce que nous avons à vivre. Comme j’aurais aimé me rendre en pèlerin à Ars, si cela avait été possible! Le Curé d’Ars demeure en effet pour tous les pays un modèle hors pair, à la fois de l’accomplissement du ministère, et de la sainteté du ministre, adonné à la prière et à la pénitence pour la conversion des âmes.

Beaucoup d’études et d’exhortations ont aussi jalonné le chemin de la vie des prêtres de votre pays: je pense par exemple à l’admirable lettre du Cardinal Suhard: “Le prêtre dans la cité”. Le Concile Vatican II a repris toute la doctrine du sacerdoce dans la Constitution “Lumen Gentium” [n 28] et dans le décret “Presbyterorum Ordinis”, qui ont eu le mérite d’envisager la consécration des prêtres dans la perspective de leur mission apostolique, au sein du peuple de Dieu, et comme une participation au sacerdoce et à la mission de l’évêque. Ces textes se prolongent par beaucoup d’autres, en particulier par ceux de Paul VI, du Synode, et ma propre lettre.

Voilà les témoignages, voilà les documents qui tracent pour nous la route du sacerdoce. Ce soir, dans ce haut lieu qui est comme un Cénacle, je vous livre seulement, chers amis, quelques recommandations essentielles.

3. Et d’abord, ayez foi en votre sacerdoce. Oh, je ne suis pas sans savoir tout ce qui pourrait décourager et peut-être ébranler certains prêtres aujourd’hui. Beaucoup d’analyses, de témoignages, insistent sur ces difficultés réelles que je garde très présentes à l’esprit - en particulier le petit nombre d’ordinations - même si je ne prends pas le temps de les énumérer ce soir.Et pourtant, je vous dis: soyez heureux et fiers d’être prêtres.

Tous les baptisés forment un peuple sacerdotal, c’est-à-dire qu’ils ont à offrir à Dieu le sacrifice spirituel de toute leur vie, animée d’une foi aimante, en l’unissant au Sacrifice unique du Christ. Heureux Concile qui nous l’a rappelé! Mais précisément pour cela, nous avons reçu un sacerdoce ministériel pour rendre les laïcs conscients de leur sacerdoce et leur permettre de l’exercer. Nous avons été configurés au Christ Prêtre pour être capables d’agir au nom du Christ Tête en personne [cf décret Presbyterorum Ordinis, n 2].

Nous avons été pris d’entre les hommes, et nous demeurons nous-mêmes de pauvres serviteurs, mais notre mission de prêtres du Nouveau Testament est sublime et indispensable: c’est celle du Christ, l’unique Médiateur et Sanctificateur, à tel point qu’elle appelle une consécration totale de notre vie et de notre être. Jamais l’Église ne pourra se résoudre à manquer de prêtres, de saints prêtres. Plus le peuple de Dieu atteint sa maturité, plus les familles chrétiennes et les laïcs chrétiens assument leur rôle dans leurs multiples engagements d’apostolat, plus ils ont besoin de prêtres qui soient pleinement prêtres, précisément pour la vitalité de leur vie chrétienne.

Et dans un autre sens, plus le monde est déchristianisé ou manque de maturité dans sa foi, plus il a aussi besoin de prêtres qui soient totalement voués à témoigner de la plénitude du mystère du Christ.

Voilà l’assurance qui doit soutenir notre propre zèle sacerdotal, voilà la perspective qui doit nous inciter à encourager de toutes nos forces, par la prière, le témoignage, l’appel et la formation, les vocations de prêtres et de diacres.

4. J’ajoute: apôtres du Christ Jésus par la volonté de Dieu , gardez le souci apostolique, missionnaire, qui est si vif chez la plupart des prêtres français. Beaucoup - cela est particulièrement frappant ces trente-cinq dernières années - ont été habités par la hantise d’annoncer l’Évangile au cœur du monde, au cœur de la vie de nos contemporains, dans tous les milieux, qu’ils soient intellectuels, ouvriers, ou même du “quart monde”, à ceux-là aussi qui sont souvent loin de l’Église, qu’un mur semblait même séparer de l’Église, et cela à travers des approches nouvelles de toute sorte, des initiatives ingénieuses et courageuses, allant même jusqu’au partage du travail et des conditions de vie des travailleurs dans la perspective de la mission, en tout cas presque toujours avec des moyens pauvres.

Beaucoup - des aumôniers par exemple - sont constamment sur la brèche pour faire face aux besoins spirituels d’un monde déchristianisé, sécularisé, souvent agité par de nouvelles mises en question culturelles. Ce souci pastoral, pensé et accompli en union avec vos évêques, est à votre honneur: qu’il se poursuivre et qu’il se purifie sans cesse.

Tel est le vœu du Pape. Comment être prêtre sans partager le zèle du bon Pasteur? Le bon Pasteur se soucie de ceux qui sont éloignés de la bergerie par manque de foi ou de pratique religieuse [cf PO, 6]; à plus forte raison, il se soucie de l’ensemble du troupeau des fidèles à rassembler et à nourrir, comme en témoigne le ministère pastoral quotidien de tant de curés et de vicaires.

5. Dans cette perspective pastorale et missionnaire, que votre ministère soit toujours celui de l’apôtre de Jésus-Christ, du prêtre de Jésus-Christ. Ne perdez jamais de vue ce à quoi vous êtes ordonnés: faire avancer les hommes dans la vie divine [cf PO, 2]. Le Concile Vatican II vous demande à la fois de ne pas rester étrangers à la vie des hommes et d’être “témoins et dispensateurs d’une vie autre que la vie terrestre” [cf PO, 3].

Ainsi, vous êtes ministres de la Parole de Dieu, pour évangéliser et former des évangélisateurs, pour éveiller, enseigner et nourrir la foi - la foi de l’Église - pour inviter les hommes à la conversion et à la sainteté [cf PO, 4]. Vous êtes associés à l’œuvre de sanctification du Christ, pour apprendre aux chrétiens à faire l’offrande de leur vie, à tout moment, et spécialement dans l’Eucharistie qui “est la source et le sommet de l’évangélisation” [cf PO, 5].

Et là, chers Frères prêtres, il nous faut toujours veiller, avec un soin extrême, à une célébration de l’Eucharistie qui soit vraiment digne de ce mystère sacré, comme je le rappelais récemment dans ma Lettre à ce sujet. Notre attitude dans cette célébration doit vraiment faire entrer les fidèles dans cette action sainte qui les met en relation avec le Christ, le Saint de Dieu. L’Église nous a confié ce mystère et c’est elle qui nous dit comment célébrer.

Vous apprenez aussi aux chrétiens à imprégner toute leur vie de l’esprit de prière, vous les préparez aux sacrements; je pense spécialement au sacrement de pénitence ou de réconciliation qui est d’une importance capitale pour le chemin de la conversion du peuple chrétien. Vous êtes éducateurs de la foi, formateurs des consciences, guides des âmes, pour permettre à chaque chrétien d’épanouir sa vocation personnelle selon l’Évangile, dans une charité sincère et active, de lire dans les événements ce que Dieu attend de lui, de prendre toute sa place dans la communauté des chrétiens dont vous êtes les rassembleurs et les pasteurs et qui doit être missionnaire [cf PO, 6], d’assumer aussi ses responsabilités temporelles dans la communauté des hommes d’une façon conforme à la foi chrétienne.

Les catéchumènes, les baptisés, les confirmés, les époux, les religieux et religieuses, individuellement ou en association, comptent sur votre aide spécifique pour devenir eux-mêmes ce qu’ils doivent être.

Bref, toutes vos forces à vous sont consacrées à la croissance spirituelle du Corps du Christ, quels que soient le ministère précis ou la présence missionnaire qui vous sont confiés. C’est votre part qui est source de joie très grande et aussi de sacrifices très grands. Vous êtes proches de tous les hommes et de tous leurs problèmes “en prêtres”. Vous y conservez votre identité sacerdotale qui vous permet d’assurer le service du Christ auquel vous avez été ordonnés. Votre personnalité sacerdotale doit être pour les autres un signe et une indication; en ce sens votre vie sacerdotale ne peut souffrir d’être laïcisée.

6. Bien situé par rapport aux laïcs, votre sacerdoce s'articule sur celui de votre évêque. Vous participez à votre rang au ministère épiscopal par le sacrement de l’Ordre et la mission canonique.

C’est ce qui fonde votre obéissance responsable et volontaire envers votre évêque, votre coopération avisée et confiante avec lui. Il est le père du “presbyterium”. Vous ne pouvez pas construire l’Église de Dieu en dehors de lui. C’est lui qui fait l’unité de la responsabilité pastorale, comme le Pape fait l’unité dans l’Église universelle.

Réciproquement, c’est avec vous, grâce à vous, que l’évêque exerce sa triple fonction que le Concile a longuement développée [cf LG, 25-28]. Il y a là une communion féconde, qui n’est pas seulement du domaine de la coordination pratique, mais qui fait partie du mystère de l’Église et qui prend un relief particulier dans le Conseil presbytéral.

7. Cette unité avec vos évêques, chers amis, est inséparable de celle que vous avez à vivre entre prêtres. Tous les disciples du Christ ont reçu le commandement de l’amour mutuel: pour vous, le Concile va jusqu’à parler de fraternité sacramentelle: vous participez au même sacerdoce du Christ [cf PO, 8].

L’unité doit être dans la vérité: vous établissez les bases sûres de l’unité en étant les témoins courageux de la vérité enseignée par l’Église pour que les chrétiens ne soient pas emportés à tout vent de doctrine, et en accomplissant tous les actes de votre ministère en conformité avec les normes que l’Église a précisées, sans quoi ce serait le scandale et la division. L’unité doit être dans le travail apostolique, où vous êtes appelés à accepter des tâches diverses et complémentaires dans l’estime réciproque et la collaboration. L’unité est non moins nécessaire au plan de l’amour fraternel: nul ne doit juger son frère en le soupçonnant “a priori” d’être infidèle, en ne sachant que le critiquer, voire en le calomniant, comme Jésus le reprochait aux pharisiens.

C’est à partir de notre charité sacerdotale que nous portons témoignage et édifions l’Église. D’autant plus que nous avons la charge, comme dit le Concile, de conduire tous les laïcs à l’unité dans l’amour et à faire que personne ne se sente étranger dans la communauté des chrétiens [cf PO, 9]. Dans un monde souvent divisé, où les options sont unilatérales et abruptes, les méthodes trop exclusives, les prêtres ont la belle vocation d’être les artisans du rapprochement et de l’unité.

8. Tout cela, chers Frères, se relie à l’expérience que nous avons de Jésus-Christ, autant dire à la sainteté. Notre sainteté est d’un apport essentiel pour rendre fructueux le ministère que nous accomplissons [cf PO, 12]. Nous sommes les instruments vivants du Christ Prêtre éternel.

A cet effet, nous sommes dotés d’une grâce particulière, pour tendre, au bénéfice du peuple de Dieu, à la perfection de celui que nous représentons. Ce sont avant tout les différents actes de notre ministère qui nous ordonnent par eux-mêmes à cette sainteté: transmettre ce que nous avons contemplé, imiter ce que nous accomplissons, nous offrir tout entiers à la messe, prêter notre voix à l’Église dans la prière des heures, nous unir à la charité pastorale du Christ... [cf PO, 12-14]

Notre célibat manifeste pour sa part que nous sommes totalement consacrés à l’œuvre à laquelle le Seigneur nous a appelés: le prêtre, saisi par le Christ, devient “l’homme pour les autres”, tout disponible au Royaume, sans cœur partagé, capable d’accueillir la paternité dans le Christ. Notre attachement à la personne de Christ doit donc se fortifier de toute manière, par la méditation de la Parole, par la prière en relation avec notre ministère, et d’abord par le Saint Sacrifice que nous célébrons chaque jour [cf Lettre du Jeudi Saint 1980, 10], et il doit prendre les moyens que l’Église a toujours conseillés à ses prêtres. Il nous faut sans cesse retrouver avec joie l’intuition du premier appel qui nous est venu de Dieu: “Viens, suis-moi”.

9. Chers amis, je vous invite à l’espérance. Je sais que vous portez “le poids du jour et de la chaleur”, avec beaucoup de mérites. On pourrait faire la liste des difficultés intérieures et extérieures, des sujets d’inquiétude, surtout en ce temps d’incroyance: nul mieux que l’Apôtre Paul n’aura parlé des tribulations du ministère apostolique [cf 2 Co, 4-5], mais aussi de ses espérances. C’est donc d’abord une question de foi. Ne croyons-nous pas que le Christ nous a sanctifiés et envoyés? Ne croyons-nous pas qu’il demeure avec nous, même si nous portons ce trésor dans des vases fragiles et avons nous-mêmes besoin de sa miséricorde dont nous sommes les ministres pour les autres?

Ne croyons-nous pas qu’il agit par nous, du moins si nous faisons son œuvre, et qu’il fera croître ce que nous avons laborieusement semé selon son Esprit? Et ne croyons-nous pas qu’il accordera aussi le don de la vocation sacerdotale à tous ceux qui devront travailler avec nous et prendre la relève, surtout si nous savons raviser nous-mêmes le don que nous avons reçu par l’imposition des mains? Que Dieu augmente notre foi! Élargissons aussi notre espérance à l’ensemble de l’Église: certains membres souffrent, d’autres sont à l’étroit de multiples façons, d’autres vivent un véritable printemps. Le Christ doit souvent nous redire: “Pourquoi craignez-vous, hommes de peu de foi?” [Mt 8, 26].

Le Christ n’abandonnera pas ceux qui se sont livrés à lui, ceux qui se livrent à lui chaque jour.

10. Cette cathédrale est dédiée à Notre-Dame. L’an prochain, j’irai devant la grotte de Massabielle à Lourdes, et je m’en réjouis. Votre pays comporte de multiples sanctuaires où vos fidèles aiment prier la Vierge bénie, leur Mère. Nous prêtres, nous devons être les premiers à l’invoquer comme notre Mère. Elle est la mère du sacerdoce que nous avons reçu du Christ. Je vous en prie, confiez-lui votre ministère, confiez-lui votre vie. Qu’elle vous accompagne, comme les premiers disciples, depuis la première rencontre joyeuse de Cana, qui vous fait penser à l’aube de votre sacerdoce, jusqu’au sacrifice de la croix, qui marque nécessairement nos vies, jusqu’à la Pentecôte dans l’attente toujours plus pénétrante de l’Esprit Saint dont elle est l’Épouse depuis l’Incarnation. Nous terminerons notre rencontre par un Ave Maria.

Avec regret, je dois vous quitter, pour aujourd’hui. Mais les prêtres sont toujours proches du mon cœur et de ma prière. Au nom du Seigneur, je vais vous bénir: bénir chacun d’entre vous, bénir les prêtres que vous représentez, bénir spécialement ceux qui connaissent l’épreuve, physique ou morale, la solitude ou la tentation, afin que Dieu donne à tous sa paix. Que le Christ soit votre joie! Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit! Amen!"

Salut du Pape St Jean Paul II au Maire de Paris
vendredi 30 mai 1980 - in French, Italian, Portuguese & Spanish

"Monsieur le Maire,
J’ai été très sensible aux paroles de bienvenue que vous venez de m’adresser, au nom du Peuple de Paris, de ses élus, et en votre nom personnel. Invité de la France pour quelques jours - et avec quelle joie! - c’est dans sa prestigieuse capitale que j’effectuerai l’essentiel de mon séjour. A plusieurs reprises déjà, j’ai eu le bonheur d’y venir au cours des années passées, la découvrant chaque fois plus grande, plus belle aussi grâce aux efforts accomplis pour la mettre en valeur. C’est vraiment l’une des capitales du monde.

Aujourd’hui, le Successeur de Pierre la retrouve non sans émotion. Et sur cette Place située á deux pas de la Cité, le berceau de la ville, en ces lieux qui furent les témoins de grandes heures et en même temps des principales vicissitudes de son histoire, en ces lieux si symboliques à tant d’égards, il vient saluer la population parisienne avec toute l’affection de son cœur et tout le respect mérité par les pages glorieuses qu’elle a inscrites dans le registre des temps.

Ville lumière, comme on l’appelle à juste titre, je lui souhaite de le demeurer et pour son pays et pour le monde. Elle le peut sans doute par le rayonnement de sa culture, et elle le fait. Elle le peut par la fidélité à son patrimoine historique et artistique. De bien des côtés on regarde vers elle avec autant d’admiration que d’envie; dans ma patrie d’origine aussi, on sait ce que l’on doit à Paris.

Mais le passé n’est pas tout. Il y a le présent, et le présent ce sont des questions très concrètes. Et il y a aussi l’avenir à préparer. Il y a ces multiples problèmes d’aménagement, d’organisation, qui sont le lot des grandes métropoles. Mais aucun de ces problèmes, même sous l’aspect technique, n’est dépourvu d’une composante humaine. Paris, c’est d’abord des hommes, des femmes, des personnes entraînées par le rythme rapide du travail dans les bureaux, les lieux de recherche, les magasins, les usines; une jeunesse en quête de formation et d’emploi; des pauvres aussi, qui vivent souvent leur détresse, ou même leur indigence, avec une dignité émouvante, et que nous ne pouvons jamais oublier; un va-et-vient incessant de population souvent déracinée; des visages anonymes où se lit la soif de bonheur, du mieux-être et, je le crois aussi, la soif du spirituel, la soif de Dieu.

Ma visite en France est une visite pastorale, vous le savez. Évêque de Rome, je suis affronté personnellement chaque jour, dans mon propre diocèse, à des situations similaires, même si le contexte peut différer en certains points. J’essaye ainsi de comprendre les préoccupations de ceux qui ont en charge, à différents titres, les problèmes d’une ville jumelée avec la mienne, et je pense y parvenir, du moins je l’espère.

Recevez, Monsieur le Maire, les souhaits fervents de votre hôte, pour la lourde tâche que les élus parisiens ont à assumer. Je demande au Seigneur de vous assister dans tous les efforts qui seront entrepris au service du bien commun, afin que le Peuple de Paris si cher à mon cœur trouve toujours davantage les conditions de son épanouissement, et fasse ainsi toujours davantage notre fierté."

Discours de JPII au representants des autres confessions chretiennes
Paris, samedi 31 mai 1980 - in French, Italian, Portuguese & Spanish

"Chers Frères dans le Christ,
Je vous remercie de cette rencontre que je désirais avoir avec vous durant ma première visite en France. Très cordialement je salue d’abord nos frères orthodoxes, venus principalement de différentes régions de l’Orient, pour vivre dans ce pays qui les accueillait, continuant ainsi une longue tradition dont saint Irénée fut l’un des premiers exemples. Je n’oublie pas non plus le représentant de l’Église anglicane. Et je me tourne maintenant vers les représentants du protestantisme français ici présents.

A ce moment de l’effort que nous faisons en commun pour restaurer entre tous le chrétiens l’unité voulue par le Christ, il faut en effet que nous prenions conscience des exigences que le fait d’être chrétien comporte pour nous aujourd’hui.

Tout d’abord, et dans la dynamique du mouvement vers l’unité, il faut purifier notre mémoire personnelle et communautaire du souvenir de tous les heurts, les injustices, les haines du passé.

Cette purification s’opère par le pardon réciproque, du fond du cœur, condition de l’épanouissement d’une vraie charité fraternelle, d’une charité qui n’entretient pas de rancune et qui excuse tout [cf 1 Co 13, 5 & 7] . Je le dis ici car je sais les cruels événements qui, dans le passé, ont marqué en ce pays les relations des catholiques avec les protestants.

Être chrétien aujourd’hui nous demande d’oublier ce passé pour être tout entiers disponibles à la tâche à laquelle le Seigneur nous appelle maintenant [cf Ph 3, 13] . Vous êtes affrontés à cette tâche et je me réjouis particulièrement de la qualité de la collaboration qui existe entre vous, notamment en ce qui concerne le service de l’homme, service compris dans toute sa dimension et qui requiert de manière urgente et dès maintenant un témoignage de tous les chrétiens sur la nécessité duquel j’ai déjà insisté dans l’encyclique Redemptor Hominis.

Mais, aujourd’hui plus que jamais peut-être, le premier service à rendre à l’homme est de témoigner de la vérité, de toute la vérité, “alithevondes en agapi”, “en confessant la vérité dans l’amour” [Ep 4, 15]. Nous ne devons avoir de cesse que nous ne soyons de nouveau capables de confesser ensemble toute la vérité, toute cette vérité dans laquelle l’Esprit nous guide [cf Jn 16, 13]. Je sais combien franche est aussi votre collaboration en ce domaine, et les échanges qui eurent lieu lors de l’assemblée du protestantisme français en 1975 sont un exemple de cette franchise. Il faut que nous parvenions à confesser ensemble toute la vérité pour pouvoir vraiment témoigner en commun de Jésus-Christ, le seul en qui et par qui l’homme peut être sauvé [cf Ac 4, 12].

J’ai voulu vous dire brièvement quelques-uns des sentiments qui m’animent en cet instant, mais je n’ai pas voulu m’étendre davantage pour éviter de diminuer le temps disponible pour les échanges plus personnels, et pour la prière qui conclura notre rencontre.

Mais avant de passer à cette prière, je veux vous remercier très vivement pour vos interventions, vos introductions; dans ces introductions, on peut le dire, je retrouve des interrogations, mais je retrouve aussi un fruit. Car cela, c'est déjà un fruit : vous avez bien souligné que c'est un fruit des échanges qui durent déjà depuis quelque temps. Evidemment les échanges vont créer des interrogations. Et c'est juste, on ne peut pas faire autrement, on ne peut pas avancer autrement.

Il faut bien considérer que nous avons maintenant à refaire des siècles, et refaire des siècles ne peut pas s'effectuer en quelques années, du moins d'après les critères humains. Mais le travail même, le fait qu'on se rencontre, le fait qu'on dialogue, qu'on se pose des questions, qu'on cherche à répondre, qu'on cherche à scruter sa propre vérité, c'est déjà un fruit, oui, c'est déjà un fruit, et on ne peut rien faire d'autre que continuer, continuer.

Je dois dire que je vis profondément l'anniversaire que vous vivez cette année, je veux dire le 450e anniversaire de la « confessio augustana », oui, profondément. Je le vis d'une manière pour moi incompréhensible parce que c'est quelqu'un qui le vit en moi. « Quelqu'un te conduira! » : je pense que ces paroles que le Seigneur disait à Pierre sont, peut-être, les plus importantes de toutes les paroles qu'il a entendues : « Quelqu'un te conduira! ».

Je dois aussi dire que ma visite fraternelle au Patriarche œcuménique de Constantinople m'a donné beaucoup d'espérance. Je me suis trouvé très bien dans cette atmosphère, dans ce milieu qui évidemment constitue une grande réalité spirituelle. Une réalité complémentaire : on ne peut pas respirer en chrétien, je dirai plus, en catholique, avec un seul poumon; il faut avoir deux poumons, c'est-à-dire oriental et occidental. Ceci pour évoquer seulement cette visite à Constantinople.

Je pense que dans cette grande question de l'unité à retrouver, il y a évidemment un moment historique, et si nous nous interrogeons, entre nous, c'est un autre qui nous interroge davantage encore, parce que évidemment nous nous trouvons devant une négation radicale de tout ce que nous sommes, de ce que nous croyons, de ce que nous prêchons, de ce que nous témoignons. On ne peut répondre autrement à cette interrogation foncière que par un témoignage : témoignage de la foi, témoignage de l'unité, témoignage dans le Christ. C'est le moment historique où nous nous trouvons, et ce moment est accompagné de nos efforts.

Je pense qu'ici, nous sommes — on peut dire — en règle, nous avons reconnu les signes des temps et nous cherchons à y répondre, en nous-mêmes, avec nos forces, nos forces humaines, nous cherchons tous à y répondre. Mais il y a, comme vous l'avez souligné aussi dans vos discours, un autre élément qui est beaucoup plus important que nos efforts, c'est le temps. Le temps, c'est-à-dire l'espérance. Nous espérons que le Seigneur nous donnera ce jour où nous nous retrouverons unis, et peut-être, ce jour-là, nous aurons — on peut être sûr que nous aurons — une autre vision des difficultés que nous envisageons aujourd'hui comme telles. Une vision des approches différentes de la même source, de la même vérité du même Jésus-Christ, du même Evangile.

Je suis convaincu que le Seigneur nous prépare cela, et c'est pour cela qu'il a inspiré l'esprit de nos prédécesseurs — je dis prédécesseurs au sens ménique — en particulier évidemment je parle de Jean XXIII qui se trouvait ici comme Nonce et qui continue à être présent à nos esprits.

Et c'est pour cela que nous devons prier toujours. Je pense, je suis convaincu que la fonction, la tâche fondamentale des communautés chrétiennes, des Eglises, la tâche fondamentale de tous les croyants reste toujours la prière. La prière... et c'est le Seigneur qui nous a enseigné à prier depuis longtemps, mais spécialement à prier pour cette unité parce que c'est lui-même qui a prié pour cette unité dans un moment qu'on peut dire le sommet de sa mission.

Et à cause de cela, en vous remerciant pour tout ce que vous disiez tout à l'heure, je suis reconnaissant au Seigneur et à vous-mêmes de pouvoir me trouver avec vous, et de pouvoir entendre de vous ces paroles que j'ai entendues, parce que je pense : qu'est-ce que cela veut dire, des « Frères »? Cela ne veut pas dire seulement des personnes qui se disent toujours : oui, oui, je t'aime, mais cela veut dire aussi des personnes qui se disputent parfois; mais si elle se disputent pour un bien commun, pour un bien supérieur, alors cela va.

Pour ne pas augmenter le retard, parce que je vois que les organisateurs nous pressent déjà, nous pourrions maintenant passer à la prière qui doit couronner évidemment notre rencontre. Avant de dire la prière du Seigneur, nous pourrions nous remettre ensemble devant le dessein salvifique de Dieu en méditant la magnifique confession de l'apôtre Paul dans l'hymne de sa lettre aux Ephésiens.

« Béni soit Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus-Christ: il nous a bénis de toute bénédiction spirituelle dans les cieux en Christ. Il nous a choisis en lui avant la fondation du monde pour que nous soyons saints et irréprochables sous son regard dans l’amour.

« Il nous a prédestinés à être pour lui des fils adoptifs par Jésus-Christ; ainsi l’a voulu sa bienveillance à la louange de sa gloire et de la grâce dont il nous a comblés en son Bien-Aimé.

« En lui par son sang, nous sommes délivrés, en lui nos fautes sont pardonnées, selon la richesse de sa grâce. Dieu nous l’a prodiguée; nous ouvrant à toute sagesse et intelligence.

« Il nous a fait connaître le mystère de sa volonté, le dessein bienveillant qu’il a d’avance arrêté en lui-même pour mener les temps à leur accomplissement: réunir l’univers entier sous un seul chef, le Christ, ce qui est dans les cieux et ce qui est sur la terre.

« En lui aussi, nous avons reçu notre part, suivant le projet de celui qui mène tout au gré de sa volonté: nous avons été prédestinés pour être à la louange de sa gloire ceux qui ont d’avance espéré dans le Christ.

« En lui, encore, vous avez entendu la parole de vérité, l’Évangile qui vous sauve.

« En lui encore vous avez cru, et vous avez été marqués du sceau de l’Esprit promis, l’Esprit Saint, acompte de notre héritage jusqu’à la délivrance finale où nous en prendrons possession, à la louange de sa gloire »[6].

Notre Père qui es aux cieux,
que ton nom soit sanctifié,
que ton règne vienne,
que ta volonté soit faite
sur la terre comme au ciel.
Donne-nous aujourd’hui
notre pain de ce jour.
Pardonne-nous nos offenses,
comme nous pardonnons aussi
à ceux qui nous ont offensés.
Et ne nous soumets pas à la tentation,
mais délivre-nous du Mal. Amen.

* * *

Avant la prière, le Pape a improvisé le discours ci-après qui reprend quelques-uns des sujets abordés dans les allocutions qui lui avaient été adressées :

Mais avant de passer à cette prière, je veux vous remercier très vivement pour vos interventions, vos introductions ; dans ces introductions, on peut le dire, je retrouve des interrogations, mais je retrouve aussi un fruit. Car cela, c’est déjà un fruit : vous avez bien souligné que c’est un fruit des échanges qui durent déjà depuis quelque temps. Évidemment les échanges vont créer des interrogations. Et c’est juste, on ne peut pas faire autrement, on ne peut pas avancer autrement. Il faut bien considérer que nous avons maintenant à refaire des siècles, et refaire des siècles ne peut pas s’effectuer en quelques années, du moins d’après les critères humains. Mais le travail même, le fait qu’on se rencontre, le fait qu’on dialogue, qu’on se pose des questions, qu’on cherche à répondre, qu’on cherche à scruter sa propre vérité, c’est déjà un fruit, oui, c’est déjà un fruit, et on ne peut rien faire d’autre que continuer, continuer.

Je dois dire que je vis profondément l’anniversaire que vous vivez cette année, je veux dire le 450e anniversaire de la « confessio augustana » oui, profondément. Je le vis d’une manière pour moi incompréhensible parce que c’est quelqu’un qui le vit en moi. « Quelqu’un te conduira »: je pense que ces paroles que le Seigneur disait à Pierre sont, peut-être, les plus importantes de toutes les paroles qu’il a entendues : « Quelqu’un te conduira. »

Je dois aussi dire que ma visite fraternelle au Patriarcat œcuménique de Constantinople m’a donné beaucoup d’espérance. Je me suis trouvé très bien dans cette atmosphère, dans ce milieu qui évidemment, constitue une grande réalité spirituelle. Une réalité complémentaire : on ne peut pas respirer en chrétien, je dirai plus, en catholique, avec un seul poumon ; il faut avoir deux poumons, c’est-à-dire oriental et occidental. Ceci pour évoquer seulement cette visite à Constantinople.

Je pense que dans cette grande question de l’unité à retrouver, il y a évidemment un moment historique, et si nous nous interrogeons, entre nous, c’est un autre qui nous interroge davantage encore, parce que, évidemment, nous nous trouvons devant une négation radicale de tout ce que nous sommes, de ce que nous croyons, de ce que nous prêchons, de ce que nous témoignons. On ne peut répondre autrement à cette interrogation foncière que par un témoignage : témoignage de la foi, témoignage de l’unité, témoignage dans le Christ. C’est le moment historique où nous nous trouvons, et ce moment est accompagné de nos efforts.

Je pense qu’ici, nous sommes — on peut dire — en règle, nous avons reconnu les signes des temps et nous cherchons à y répondre, en nous-mêmes, avec nos forces, nos forces humaines, nous cherchons tous à y répondre. Mais il y a, comme vous l’avez souligné aussi dans vos discours, un autre élément qui est beaucoup plus important que nos efforts, c’est le temps. Le temps, c’est-à-dire l’espérance. Nous espérons que le Seigneur nous donnera ce jour où nous nous retrouverons unis, et, peut-être, ce jour-là, nous aurons — on peut être sûr que nous aurons — une autre vision des difficultés que nous envisageons aujourd’hui comme telles. Une vision des approches différentes de la même source, de la même vérité, du même Jésus-Christ, du même Évangile. Je suis convaincu que le Seigneur nous prépare cela, et c’est pour cela qu’il a inspiré l’esprit de nos prédécesseurs — je dis prédécesseurs au sens œcuménique — en particulier, évidemment, je parle de Jean XXIII qui se trouvait ici comme nonce et qui continue à être présent à nos esprits.

Et c’est pour cela que nous devons prier toujours. Je pense, je suis convaincu que la fonction, la tâche fondamentale des communautés chrétiennes, des Églises, la tâche fondamentale de tous les croyants, reste toujours la prière. La prière… et c’est le Seigneur qui nous a enseigné à prier depuis longtemps, mais spécialement à prier pour cette unité parce que c’est lui-même qui a prié pour cette unité dans un moment qu’on peut dire le sommet de la mission. Et à cause de cela, en vous remerciant pour tout ce que vous disiez tout à l’heure, je suis reconnaissant au Seigneur et à vous-même de pouvoir me trouver avec vous, et de pouvoir entendre de vous ces paroles que j’ai entendues, parce que je pense : qu’est-ce que cela veut dire, des « Frères » ? Cela ne veut pas dire seulement des personnes qui se disent toujours : « oui, oui, je t’aime », mais cela veut dire aussi des personnes qui se disputent parfois ; mais si elles se disputent pour un bien commun, pour un bien supérieur, alors cela va.

Pour ne pas augmenter le retard, parce que je vois que les organisateurs nous pressent déjà, nous pourrions maintenant passer à la prière qui doit couronner, évidemment, notre rencontre. Avant de dire la prière du Seigneur, nous pourrions nous remettre ensemble devant le dessein salvifique de Dieu en méditant la magnifique confession de l’apôtre Paul dans l’hymne de sa lettre aux Éphésiens."

Discours de St Jean-Paul II dans la Chapelle de la Médaille Miraculeuse
Paris, samedi 31 mai 1980 - also in Italian, Portuguese & Spanish

"Je vous salue, Marie,
pleine de grâce, le Seigneur est avec vous,
vous êtes bénie entre toutes les femmes,
et Jésus,
le fruit de vos entrailles,
est béni.
Sainte Marie, Mère de Dieu,
priez pour nous, pauvres pécheurs,
maintenant et à l’heure de notre mort. Amen.

O Marie, conçue sans péché,
priez pour nous qui avons recours à vous.

Telle est la prière que tu as inspirée, ô Marie, à sainte Catherine Labouré, en ce lieu même, voilà 150 ans; et cette invocation, désormais gravée sur la médaille, est maintenant portée et prononcée par tant de fidèles dans le monde entier!

En ce jour où l’Eglise célèbre la visite que tu fis à Elisabeth alors que le Fils de Dieu avait déjà pris chair en ton sein, notre première prière sera pour te louer et te bénir! Tu es bénie entre toutes les femmes! Bienheureuse, toi qui as cru! Le Puissant fit pour toi des merveilles! La merveille de ta maternité divine! Et en vue d’elle, la merveille de ton Immaculée Conception! La merveille de ton fiat!

Tu as été associée si intimement à toute l’œuvre de notre Rédemption, associée à la croix de notre Sauveur; ton Cœur en a été transpercé, à côté de son Cœur. Et maintenant, dans la gloire de ton Fils, tu ne cesses d’intercéder pour nous, pauvres pécheurs. Tu veilles sur l’Eglise dont tu es la Mère. Tu veilles sur chacun de tes enfants. Tu obtiens de Dieu, pour nous, toutes ces grâces que symbolisent les rayons de lumière qui irradient de tes mains ouvertes. A la seule condition que nous osions te les demander, que nous nous approchions de toi avec la confiance, la hardiesse, la simplicité d’un enfant. Et c’est ainsi que tu nous mènes sans cesse vers ton divin Fils.

En ce lieu béni, j’aime te redire moi-même, aujourd’hui, la confiance, l’attachement très profond, dont tu m’as toujours fait la grâce. Totus tuus. Je viens en pèlerin, après tous ceux qui sont venus dans cette chapelle depuis 150 ans, comme tout le peuple chrétien qui se presse ici chaque jour pour te dire sa joie, sa confiance, sa supplication. Je viens comme le bienheureux Maximilien Kolbe: avant son voyage missionnaire au Japon, voilà juste 50 ans, il était venu ici chercher ton soutien particulier pour propager ce qu’il appela ensuite “la Milice de l’Immaculée” et entreprendre son œuvre prodigieuse de rénovation spirituelle, sous ton patronage; avant de donner sa vie pour ses frères.

Le Christ demande aujourd’hui a son Eglise une grande œuvre de rénovation spirituelle. Et moi, humble Successeur de Pierre, c’est cette grande œuvre que je viens te confier, comme je l’ai fait à Jasna Gora, à Notre-Dame de Guadalupe, à Knoch, à Pompei, à Ephèse, comme je le ferai l’an prochain à Lourdes.

Nous te consacrons nos forces et notre disponibilité pour servir le dessein du salut opéré par ton Fils. Nous te prions pour que, grâce à l’Esprit Saint, la foi s’approfondisse et s’affermisse dans tout le peuple chrétien, pour que la communion l’emporte sur tous les germes de division, pour que l’espérance soit ravivée chez ceux qui se découragent.

Nous te prions spécialement pour ce peuple de France, pour l’Eglise qui est en France, pour ses Pasteurs, pour les âmes consacrées, pour les pères et mères de familles, pour les enfants et les jeunes, pour les hommes et les femmes du troisième âge. Nous te prions pour ceux qui souffrent d’une détresse particulière, physique ou morale, qui connaissent la tentation d’infidélité, qui sont ébranlés par le doute dans un climat d’incroyance, pour ceux aussi qui subissent la persécution à cause de leur foi.

Nous te confions l’apostolat des laïcs, le ministère des prêtres, le témoignage des religieuses. Nous te prions pour que l’appel de la vocation sacerdotale et religieuse soit largement entendu et suivi, pour la gloire de Dieu et la vitalité de l’Eglise en ce pays, et celle des pays qui attendent toujours une entraide missionnaire.

Nous te recommandons particulièrement la multitude des Filles de la Charité, dont la Maison Mère est établie en ce lieu et qui, dans l’esprit de leur fondateur saint Vincent de Paul et de sainte Louise de Marillac sont si promptes à servir l’Eglise et les pauvres dans tous les milieux et dans tous les pays. Nous te prions pour celles qui habitent cette Maison et qui accueillent, au cœur de cette capitale fièvreuse, tous les pèlerins qui savent le prix du silence et de la prière.

Je vous salue, Marie,
pleine de grâce, le Seigneur est avec vous,
vous êtes bénie entre toutes les femmes,
et Jésus,
le fruit de vos entrailles,
est béni.
Sainte Marie, Mère de Dieu,
priez pour nous, pauvres pécheurs,
maintenant et à l’heure de notre mort. Amen."

Discours du Pape St Jean-Paul II aux Religieuses
Le Jardin de Rue du Bac, Paris, samedi 31 mai 1980 - also in Italian, Portuguese & Spanish

"Mes chères Sœurs,
1. Au cours de mes voyages apostoliques, j'éprouve un bonheur très profond et toujours nouveau à rencontrer les religieuses, dont l’existence consacrée par les trois vœux évangéliques “appartient inséparablement à la vie et à la sainteté de l’Église” [Lumen Gentium, 44]. Bénissons ensemble le Seigneur qui a permis cette rencontre! Bénissons-le pour les fruits qui en résulteront dans vos vies personnelles, dans vos Congrégations, dans le peuple de Dieu! Merci d’être venues si nombreuses de tous les quartiers de Paris et de la région parisienne, et même de la province! Je suis heureux de vous exprimer, à vous qui êtes ici, comme à toutes le religieuses de France, mon estime, mon affection, mes encouragements.

Ce rassemblement, presque champêtre me fait penser à ces moments de pause et de respiration que le Christ lui-même réservait à ses premiers disciples au retour de certaines tournées apostoliques. Vous aussi, mes chères Sœurs, vous arrivez de vos lieux et tâches d’évangélisation: dispensaires ou maisons-hospitalières, écoles ou collèges, centres de catéchèse ou aumôneries de jeunes, services paroissiaux ou insertions dans les milieux pauvres. Il me plaît de vous redire les paroles du Seigneur: “Venez à l’écart... et reposez-vous un peu” [cf Mc 6, 31]. Ensemble, nous méditerons sur le mystère et le trésor évangélique de votre vocation.

2. La vie religieuse n’est pas votre propriété, pas plus qu’elle n’est la propriété d’un Institut. Elle est “le don divin que l’Église a reçu de son Seigneur et que, par grâce, elle conserve fidèlement” [LG, 43].

En somme, la vie religieuse est un héritage, une réalité vécue en Église depuis des siècles, par une multitude d’hommes et de femmes. Et l’expérience profonde qu’ils en ont faite transcende les différences socioculturelles qui peuvent exister d’un pays à un autre, dépasse aussi les descriptions qu’ils en ont laissées, et se situe au-delà de la diversité des réalisations et des recherches d’aujourd’hui. Il importe de respecter et d’aimer ce riche patrimoine spirituel. Il importe d’écouter et d’imiter ceux et celles qui ont le mieux incarné l’idéal de la perfection évangélique, et qui furent si nombreux à sanctifier et illustrer la terre de France.

Jusqu’au soir de votre vie, demeurez dans l’émerveillement et l’action de grâces pour l’appel mystérieux qui retentit un jour au fond de votre cœur: “Suis-moi” [cf Mt 9, 9; Jn 1, 43]; “Vends tout ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les cieux; puis viens, suis-moi” [Mt 19, 21]. Vous avez d’abord porté cet appel comme un secret, puis vous l’avez soumis au discernement de l’Église.

C’est en effet un bien grand risque de tout laisser pour suivre le Christ. Mais déjà vous sentiez - et vous avez expérimenté depuis - qu’Il était capable de combler votre cœur. La vie religieuse est une amitié, une intimité d’ordre mystique avec le Christ. Votre itinéraire personnel doit être comme une réédition originale du célèbre poème du Cantique des Cantiques. Chères Sœurs, dans le cœur à cœur de l’oraison, absolument vitale pour chacune de vous, comme à l’occasion de vos divers engagements apostoliques écoutez le Seigneur vous murmurer le même appel: “Suis-moi”.

L’ardeur de votre-réponse vous maintiendra dans la fraîcheur le votre première oblation. Vous irez ainsi de fidélité en fidélité!

3. Suivre le Christ est bien autre chose que l’admiration d’un modèle, même si vous avez de bonnes connaissances des Écritures et de la théologie. Suivre le Christ est quelque chose d’existentiel. C’est vouloir l’imiter au point de se laisser configurer à Lui, assimiler à Lui, au point de lui être - selon les paroles de Sœur Élisabeth de la Trinité - “une humanité de surcroît”. Et cela dans son mystère de chasteté, de pauvreté et d'obéissance.

Un tel idéal dépasse l’entendement et dépasse les forces humaines! Il n’est réalisable que grâce à des temps forts de contemplation silencieuse et ardente du Seigneur Jésus. Lès religieuses dites “actives” doivent être à certaines heures des “contemplatives”, à l’exemple des moniales auxquelles je m’adresserai à Lisieux.

La chasteté religieuse, mes Sœurs, c’est véritablement vouloir être comme le Christ; toutes les raisons que l’on peut avancer par ailleurs s’évanouissent devant cette raison essentielle: Jésus était chaste. Cet état du Christ était non seulement un dépassement de la sexualité humaine, préfigurant le monde futur, mais également une manifestation, une “épiphanie” de l’universalité de son oblation rédemptrice.

L’Évangile ne cesse de montrer comment Jésus a vécu la chasteté. Dans ses relations humaines, singulièrement élargies par rapport aux traditions de son milieu et de son époque, il rejoint parfaitement la personnalité profonde de l’autre. Sa simplicité, son respect, sa bonté, son art de susciter le meilleur dans le cœur des personnes rencontrées, bouleversent la Samaritaine, la femme adultère et tant d’autres gens.

Puisse votre vœu de virginité consacrée - approfondi et vécu dans le mystère de la chasteté du Christ - et qui transfigure déjà vos personnes, vous pousser à rejoindre en vérité vos frères et sœurs en humanité, dans les situations concrètes qui sont les leurs!

Tant de gens, dans notre monde, sont comme égarés, écrasés, désespérés! Dans la fidélité aux règles de prudence, faites-leur sentir que vous les aimez à la manière du Christ, en puisant dans son cœur la tendresse humaine et divine qu’il leur porte.

Vous avez également promis au Christ d’être pauvres avec Lui et comme Lui. Certes, la société de production et de consommation pose des problèmes complexes à la pratique de la pauvreté évangélique. Ce n’est pas le lieu et le moment d’en débattre. Il me semble que toute Congrégation doit voir dans ce phénomène économique une invitation providentielle à donner une réponse, à la fois traditionnelle et toute nouvelle au Christ pauvre. C’est en le contemplant souvent et longuement dans sa vie radicalement pauvre, c’est en fréquentant assidûment les humbles et les pauvres, qui sont aussi son visage, que vous serez capables de donner tout ce que vous êtes et tout ce que vous avez. L’Église a besoin d’être comme entraînée par votre témoignage. Mesurez votre responsabilité.

Quant à l’obéissance de Jésus, elle occupe une place centrale dans son œuvre rédemptrice. Vous avez souvent médité les pages où saint Paul parle de la désobéissance initiale, qui fut comme la porte d’entrée du péché et de la mort dans le monde, et il parle du mystère de l’obéissance du Christ qui amorce la remontée de l’humanité vers Dieu.

La dépossession de soi-même, l’humilité sont plus difficiles à notre génération éprise d’autonomie et même de fantaisie. On ne peut cependant imaginer une vie religieuse sans obéissance aux supérieures, qui sont gardiennes de la fidélité à l’idéal de l’Institut. Saint Paul souligne le lien de cause à effet entre l’obéissance du Christ jusqu’à la mort de la croix [cf Phil 2, 6-11] et sa gloire de Ressuscité et de Seigneur de l’univers. De même l’obéissance de toute religieuse - qui est toujours un sacrifice de la volonté, par amour - porte d’abondants fruits de salut pour le monde entier.

4. Vous avez donc accepté de suivre le Christ et de limiter de plus près, pour manifester son véritable visage à ceux qui le connaissent déjà comme à ceux qui ne le connaissent pas. Et cela, à travers toutes ces activités apostoliques aux quelles je faisais allusions au début de notre rencontre.

A ce plan des engagements, étant sauve la spiritualité particulière de vos Instituts, je vous exhorte vivement à vous intégrer dans l’immense réseau des tâches pastorales de l’Église universelle et des diocèses [cf Perfectae Caritatis, 20]. Je sais que des Congrégations ne peuvent - faute de sujets - répondre à tous les appels qui leur viennent des évêques et de leurs prêtres. Faites pourtant l’impossible afin d’assurer les services vitaux des paroisses et des diocèses.Que des religieuses dûment préparées collaborent à la pastorale des réalités nouvelles qui sont nombreuses.

En un mot, investissez au maximum tous vos talents naturels et surnaturels dans l’évangélisation contemporaine. Soyez toujours et partout présentes au monde sans être du monde [cf Jn 17, 15-16]. Ne craignez jamais de laisser clairement reconnaître votre identité de femmes consacrées au Seigneur. Les chrétiens et ceux qui ne le sont pas on droit de savoir qui vous êtes. Le Christ, notre Maître à tous, a fait de sa vie un dévoilement courageux de son identité [cf Lk 9, 26].

Courage et confiance, mes chères Sœurs! Je sais que depuis des années vous avez beaucoup réfléchi sur la vie religieuse, sur vos Constitutions. Le temps est venu de vivre, dans la fidélité au Seigneur et à vos tâches apostoliques. Je prie de tout cœur pour que le témoignage de vos vies consacrées et le visage de vos Congrégations religieuses éveillent dans le cœur de nombreux jeunes le projet de suivre, comme vous, le Christ. Je vous bénis ainsi que toutes les religieuses de France œuvrant sur le sol de la patrie ou sur d’autres continents. Et je bénis tous ceux que vous portez dans votre cœur et votre prière."

Discours de St Jean-Paul II à la Communauté Polonaise de Paris
Esplanade du Champ-de-Mars, Paris, samedi 31 mai 1980 - also in Italian, Portuguese & Spanish

"Mes chers compatriotes, Frères et Sœurs,
Je suis heureux de rencontrer ce très nombreux groupe des Polonais de France, mes compatriotes vivant sur la terre de la France, et d’autres qui sont venus des pays voisins, car je sais qu’ils sont également présents.

Dieu vous bénisse pour cette présence en un moment si particulier. Cette rencontre a été le besoin de mon cœur en même temps que notre commun devoir envers notre Patrie. Je vous salue cordialement, chers Frères et Sœurs, et à travers vous je salue tous les Fils et Filles de notre Patrie que le destin a dirigés en France et unis à elle.

Je désire donc dans cette rencontre rendre témoignage au Christ devant vous, je désire rendre témoignage à vous-mêmes, chers Frères et Sœurs, et à toutes les générations passées qui ont eu à vivre, agir, travailler, lutter et mourir ici, sur cette terre de France. Et je désire également accueillir ce témoignage du passé et votre témoignage du moment présent.

J’ai dit dans un de mes discours que Paris est un lieu d’où l’on voit le monde entier. Je puis dire ici qu’il est également un lieu d’où l’on voit d’une manière particulière la Pologne, son histoire, ou du moins, les grands épisodes de celle-ci, très dramatiques, où c’est son destin qui a été en jeu, son « être ou ne pas être » sur la carte du monde. Moments dramatiques qui déchiraient les cœurs des générations qui les vivaient, mais en même temps moments qui fortifiaient et, parfois aussi, rendaient un sentiment de dignité. Ils consolidaient et creusaient le sens de l’identité nationale : ils ont été un appel lancé à nous-mêmes et aux étrangers pour le droit d’un peuple d’exister à l’intérieur des frontières légitimes et dans le cadre d’une existence étatique.

Le peuple français qui a toujours attaché un grand prix à sa propre liberté, a su être attentif aux autres lorsqu’ils se trouvaient dans des situations difficiles. Aussi est-ce sur cette terre, dans une grande mesure, dans cette ville, que s’élaborait notre réflexion nationale qui fut en même temps une réflexion sur la foi. Et bien que ces nobles désirs, ces grands desseins et visions ne se soient pas toujours réalisés, c’est ici que, dans bien des moments de l’histoire, renaissait notre pensée nationale et se dessinaient les contours d’un nouveau profil de la Patrie et de la nation. Ici trouvaient asile les réfugiés politiques, patriotes, penseurs, prophètes, écrivains, artistes. Ici sont nés plusieurs chefs-d'œuvre parmi les plus grands de notre culture. Ces faits sont connus, et point n’est besoin d’en parler en détail, mais comment, en un moment pareil, ne pas au moins les mentionner ? Est-il possible de ne pas évoquer avec émotion la Grande Émigration et ceux qui la constituaient et qui l’animaient ? Comment ne pas parler de Mickiewicz, Norwid, Chopin ? Excusez-moi de n’en avoir mentionné que quelques-uns. Est-il possible de ne pas rappeler en ce moment que c’est ici, à Paris, que naquit la Congrégation des Pères de la Résurrection pour porter un soutien moral à l’émigration et bâtir une Pologne catholique, suivant son programme ? Ils comprenaient tous leur séjour à Paris comme le service à la Patrie et à la Nation. Ce fut le but de leur activité créatrice, politique, religieuse et leur raison d’être. Ici, dans un climat de liberté, le passé chrétien de la nation, notre tradition chrétienne ont été préservés selon les besoins d’un moment, d’une situation concrète. Ici ont été lus, pour ainsi dire, les signes des temps d’alors, et ils l’ont été à la lumière des paroles du Christ : « L’Esprit donne la vie. » (Jn 6, 63) Et c’est précisément cet esprit qui donne la vie à l’homme, à la nation, à la patrie que ces hommes réveillaient, en maintenant, en développant et en créant les chefs-d'œuvre de la culture polonaise, dans le domaine de la prose, de la poésie, de la musique, de l’art, en fondant des centres, des bibliothèques (la Bibliothèque Polonaise à Paris, malgré de nombreuses difficultés auxquelles elle fait face, continue ces traditions et est un important poste culturel à l’Occident), des institutions pédagogiques et religieuses.

Mais ce n’est pas uniquement dans des moments difficiles que les Polonais prenaient la route vers la France, vers Paris. Les créateurs de notre culture, aussi bien les grands que les moins grands, venaient toujours volontiers ici et y trouvaient l’inspiration et le climat propres à leur activité. Ici renaissait moralement l’émigration, en approfondissant la conscience de sa mission, afin de servir la Patrie. Il en fut ainsi à l’origine, il faut qu’il en soit ainsi toujours, car la pensée de l’émigration, son activité créatrice, son apport à la foi, à la culture et au développement de l’homme, de la Pologne…, du monde, sont un complément inestimable et nécessaire. Sans cela, sans cette voix et cet apport, c’est un élément essentiel qui aurait manqué à cette si complexe et difficile totalité. Et si la Pologne vit son existence propre, si elle a conservé sa culture, sa souveraineté et son identité nationale, la liberté spirituelle, si elle a sa place au monde, et si aujourd’hui, ici à Paris, capitale de la France, c’est un Pape polonais qui vous parle, le mérite en revient également à tous ces hommes qui, avec la foi en la puissance des paroles du Christ : « L’Esprit donne la vie », ont su défendre et développer les valeurs humaines et divines qui sont le fondement de notre existence nationale et chrétienne.

Pardonnez-moi de n’avoir cité que quelques noms, quelques faits. Il y a eu bien d’autres noms, non moins importants. Je les porte tous dans mon cœur, tous et chacun sans exception. Et non seulement les grands. Je pense à ces foules de vos ancêtres, hommes simples, honnêtes, courageux, assidus à la tâche, qui ont été obligés de chercher du pain à l’étranger, ce pain que leur patrie ne leur avait pas donné. Ils y trouvèrent ce pain, ou du moins ils en avaient plus que leur propre terre n’a pu leur en offrir, mais c’est aussi un destin difficile et un dur labeur qui a été leur lot. Ils se sont trouvés déracinés, étrangers sur une terre étrangère. Par leur assiduité et leur honnêteté, ils y gagnèrent pourtant la confiance et l’estime. Plusieurs parmi ceux qui sont présents ici, portent ces expériences en eux. Elles sont inscrites dans vos âmes et sur vos corps. Ce furent d’abord des travailleurs saisonniers qui frayèrent le chemin à des ouvriers réguliers et qui ont été à l’origine de l’émigration agricole polonaise. Ce fut donc le travail aux champs, dans des fermes, les plantations (la Société d’émigration polonaise a eu ses postes à Paris, Soissons, Nancy). Ce fut aussi l’émigration ouvrière, les mineurs d’origine polonaise, les ouvriers d’usines qui s’établissaient principalement dans le Nord et là-bas, dans les mines, qui abordaient avec courage la dure réalité en pensant à la Patrie et à la famille, aux proches qui y sont restés ; ils assumaient le fardeau d’un labeur quotidien dans les mines et les usines, en songeant à un lendemain meilleur. Dans les départements du Pas-de-Calais et dans le Nord principalement, mais aussi dans d’autres (Seine, Meurthe-et-Moselle, Seine-et-Oise, Aisne, etc.), il existe à ce jour de nombreux groupements polonais, vous y êtes nombreux. Et tout comme vos pères, vous y constituez un important potentiel actif de l’économie de ces pays, vous participez d’une manière considérable à son développement et à son progrès, à sa puissance économique et spirituelle. Et ce, suivant les paroles du prophète Jérémie : « Ayez soin de la prospérité du pays dans lequel je vous ai conduits ; priez pour lui votre Dieu, car c’est de sa prospérité que dépend la vôtre. » (29, 7.)

Je pense à la génération qui a été jetée hors de la Patrie par suite des terribles événements de la Seconde Guerre mondiale, à cette génération qui n’a pas perdu courage dans cette tragique heure de l’histoire.

Je pense avec reconnaissance à ces prêtres polonais qui, bon an mal an, avec sacrifice et abnégation, servaient et servent toujours l’émigration. Ils ont le mérite d’avoir sauvegardé la foi au sein de l’émigration. Ce sont eux qui, dans une large mesure, veillaient, malgré tant de difficultés et tant d’obstacles, à la préservation de l’identité, de la langue et du lien avec la mère patrie, en puisant l’inspiration et en cherchant l’appui dans la culture catholique, chrétienne, polonaise. Comment ne pas citer ici le Séminaire Polonais, rue des Irlandais, qui, dans son ministère pastoral, dans la préparation des prêtres polonais et dans le maintien de l’esprit polonais, joue un rôle important ? À cette occasion, je désire exprimer ma reconnaissance à l’Église d’Irlande qui, avec une telle compréhension, est venue au-devant des besoins de l’équipe pastorale polonaise à l’étranger et qui a laissé à leur disposition un immeuble.

Je pense à toutes les organisations et associations pour l’émigration qui, dans la foi en Dieu, cherchent et trouvent l’inspiration pour leur activité. L’une d’elles, l’Association Catholique de la Jeunesse Polonaise, célèbre justement son 50e anniversaire. Avec un amour tout particulier, mais aussi avec inquiétude — car je connais vos difficultés — je pense à vous, les jeunes, à vous tous, filles et garçons, et je vous dis ce que j’ai déjà, à maintes occasions, dit à tant de jeunes : vous êtes l’espoir de l’Église et son avenir, vous êtes l’espoir du monde, du pays dans lequel vous vivez, vous êtes l’espoir de l’émigration, de votre Patrie, vous êtes mon espoir. Ne vous laissez pas miner par des complexes, ne vous coupez pas de cette souche qui vous a permis de croître. Sachez lire ce qui est en vous et autour de vous. Sachez lire, discerner et choisir. L’intégration est certes un processus important pour tous et nécessaire. Aujourd’hui personne ne peut s’enfermer dans son ghetto. Vous vous devez de servir le pays dans lequel vous vivez, de travailler pour lui, de l’aimer et de contribuer à son développement par votre propre enrichissement, celui de votre humanité, de ce qui est en vous, de ce qui constitue votre substance, sans rien défigurer, sans couper les fils qui vous relient au passé et, à travers les générations, à celles de vos parents et des précédentes, qui vous ramènent à une réalité à bien des égards plus pauvre, plus humble que celle dans laquelle vous vivez, mais combien grande, combien précieuse ! Ne vous laissez pas obnubiler par des slogans trop faciles, des lieux communs, des opinions de surface. Lisez la réalité, apprenez-la, aimez-la, transformez-la et donnez-lui une dimension nouvelle, contemporaine. Le fait de la connaître et de vivre avec elle quotidiennement permet de comprendre mieux soi-même et les autres, d’être plus près de Dieu par la foi et l’amour.

L’homme est la mesure des choses et des faits dans un monde créé. Mais c’est Dieu qui est la mesure de l’homme. C’est pourquoi l’homme doit revenir à cette source, à cette mesure unique qu’est Dieu incarné, Jésus-Christ. Il doit s’y reporter constamment s’il veut être homme et s’il veut que son monde soit humain. C’est précisément à cette vérité fondamentale et la plus importante que je désire rendre témoignage par ma visite en France et ma rencontre de ce jour avec vous, mes chers Frères et Sœurs. Revenez à cette vérité, méditez-la et retrouvez en elle vous-mêmes, les autres et toutes les choses qui constituent l’ensemble de la vie humaine, de votre vie concrète et de vos tâches dans tous les domaines. Le Christ ne nous appartient que dans la mesure où nous faisons nôtre son enseignement, son message salvifique d’amour. Croissez, accomplissez-vous dans la foi, dans l’espérance et dans l’amour. C’est cet appel et cette demande que je vous adresse aujourd’hui avec une force particulière.

Et maintenant, permettez que tous, vous et moi, nous tournions nos pensées et nos cœurs vers Jasna Gora, vers la Mère du Christ et de chaque homme, vers notre Mère et Reine de Pologne, et que nous lui confiions nous-mêmes vos familles, vos mères et vos pères, époux et épouses, fils et filles, vos prêtres et vos paroisses, vos proches, l’Église dans votre Patrie et dans le monde, la France à laquelle Dieu a lié votre vie. De tout cœur je vous donne ma bénédiction, à vous tous ici présents, à vos familles et à tous ceux qui s’unissent à nous par le cœur, par la pensée et par la prière."

Rencontre de JPII avec les Représentants de la Communauté Musulmane de France
Paris, samedi 31 mai 1980 - also in Italian, Portuguese & Spanish

"C’est avec une grande joie que je vous adresse mon salut, a vous Musulmans, nos frères dans la foi au Dieu unique. A travers vous, je salue tous vos frères et sœurs qui vivent aussi dans ce pays.

Si le motif qui vous a portés à quitter vos patries respectives, que ce soit le travail ou l’étude, donne à votre démarche un caractère de dignité incontestable, il n’en est pas moins vrai que votre condition d’émigrés vous pose, comme elle pose à ce pays d’accueil, des problèmes sociaux, culturels et religieux importants.

Je sais que des efforts ont été entrepris pour comprendre vos problèmes et pour rechercher des solutions satisfaisantes, et je pense ici en particulier aux nombreuses organisations socioprofessionnelles et culturelles sensibilisées à votre situation ainsi qu’à celle des autres immigrés vivant en France.

L’Église aussi en est consciente. Je mentionnerai seulement deux initiatives qu’elle a prises: la Déclaration conciliaire du 28 octobre 1965, où elle a affirmé sa volonté non seulement de rechercher de dialogue avec l’Islam, mais de “promouvoir ensemble pour tous les hommes, la justice sociale, les valeurs morales, la paix et la liberté”, et la création le 19 mai 1964 du “Secrétariat pour les non-chrétiens”. J’ai réaffirmé récemment cette volonté de l’Église au cours de mon voyage en Afrique, en rencontrant les représentants de l’Islam à Nairobi et à Accra. Un tel souci sur le plan de l’Église universelle trouve une expression plus proche de vous dans le “Secrétariat pour les relations avec l’Islam”, mis en place par l’Église en France.

Tous vos problèmes ne sont pas résolus pour autant, j’en suis conscient, pas plus d’ailleurs que ceux des autres travailleurs dans le monde, pas plus que ceux des nombreux chrétiens qui vivent et travaillent dans un certain nombre de pays musulmans. Mais nous sommes persuadés que la bonne volonté, l’effort sincère de compréhension et la recherche commune des solutions dans un réel désir de conciliation peuvent, avec l’aide du Dieu Unique auquel tous nous croyons, aider à trouver les solutions satisfaisantes.

Notre idéal commun est une société dans laquelle les hommes se reconnaissent comme des frères qui marchent à la lumière de Dieu dans l’émulation pour le bien.

Soyez remerciés de votre présence ici."

Homélie du Pape St JPII a la Messe pour les Travailleurs
La Fête de la Visitation de Marie
Basilique de Saint-Denis, Paris, samedi 31 mai 1980 - also in Italian, Portuguese & Spanish

"1. « Heureuse es-tu ... ».

Permettez-moi, chers Frères et Sœurs réunis a l’intérieur et autour de cette vénérable basilique de Saint-Denis qui abrite les tombeaux des rois de France, de saluer avec vous, Marie, la Mère du Christ.

Les paroles de cette salutation, vous les connaissez. Certainement plus d’une fois, vous les avez prononcées ou vous avez entendu les autres les prononcer:

« Tu est bénie entre toutes les femmes, et le fruit de tes entrailles est béni » [Lc 1, 42].

Salutation qui s’adresse à une femme portant dans son sein un homme: le fruit de la vie et le commencement de la vie. Cette femme vient de loin, de Nazareth, et voici qu’elle entre dans la maison de ses parents, qu’elle est venue visiter. Dès le seuil de la maison, elle entend: « Bienheureuse celle qui a cru en l’accomplissement de ce qui lui a été dit de la part du Seigneur! » [Lc 1, 45].

Au dernier jour du mois de mai, l’Eglise se remémore cette visite et ces paroles; elle salue Marie, la Mère de Jésus-Christ. Elle rend honneur à sa Maternité, alors que celle-ci n’est encore qu’un mystère dans son sein et dans son cœur.

Je veux d’abord rendre honneur à la maternité, et à la foi en l’homme que celle-ci implique. Je veux ensuite rendre hommage au travail de l’homme, ce travail par lequel l’homme procure la vie des siens, de sa famille avant tout ― cette famille a donc des droits fondamentaux ― ; ce travail par lequel l’homme réalise sa vocation à l’amour, car le monde du travail humain est construit sur la force morale, sur l’amour. C’est l’amour qui doit inspirer la justice et la lutte pour la justice.

2. Rendre honneur à la maternité veut dire accepter l’homme dans sa pleine vérité et dans sa pleine dignité, et cela depuis le commencement même. Le commencement de l’homme est dans le cœur de sa mère.

En ce grand rassemblement, auquel participent surtout les travailleurs, je voudrais saluer chaque homme, chaque femme, en vertu de la grande dignité qui est la sienne depuis le premier moment de son existence dans le cœur de sa mère. Tout ce que nous sommes trouve là son commencement.

La première mesure de la dignité de l’homme, la première condition du respect des droits inviolables de la personne humaine, est l’honneur dû à la mère. C’est le culte de la maternité. Nous ne pouvons pas détacher l’homme de son commencement humain. Aujourd’hui que nous avons tant appris sur les mécanismes biologiques qui, dans leurs domaines respectifs, déterminent ce commencement, il nous faut, avec une conscience d’autant plus vive et une conviction d’autant plus ardente, proclamer le commencement humain ― profondément humain ― de tout homme comme la valeur fondamentale et la base de tous ses droits. Le premier droit de l’homme est le droit à la vie.

Nous devons défendre ce droit et cette valeur. Dans le cas contraire, toute la logique de la foi en l’homme, tout le programme de progrès vraiment humain en seraient ébranlés et crouleraient.

Sur le seuil de la maison de Zacharie, Elisabeth dit à Marie: Heureuse es-tu, toi qui as cru [cf Lc 1, 45].

Rendons honneur à la maternité, parce qu’en elle s’exprime la foi en l’homme. J’éprouve une joie supplémentaire à le faire en cette veille de la fête que toutes les familles françaises consacrent aux mères. L’acte de foi en l’homme est le fait que ses parents lui donnent la vie. La Mère le porte en son sein, et elle est prêtre à souffrir toutes les douleurs de l’enfantement; par là-même, avec tout son moi féminin, avec tout son moi maternel, elle proclame sa foi en l’homme. Elle rend témoignage à la valeur qui est en elle et la dépasse en même temps, à la valeur que constitue celui qui, encore inconnu, à peine conçu, pleinement caché dans le sein de sa mère, doit naître et doit se manifester au monde comme un fils de ses parents, comme une confirmation de leur humanité, comme un fruit de leur amour, comme un avenir de la famille: de la famille la plus proche, et en même temps de toute la famille humaine.

Cet enfant sera peut-être faible, inadapté, il sera peut-être déficient. Ainsi en advient-il parfois. La maternité est toujours une douleur ― l’amour pour lequel on paye de sa souffrance ― et il arrive que cet amour doive être encore plus grand que la douleur de l’enfantement lui-même. Cette douleur peut s’étendre sur toute la vie de l’enfant. La valeur de l’humanité est confirmée aussi par ces enfants et par ces hommes dans lesquels elle est retardée et subit parfois une douloureuse dégradation ...

C’est un élément de plus pour dire qu’il ne suffit pas de définir l’homme selon tous les critères biophysiologiques, et qu’il faut croire, depuis le début, en l’homme.

Heureuse es-tu, Marie, toi qui as cru! Celui que tu portes dans ton cœur, comme le fruit de tes entrailles, viendra au monde dans la nuit de Bethléem. Il annoncera ensuite aux hommes l’Evangile, et il montera sur la croix. C’est pour cela en effet qu’il est venu au monde, pour rendre témoignage à la vérité. En lui se manifestera jusqu’au bout la vérité sur l’homme, le mystère de l’homme, son ultime et sa plus haute vocation: la vocation de tout homme, même de l’homme dont l’humanité ne parviendra peut-être pas à un développement complet et normal; de tout homme sans exception, en ne s’arrêtant à aucune considération de qualification ou à des degrés d’intelligence, de sensibilité ou de rendement physique, mais en vertu de son humanité même, du fait qu’il est homme. Parce que, grâce à cela, grâce à son humanité même, il est l’image et la ressemblance du Dieu infini.

3. Je sais que, dans cette assemblée, ce sont surtout des travailleurs qui m’écoutent. Ce quartier, autour de sa basilique chargée d’histoire, s’est transformé aujourd’hui en un des quartiers le plus ouvriers de la banlieue parisienne. Et je sais que beaucoup de travailleurs, français et étrangers, vivent et travaillent ici dans des conditions souvent précaires de logement, de salaire, d’emploi. Je pense aussi à la population française d’Outre-Mer. Un nombre important de ses enfants travaillent ici, à Paris: ils la représentent parmi nous. Je pense d’une façon particulière à ceux qui sont venus de loin, du Portugal, de l’Espagne, de l’Italie, de la Pologne, de la Yougoslavie, de la Turquie, de l’Afrique du Nord, du Mali, du Sénégal, du Sud-Est Asiatique. Malgré les efforts qui ont été réalisés pour eux et l’accueil qui leur est réservé dans ce pays, s’ajoute donc nécessairement à la dure condition ouvrière un déracinement, d’autant plus pénible que parfois la famille est disloquée entre le pays d’origine et le pays de travail. Il y a aussi la souffrance d’un anonymat qui peut donner la nostalgie de la chaleur affective de la cité ou du village natal. Oui, cette vie urbaine actuelle rend les relations humaines difficiles, dans l’essoufflement d’une course jamais terminée entre le lieu de travail, le logement familial et les lieux d’approvisionnement. L’intégration des enfants, des jeunes, des vieillards pose souvent des problèmes aigus. Autant d’appels à œuvrer ensemble pour créer des conditions de vie toujours plus humaines pour tous. La présence des migrants est d’ailleurs une source d’échanges fructueux pour les uns et pour les autres.

Je tiens surtout à encourager l’apostolat chrétien qui est accompli dans un véritable souci d’évangélisation par des prêtres, des religieuses, des laïcs jeunes et adultes, tout dévoués à ce monde ouvrier.

Je vais aborder maintenant une réflexion exigeante sur le travail de l’homme et sur la justice: que tous ceux dont je viens d’évoquer la vie sachent bien que je garde à l’esprit leur situation, leurs efforts, et que je désire leur manifester toute mon affection ainsi qu’à leurs familles.

4. Il existe un lien étroit, il existe un lien particulier entre le travail de l’homme et le milieu fondamental de l’amour humain qui porte le nom de famille.

L’homme travaille depuis les origines pour soumettre la terre et la dominer. Cette définition du travail, nous la tirons des premiers chapitres du Livre de la Genèse. L’homme travaille pour assurer sa subsistance et celle de sa famille. Cette définition du travail, nous la tirons de l’Evangile, de la vie de Jésus, Marie et Joseph, et aussi de l’expérience quotidienne. Ce sont là les définitions fondamentales du travail humain. L’une et l’autre sont authentiques, c’est-à-dire pleinement humanistes, et la seconde comporte en elle-même une plénitude particulière du contenu évangélique.

Il faut suivre ces contenus fondamentaux pour assurer à l’homme une place adéquate dans l’ensemble de l’ordre économique. Il est facile, en effet, de perdre cette place. On la perd lorsqu’on envisage le travail avant tout comme un des éléments de la production, comme une « marchandise » ou un « instrument ». Peu importe le nom des systèmes sur lesquels s’appuie cette position: si l’homme est soumis à la production, s’il en devient seulement l’instrument, on enlève alors au travail, au travail humain, sa dignité et son sens spécifique. On aime se souvenir ici du célèbre mot du Cardinal Cardijn: « Un jeune travailleur vaut plus que tout l’or du monde ».

C’est pourquoi, parmi les diverses mesures qui permettent d’évaluer le travail de l’homme, il faut placer au premier plan la mesure de la famille. Lorsque l’homme travaille pour assurer la subsistance de sa famille, cela signifie que dans son travail il met toute la fatigue quotidienne de l’amour. Car c’est l’amour qui fait naître la famille, c’est lui qui est son expression constante, son milieu stable. L’homme peut aussi aimer le travail pour le travail, parce que celui-ci lui permet de participer à la grande œuvre de domination de la terre, œuvre voulue par le Créateur. Et cet amour, certes, correspond à la dignité de l’homme. Mais l’amour que l’homme met dans son travail ne trouve sa pleine mesure que s’il le relie, s’il l’unit aux hommes eux-mêmes, et surtout à ceux qui sont la chair de sa chair, le sang de son sang. Le travail ne peut donc détruire la famille; il doit au contraire l’unir, l’aider à parfaire sa cohésion. Les droits de la famille doivent être profondément inscrits dans les fondements mêmes de tout code du travail, puisque celui-ci a pour sujet propre l’homme, et non pas seulement la production et le profit. Comment trouver par exemple une solution satisfaisante au problème - semblable en de nombreux pays - de la femme qui travaille en usine, selon un rythme éprouvant, et qui garde le souci constant de sa présence aux enfants et à son mari?

J’évoque ici un vaste programme, qui pourrait faire l’objet d’études nombreuses et spécialisées pour en puiser tout le contenu. Je me limite à quelques aspects qui me semblent d’une importance capitale. Au cours de ma vie, j’ai eu la chance, cette grâce de Dieu, de pouvoir découvrir ces vérités fondamentales sur le travail humain grâce à mon expérience personnelle de travail manuel.

Tant que je vivrai, je me souviendrai des hommes auxquels m’a lié un même chantier de travail, que ce soit dans les carrières de pierres ou en usine. Je n’oublierai pas la bienveillance humaine que mes compagnons de travail, ont manifestée à mon égard. Je n’oublierai pas les échanges que nous avons eus, dans les moments libres, sur les problèmes fondamentaux de l’existence et de la vie des travailleurs. Je sais quelle valeur avaient pour ces hommes, qui étaient en même temps pères de famille, leur foyer, l’avenir de leurs enfants, le respect dû à leurs épouses, à leurs mères. De cette expérience de quelques années j’ai retiré la conviction et la certitude que dans le travail s’exprime l’homme comme un sujet capable d’aimer, orienté vers les valeurs humaines fondamentales, prêt à la solidarité avec tout homme ...

Dans mon expérience de vie, j’ai appris ce qu’est un travailleur, et je porte cela dans món cœur. Je sais que le travail est aussi une nécessité, parfois une dure nécessité; et pourtant l’homme désire la transformer à la mesure de sa dignité et de son amour. C’est là que réside sa grandeur. Bien souvent, les conditions de vie obligent les hommes à quitter leur patrie pour aller chercher du travail, comme c’est le cas de beaucoup d’entre vous. Il faut souhaiter que toute société soit capable de donner assez de travail à ses propres citoyens! Si toutefois l’émigration pour raison de travail devient un besoin ou une nécessité, je n’en souhaite que davantage à tous ceux qui se trouvent dans cette situation de savoir transformer cette nécessité à la mesure de l’amour qui les lie à leurs proches: à leurs familles, à leurs pays natals. Il est faux de dire que le travailleur n’a pas de patrie. Il est en effet, d’une manière particulière; le représentant de son peuple, il est l’homme de sa propre maison. Dans le travail humain sont inscrits surtout la loi de l’amour, le besoin de l’amour, l’ordre de l’amour.

La liturgie d’aujourd’hui en parle elle-même, en utilisant les paroles de l’Apôtre Paul qui, on le sait, vivait du travail de ses mains: « Fuyez le mal avec horreur, attachez-vous au bien. Soyez unis les uns aux autres par l’affection fraternelle ... Aux jours d’espérance, soyez dans la joie; aux jours d’épreuve, tenez bon; priez avec persévérance ..., et que votre maison toujours accueillante ... Soyez joyeux avec ceux qui sont dans la joie, pleurez avec ceux qui pleurent. Soyez bien d’accord entre vous » [Rm 12, 9-16].

5. Le monde du travail humain doit donc être surtout un monde construit sur la force morale: ce doit être le monde de l’amour, et non le monde de la haine. C’est le monde de la construction et non celui de la destruction. Dans le travail humain; sont inscrits profondément les droits de l’homme, de la famille, de la nation, de l’humanité. L’avenir du monde dépend de leur respect.

Ceci veut-il dire que le problème fondamental du monde du travail n’est pas aujourd’hui la justice et la lutte pour la justice sociale? Au contraire: ceci veut dire qu’il n’y a pas moyen de détacher la réalité du travail humain de cette justice et de cette noble lutte.

La liturgie d’aujourd’hui, en la fête de la Visitation de Marie, n’en parle-t-elle pas elle aussi d’une certaine façon? La vérité sur la justice de Dieu ne résonne-t-elle pas en même temps que l’adoration de Dieu, dont la miséricorde est pour toutes les générations, dans les paroles que l’évangéliste saint Luc a mises dans la bouche de la Vierge, qui porte en son sein le Fils de Dieu? « Il a déployé la force de son bras, il a dispersé les hommes au cœur orgueilleux; il a renversé les puissants de leur trône et élevé les humbles; il a rassasié de biens les affamés et renvoyé les riches les mains vides » [Lc 1, 51-53].

Ces paroles disent que le monde voulu par Dieu est un monde de justice. Que l’ordre doit régir les rapports entre les hommes se fonde sur la justice. Que cet ordre doit être continuellement réalisé dans le monde, et même qu’il doit toujours être réalisé de nouveau, au fur et à mesure que croissent et se développent les situations et les systèmes sociaux, au fur et à mesure des nouvelles conditions et des possibilités économiques, des nouvelles possibilités de la technique et de la production, et en même temps des nouvelles possibilités et nécessités de distribution des biens.

Ces paroles du Magnificat de Marie sont prononcées dans le plus bel élan de reconnaissance envers Dieu, qui ― comme le proclame Marie ― a fait en elle de grandes choses. Elles disent que le monde voulu par Dieu ne peut pas être un monde dans lequel les uns, peu nombreux, accumulent en leurs mains des biens excessifs, et les autres ― en nombre nettement supérieur ― souffrent d’indigence, de misère, et meurent de faim.

Qui sont les premiers? Et qui sont les autres? S’agit-il seulement de deux classes sociales opposées, l’une à l’autre? Il ne faut pas s’enfermer ici dans des schémas trop étroits. Il s’agit aujourd’hui, en effet, de sociétés entières, de zones entières du monde, qu’on a déjà définies de diverses façons. On parle par exemple de sociétés développées et de sociétés sous-développées. Mais il faut aussi parler de sociétés de consommation, et de celles dans lesquelles les hommes meurent littéralement de faim. Il faut avoir aujourd’hui une vision très large, universelle, de l’ensemble du problème. Les schémas fermés ne suffisent pas. Ces schémas étroits peuvent parfois, au contraire, davantage obstruer la route que la dégager, par exemple quand il s’agit de la victoire d’un système ou d’un parti plus que des besoins réels de l’homme.

Ces besoins existent pourtant non seulement en matière d’économie, dans le domaine de la distribution des biens matériels. Il existe d’autres véritables besoins humains, il existe aussi d’autres droits de l’homme qui subissent la violence. Et pas seulement les droits de l’homme, mais également les droits de la famille et les droits des nations. « L’homme ne vit pas seulement de pain ... » [Mt 4, 4]. Il n’a pas faim seulement de pain, il a faim, parfois plus encore, de vérité; il a faim de liberté, lorsque sont violés certains de ses droits aussi fondamentaux que le droit à la liberté de conscience et à la liberté religieuse, que le droit à l’éducation des enfants en conformité avec la foi et les convictions des parents et des familles, que le droit à l’instruction selon les capacités et non selon, par exemple, une conjoncture politique ou une conception du monde imposée par la force.

6. Le monde du travail humain, la grande société des travailleurs, s’ils sont construits notamment sur la force morale ― et il devrait en être ainsi! ― doivent par conséquent rester sensibles à toutes ces dimensions de l’injustice qui se sont développées dans le monde contemporain. Ils doivent être capables de lutter noblement pour toute forme de justice: pour le vrai bien de l’homme, pour tous les droits de la personne, de la famille, de la nation, de l’humanité. Cette justice est la condition de la paix, ainsi que le Pape Jean XXIII l’a exprimé avec pénétration dans son encyclique Pacem in terris. La disponibilité à entreprendre une lutte aussi noble, une lutte pour le vrai bien de l’homme dans toutes ses dimensions, dérive des paroles que prononce Marie en portant le Christ dans son cœur, qu’elle prononce au sujet du Dieu vivant, lorsqu’elle dit:

« Il a déployé la force de son bras, / il a dispersé les hommes au cœur orgueilleux; / il a renversé les puissants de leur trône, / il a élevé les humbles; / il a rassasié de bien les affamés, / il a renvoyé les riches les mains vides » [Lc 1, 51-53].

Le Christ dira un jour: « Heureux les affamés et assoiffés de justice, car ils seront rassasiés » [Mt 5, 6]. Toutefois, cette faim de la justice, cet empressement à lutter pour la vérité et pour l’ordre moral dans le monde, ne sont pas et ne peuvent être ni la haine, ni une source de haine dans le monde. Ils ne peuvent pas se transformer en un programme de lutte contre l’homme, uniquement parce qu’il se trouve, si l’on peut s’exprimer ainsi, « dans l’autre camp ». Cette lutte ne peut pas devenir un programme de destruction de l’adversaire, elle ne peut pas créer des mécanismes sociaux et politiques dans lesquels se manifestent des égoïsmes collectifs toujours plus grands, des égoïsmes puissants et destructeurs, des égoïsmes qui détruisent parfois la propre société, la propre nation, qui détruisent aussi sans scrupules les autres: les nations et les sociétés, les plus faibles au point de vue du potentiel humain, économique et de la civilisation, en les privant de leur indépendance et de leur souveraineté effective, et en exploitant leurs ressources.

Notre monde contemporain voit s’accroître la menace terrible de la destruction des uns par les autres, notamment avec l’accumulation des moyens nucléaires. Déjà le coût de ces moyens et le climat de menace qu’ils provoquent ont fait que des millions d’hommes et des peuples entiers ont vu se réduire leurs possibilités de pain et de liberté. Dans ces conditions, la grande société des travailleurs, au nom précisément de la force morale qui se trouve en elle, doit demander catégoriquement et clairement: où, en quel domaine, pourquoi a été dépassée la limite de la noble lutte pour la justice, de la lutte pour le bien de l’homme, en particulier de l’homme le plus marginal et le plus nécessiteux? Où, en quel domaine, pourquoi cette force morale et créatrice s’est-elle transformée en une force destructrice, la haine, dans les nouvelles formes de l’égoïsme collectif, qui laisse apparaître la menace de la possibilité d’une lutte de tous contre tous, et d’une monstrueuse autodestruction?

Notre époque exige que nous posions une telle question, une question aussi fondamentale. C’est un impératif catégorique des consciences: de tout homme, des sociétés entières, en particulier de celles sur lesquelles pèse la responsabilité principale pour aujourd’hui et pour l’avenir du monde. C’est dans cette question que se manifeste la force morale qui est représentée par le travailleur, par le monde du travail, et en même temps par tous les hommes.

Il faut encore nous demander: au nom de quel droit cette force morale, cette disponibilité à lutter pour la vérité, cette faim et cette soif de la justice ont-elles été systématiquement ― et jusque dans les programmes ― détachées des paroles de la Mère qui vénère Dieu de toute son âme alors qu’elle porte dans son cœur le Fils de Dieu? A quel titre la lutte pour la justice dans le monde a-t-elle été liée au programme d’une négation radicale de Dieu? Au programme organisé d’imprégnation athéiste des hommes et des sociétés?

Il faut le demander, sinon pour d’autres raisons, tout au moins au nom de la vérité intégrale sur l’homme. Au nom de sa liberté intérieure et de sa dignité. Et aussi au nom de toute son histoire.

Voilà une question qu’il faut poser.

En tout cas, les chrétiens ne peuvent pas, ne veulent pas préparer ce monde de vérité et de justice dans la haine, mais seulement dans le dynamisme de l’amour.

Et pour conclure, gardons en mémoire les paroles de la liturgie d’aujourd’hui: « Que votre amour soit sans hypocrisie. Fuyez le mal avec horreur, attachez-vous au bien. Soyez unis les uns aux autres par l’affection fraternelle, rivalisez de respect les uns pour les autres. Ne brisez pas l’élan de votre générosité, mais laissez jaillir l’Esprit; soyez les serviteurs du Seigneur. Aux jours d’espérance, soyez dans la joie » [Rm 12, 9-12].

Aos caríssimos Emigrantes de língua portuguesa, com uma afectuosa saudação e votos de todo o bem, exorto igualmente a serem fiéis aos autênticos valores da família como Deus a quer e do trabalho honrado. E isto, ainda que sejam difíceis as condições de vida: pedem-lho a sua vocação cristã e as dignas tradições de que são portadores, mesmo fora da pátria querida. E que Nossa Senhora para todos seja luz e exemplo a seguir e, qual Mãe da nossa confiança, lhes alcance assistência, conforto e graça de Deus!

Quiero dirigir ahora un saludo particularmente cordial, en su propia lengua, a los emigrantes españoles que participan en este acto.

Conozco bien la problemática y dificultades que habéis de afrontar en vuestra vida, en ambiente ajeno y en situación no raras veces de aislamiento. Dad prueba de solidaridad mutua, ayudándoos a mantener y promover vuestra dignidad de hombres y de hijos de Dios. Y no olvidéis los valores cristianos que recibisteis de vuestros antepasados.

Con mi respeto y afectuosa estima hacia vosotros, vuestros hijos y familias, pido al Señor que os bendiga siempre."

Discours de JPII aux Responsables des Mouvements de Laïcs
Paris, samedi 31 mai 1980 - also in German, Italian, Portuguese & Spanish

"Chers amis,
1. Je suis très heureux de rencontrer ce soir les responsables nationaux des mouvements d’apostolat des laïcs. Au-delà de vos personnes, je salue cordialement et encourage tous les membres de vos associations et leurs aumôniers.

Comme votre simple présentation le manifeste, l’apostolat des laïcs en France fleurit dans une très grande variété. Je sais que ce n’est pas seulement le génie bien cartésien de distinguer les divers aspects des choses qui pousse vos compatriotes dans ce sens; mais bien plus le souci de correspondre le mieux possible, soit aux tâches différenciées de l’Église, soit aux situations de vie et d’âge, soit aux milieux de vie, sociaux et professionnels. Ainsi la révision de vie peut gagner en précision et l’action en efficacité profonde. J’y reconnais le signe d’un dynamisme et d’une richesse dont je vous félicite.

2. Chaque mouvement poursuivant son objectif, avec ses méthodes propres, dans son secteur ou son milieu, il demeure cependant important de prendre conscience de votre complémentarité et d’établir des liens entre les mouvements: non seulement une estime mutuelle, un dialogue, mais une certaine concertation et même une réelle collaboration. Vous y êtes invités au nom de votre foi commune, au nom de votre appartenance commune au peuple de Dieu, et plus précisément à la même Église locale, au nom des mêmes visées essentielles de l’apostolat, face aux mêmes problèmes qu’affrontent l’Église et la société.

Oui, il est salutaire de prendre conscience que la spécialisation de vos mouvements permet généralement de saisir en profondeur un aspect des réalités, mais qu’elle appelle d’autres formes complémentaires d’apostolat. Et puis vous ne pouvez jamais oublier que, en plus de vos associations, il y a tout un peuple de baptisés, de confirmés, de fidèles “pratiquants” qui, sans s’inscrire dans un mouvement, mènent personnellement un réel apostolat de chrétien, un apostolat d’Église, dans leurs familles, dans leurs petites communautés, spécialement dans leurs paroisses, par leur exemple et en s’adonnant à de multiples tâches apostoliques: comment ne pas mentionner ici le beau service de la catéchèse auquel tant de laïcs en France consacrent une part de leur cœur et de leur temps, et qui nécessite d’ailleurs une formation continue?

Bref, l’action de votre mouvement prend place dans un ensemble, et je sais que beaucoup d’entre vous sont d’ailleurs soucieux d’aménager des instances de rencontre avec les autres mouvements ou avec les autres chrétiens engagés dans l’apostolat, par exemple au niveau de la paroisse, au niveau du diocèse - le Conseil pastoral devrait y contribuer -; au plan national, n’est-ce pas l’un des rôles du Secrétariat de l’Apostolat des laïcs? En tout cas, ce soir une occasion merveilleuse nous est offerte de réunir en vos personnes une grande part du laïcat organisé, et c’est un symbole de votre vocation à travailler ensemble, à vivre la communion.

3. Ne pouvant malheureusement réserver une parole particulière pour chaque mouvement ou groupe de mouvements, je vais me contenter de souligner quelques perspectives qui font partie intégrante des fondements et orientations de chaque association de chrétiens: votre vocation de laïcs, votre œuvre d’évangélisation, votre identité catholique, votre appartenance ecclésiale, votre prière.

Et tout d’abord, faut-il vous redire à quel point l’Église - et le Pape en son nom - compte sur votre apostolat de laïcs? L’œuvre qui vous revient en propre dans l’Église est essentielle: personne ne vous y remplacera, ni les prêtres, ni les religieuses, que je ne manque pas, vous le savez, d’encourager dans leur rôle spécifique.

Prédicateurs et éducateurs de la foi, les prêtres sont là pour vous aider à imprégner votre vie de l’esprit de l’évangile et pour unir l’offrande spirituelle de votre vie à celle du Christ; leur rôle est indispensable et vous devez vous soucier très fort, vous aussi, des vocations sacerdotales.

De même les religieux et religieuses sont là pour témoigner des béatitudes et de l’amour sans partage du Christ. Je leur demande d’agir en prêtres, en religieux; et vous, vous devez agir en véritables laïcs, responsables à longueur de journées des tâches familiales, sociales et professionnelles où vous incarnez la présence et le témoignage du Christ, où vous cherchez à faire de ce monde et de ses structures un monde plus digne des fils de Dieu.Ainsi vous développez en chrétiens toutes vos capacités d’hommes; et de même les femmes, qui ont un magnifique rôle à jouer aujourd’hui dans l’apostolat, avec toutes les ressources de leur féminité, dans un monde où elles ont et prennent de plus en plus leur place et leurs responsabilités.

Bref, vous participez tous à la mission de l’Église, à sa mission prophétique, sacerdotale et royale, en vertu de votre baptême et de votre confirmation.

Heureux Concile Vatican II qui a mis en lumière votre “vocation de laïcs” en l’articulant sur la vie de l’ensemble du peuple de Dieu! Je n’ai plus besoin de vous citer la Constitution “Lumen Gentium”[1], ni le décret “Apostolicam Actuositatem” qui doivent demeurer la charte de vos droits et devoirs dans l’Église.

A Cracovie, nous avons travaillé ensemble en synode, durant des années, avec les laïcs, pour mieux assimiler et vivre le Concile. J’étais aussi, par la bienveillance de Paul VI, membre du Conseil pontifical pour les laïcs. Et à Rome, j’essaie de prendre le temps de recevoir le plus possible les groupes de laïcs.

Je me suis permis d’insister sur votre beau rôle, sur votre rôle indispensable, alors que vous en êtes bien persuadés et que, probablement, vos mouvements connaissent encore une vitalité et des fruits encourageants. Mais je sais aussi les difficultés que rencontre aujourd’hui votre apostolat. Elles proviennent du monde que vous voulez évangéliser: il est très marqué par la sécularisation, disons même par l’incroyance, et aussi par l’affadissement du sens moral, sans compter les problèmes aigus que posent certaines conditions de vie et les mutations sociales.

Mais les difficultés peuvent aussi affecter vos mouvements eux-mêmes et leurs membres, à cause par exemple d’une hésitation plus grande à s’engager actuellement, ou encore parce que certains mouvements ont connu l’essoufflement et des déviations, peut-être parce qu’ils avaient négligé l’un des éléments dont je vais parler. Mais, malgré tout cela, l’apostolat organisé qui vous est confié, sans nier la place des autres formes d’apostolat, demeure aujourd’hui un instrument dont personne ne doit sous-estimer l’importance pour l’évangélisation.

4. L’évangélisation est bien en effet la finalité commune de tous vos mouvements. C’est par définition le fil conducteur de vos programmes d’action catholique ou de mouvements de spiritualité; mais c’est vrai aussi pour les mouvements chrétiens d’activités culturelles et les mouvements socio-caritatifs, car il s’agit en définitive de faire œuvre d’éducation chrétienne ou de témoigner de la tendresse de Dieu et de former les cœurs à la charité.

Toute l’exhortation apostolique “Evangelii Nuntiandi” de mon prédécesseur Paul VI illustre magnifiquement le sens et les voies de l’évangélisation. Vous êtes appelés à être témoins de la Bonne Nouvelle du salut en Jésus-Christ, à contribuer à la conversion de la conscience personnelle et collective des hommes. Ainsi vous leur permettez de vivre en Église - ce qui suppose témoignage de vie, annonce explicite, catéchèse, vie sacramentelle et communautaire, éducation à l’engagement chrétien - et, par ailleurs, vous imprégnez le monde des valeurs de l’Évangile dans la perspective du Royaume de Dieu.

Votre apostolat annonce donc Jésus-Christ au cœur de la vie familiale, professionnelle, sociale et politique; il oriente les efforts qui sont faits pour créer de meilleures conditions de vie, plus conformes à la justice, à la paix, à la vérité, à la fraternité. Mais le témoignage de vos mouvements ne peut pas se confondre avec une œuvre technique, économique ou politique. Il vise en effet à “rendre neuve l’humanité elle-même,... (et) il n’y a pas d’humanité nouvelle s’il n’y a pas d’abord d’hommes nouveaux de la nouveauté du baptême et de la vie selon l’Évangile”[2], selon la justice, la paix et l’amour du Christ.

5. Cette mission exaltante et exigeante requiert que les membres de vos mouvements fortifient sans cesse leur identité chrétienne et catholique, sans laquelle ils ne pourraient être les témoins dont nous avons parlé. Certes le dialogue apostolique suppose l’effort de regarder et d’analyser attentivement les réalités vécues par nos contemporains; mais en même temps il demande toujours un discernement critique pour trier le bon grain et l’ivraie.

Le dialogue apostolique invite à reconnaître les pierres d’attente et même les signes de l’Esprit Saint au travail dans le cœur des personnes; mais cela suppose précisément le regard d’une foi approfondie, et le souci d’une purification et d’une révélation en plénitude.

C’est pourquoi j’approuve vivement tous les efforts que font vos mouvements pour favoriser un approfondissement de la foi, grâce à une réflexion doctrinale sur le Christ, l’Église, l’homme racheté par le Christ; et une véritable recherche spirituelle. Car, en définitive, le dialogue apostolique part de la foi et suppose une identité chrétienne ferme. Et cela est d’autant plus nécessaire, vous en faites l’expérience, que votre activité apostolique vous plonge dans un monde plus sécularisé, que les questions posées sont plus délicates, que ceux qui s’offrent aujourd’hui à militer dans vos mouvements sont, malgré leur grande générosité, moins assurés dans leur foi, moins soutenus par des structures chrétiennes, plus sensibles aux idéologies étrangères à la foi.

6. Vous ne pouvez fortifier votre identité catholique sans fortifier votre appartenance au peuple de Dieu, dans ses implications pratiques. Cela signifie avoir conscience que tout notre être chrétien nous vient par l’Église: foi, vie divine, sacrements, vie de prière; que l’expérience séculaire de l’Église nous nourrit et nous aide à marcher sur des chemins en partie nouveaux; que le Magistère est donné à l’Église pour garantir son authenticité, son unité et sa marche cohérente et sûre. Plus encore que cela, je souhaite que vos laïcs apprennent à aimer l’Église comme une Mère, qu’ils soient heureux et fiers d’être ses fils et ses membres actifs.

Et, comme je vous le disais au début, l’esprit d’Église doit vous faire rechercher le dialogue et la collaboration avec les autres associations, avec l’ensemble du peuple de Dieu, dont vous n’êtes pas séparables et au service duquel vous êtes. Par ailleurs, je vous ai invités à prendre votre responsabilité de laïcs: elle s’articule nécessairement sur celle du prêtre qui doit garder sa place, dans vos équipes, comme prêtre, comme signe du Christ Tête, participant à sa médiation, et signe de l’Église qui déborde toujours la vie de l’équipe ou du mouvement.

De même, en tant que responsables nationaux au sommet de vos mouvements, vous saurez conjuguer l’unité de programme et d’action avec la souplesse permettant une action adaptée et responsable à tous les échelons. Surtout vos mouvements auront à cœur d’entrer dans les perspectives de l’Église locale, de l’Église universelle, par votre communion confiante avec vos évêques et avec le Successeur de Pierre. Je sais et j’apprécie qu’au niveau national ce lien se manifeste spécialement avec les évêques des Commissions épiscopales spécialisées dans vos problèmes.

7. Je termine en vous encourageant à être des hommes et des femmes de prière. Car c’est l’Esprit de Dieu qui doit être l’âme de votre apostolat, imprégner vos pensées, vos désirs, vos actions, les purifier, les élever. Les laïcs sont appelés comme les prêtres et les religieux à la sainteté; la prière en est le chemin privilégié. Et puis vous avez de multiples occasions de rendre grâce et d'intercéder pour tous ceux que vous côtoyez. J’ai appris avec un grand plaisir qu’il y avait en France un véritable renouveau de la prière, qui se traduit entre autres par la floraison de groupes de prières, mais qui affecte aussi, je l’espère, la vie de vos mouvements.

Dieu soit loué! Que la Vierge Marie accompagne toujours l’apostolat que vous entreprenez au nom de son Fils. Et moi, en vous exprimant ma confiance et ma joie, je vous bénis de tout cœur ainsi que tous les membres de vos mouvements, et vos familles.

“Je vous salue, Marie, / pleine de grâce, / le Seigneur est avec vous, / vous êtes bénie entre toutes les femmes / et Jésus, le fruit de vos entrailles, / est béni. / Sainte Marie, Mère de Dieu, / priez pour nous, pauvres pécheurs, / maintenant, et à l’heure de notre mort. / Amen!”."

Palabras del Santo Padre Juan Pablo II en un Encuentro Informal
con representantesde la JOC y Obreros y Jóvenes de la Acción Católica
Saint-Denis, Sábado 31 de mayo de 1980 - only in Spanish

"Los sacerdotes obreros que trabajan con vosotros saben bien cuán importante es este momento de vuestra vida y este aspecto y finalidad de su apostolado. Habría muchos temas de que hablar; pero creo que entre todas las cuestiones, la fundamental es el hombre; el hombre con su dignidad, vocación y destino. Y por esto tenemos necesidad de Cristo, porque en este sentido El nos da respuesta total y apropiada. Puede decirse que esta respuesta supera a veces la capacidad y aptitud de las personas, pero siempre es respuesta total. Quisiera animaros a seguir adelante, a continuar poniendo a Jesucristo en el centro de la fe, de vuestro testimonio, de vuestro amor, luchas y preocupaciones. Seguid adelante teniendo siempre como punto de referencia al hombre en el pleno sentido de esta palabra; como el Hijo de Dios que vino a la tierra y se hizo hombre, uno de nosotros, para decirnos cuál es la verdadera dignidad de cada uno y hacernos captar esta dignidad. Os lo repito, ¡adelante! Y que Cristo mismo sea la luz de vuestras reuniones, reflexiones y solidaridad. Jesucristo es solidario con cada hombre, con nuestra humanidad, con cada persona humana. Procurad imitarle y seguir su ejemplo, y ser solidarios con los hombres, con vuestros hermanos y hermanas que a lo mejor no conocen a Jesús; con los que comienzan a conocerle, con los que ya lo conocen pero deben aumentar este conocimiento. Es este conocimiento precisamente, la respuesta total a la problemática de nuestra vida; nuestra vida tiene sentido gracias a esta respuesta. Adelante, adelante, y que Jesús está siempre entre vosotros, con vosotros, en medio de vosotros. Os deseo que su luz esté siempre en vuestras comunidades y familias. Os deseo que os hagáis apóstoles, pues como decía Cardjin: "Son los obreros y los jóvenes quienes deben ser apóstoles de los obreros y de los jóvenes". Esto os deseo y esto es lo que mi presencia quería testimoniar"."

Paroles de St Jean Paul II à l'Institut Catholique
Paris, dimanche 1 juin 1980 - also in Italian, Portuguese & Spanish

"Monseigneur le Recteur,
1. Je vous remercie vivement de vos paroles de bienvenue, comme je remercie du fond du cœur tous ceux qui m’entourent ce matin pour cet accueil qui me touche profondément. A mon tour, je vous adresse mon salut le plus cordial, ainsi qu’aux hautes personnalités qui ont bien voulu répondre à votre invitation et qui honorent cette réunion de leur présence. Et je salue tous les membres de la communauté universitaire que je suis particulièrement heureux de rencontrer en ce lieu, héritier de la plus prestigieuse tradition universitaire. Dans ce cadre si évocateur et si chargé d’histoire, vous me permettrez j’en suis sûr, Monseigneur, Mesdames et Messieurs, de retrouver mon âme d’ancien professeur et de m’adresser spécialement à ceux pour lesquels l’Institut Catholique existe: à ses étudiants.

2. Chers amis, la situation qui est la vôtre, ici, à Paris, invite à réfléchir sur les raisons profondes de votre présence dans cet Institut. Le monde universitaire parisien, illustre à tant de titres, n’est-il pas riche de compétences de tous ordres, littéraires et scientifiques? En combien de centres ne pourriez-vous pas trouver, avec le savoir, l’amour de la vérité, fondement de cette liberté intellectuelle sans laquelle il ne peut y avoir, nulle part, ni esprit universitaire ni Université digne de ce nom?

Pourtant, le magnifique développement scientifique de l’époque moderne a aussi ses faiblesses, dont la moindre n’est pas l’attachement quasi exclusif aux sciences de la nature et à leurs applications techniques. L’humanisme lui-même ne se réduit-il pas trop souvent à cultiver amoureusement les grands témoignages du passé sans en retrouver les racines? Les sciences humaines, enfin, découvertes capitales de notre époque, portent elles aussi en elles-mêmes, malgré les horizons qu’elles nous ouvrent, les limites inhérentes à leurs modèles méthodologiques et à leurs présupposés.

En même temps, combien de personnes sont en quête d’une vérité capable d’unifier leur vie?

Recherche émouvante, même lorsque l’appel des valeurs fondamentales inscrites au plus profond de l’être se trouve comme étouffé par l’influence du milieu; recherche souvent anxieuse: c’est “à tâtons”, comme les Athéniens auxquels s’adressait saint Paul, que beaucoup cherchent le Dieu que nous annonçons. D’autant plus que les convulsions de notre époque manifestent sous nos yeux, à bien des égards, l’échec de plus en plus patent de toutes les formes de ce qu’on a pu appeler “l’humanisme athée”.

3. Je ne crois donc pas me tromper en disant que les étudiants demandent à l’Institut Catholique de Paris, en même temps que les divers savoirs qui leur sont offerts et à travers eux, l’accès personnel à un autre ordre de vérité, une vérité totale sur l’homme, inséparable de la vérité sur Dieu telle qu’il nous l’a révélée, car elle ne peut venir que du Père des lumières, du don de l’Esprit Saint, lui dont le Seigneur nous a assuré qu’il nous conduirait vers la vérité tout entière.

C’est pourquoi, bien que votre Maison se soit distinguée elle aussi dans le monde universitaire par les travaux d’hommes éminents dans les diverses branches du savoir, ce n’est pas la science en tant que telle qui justifie d’abord votre appartenance à l’Institut Catholique, mais la lumière qu’il contribue à vous apporter sur vos raisons de vivre. Dans ce domaine, tout homme a besoin de certitude. Nous, chrétiens, nous la trouvons dans le mystère du Christ qui est. selon ses propres paroles, notre chemin, notre vérité, notre vie. C’est lui qui est au départ de notre quête spirituelle, il en est l’âme, il en sera le terme. Ainsi, connaissance religieuse et progrès spirituel vont de pair et, de cette démarche intérieure propre à celui qui cherche Dieu, saint Augustin nous a laissé une formule incomparable: “Fecisti nos ad Te, et inquietum est cor nostrum donec requiescat in Te”.

4. Je ne doute pas, chers amis, chers étudiants et étudiantes, que je rencontre ici vos convictions intimes en évoquant ainsi les raisons de votre présence, mais il me plaît de relever le rôle spécifique irremplaçable de votre Institut et en m’adressant à vous, je pense aussi aux Universités catholiques de France, représentées par leurs Recteurs, et aux Instituts analogues. Ils ont pour tâche propre d’initier à la recherche intellectuelle tout en répondant à votre soif de certitude et de vérité. Ils vous permettent d’unifier existentiellement, dans vôtre travail intellectuel, deux ordres de réalités qu’on a trop souvent tendance à opposer comme si elles étaient antithétiques, la recherche de la vérité et la certitude de connaître déjà la source de la vérité.

Cette esquisse trop rapide suffira à souligner l’importance que j’accorde à l’enseignement catholique en général à ses divers niveaux, et en particulier à la pensée universitaire catholique aujourd’hui. L’ambiance catholique que vous voulez se situe bien au-delà d’un simple environnement. Elle inclut la volonté de se former à un regard chrétien sur le monde, une manière d’appréhender le réel et aussi de concevoir vos études, aussi diverses soient-elles. Je parle ici, vous le comprenez bien, d’une perspective qui dépasse les limites et les méthodes des sciences particulières pour atteindre à la compréhension que vous devez avoir de vous-mêmes, de votre rôle dans la société, du sens de votre vie.

5. Dans l’ensemble de la communauté universitaire, les études philosophiques et théologiques spécialisées tiennent la première place. Il est normal qu’elles soient le cœur de l’Institut. Il est normal et nécessaire aussi que ces sections se distinguent par le sérieux de leur travail, de leurs recherches et de leurs publications. Combien je me félicite de voir l’enseignement théologique s’adresser également à des étudiants laïcs de plus en plus nombreux, leur offrants la possibilité d’une formation chrétienne à la hauteur de leur culture et de leurs responsabilités professionnelles!

Car, que cherchez-vous ici, chers amis, sinon la vérité de la foi? C’est elle qui inspire l’amour de l’Église, à laquelle le Seigneur l’a confié; c’est elle aussi qui requiert, en vertu de son existence interne, l’adhésion convaincue et fidèle au Magistère, auquel seul a été confiée la charge d’interpréter la Parole de Dieu écrite et transmise [cf Dei Verbum, 10] et de définir la foi conformément à cette Révélation [cf Lumen Gentium, 25]. Toute œuvre théologique est au service de la foi. Je sais que c’est un service particulièrement exigeant et méritoire lorsqu’il est ainsi accompli: il a une place capitale dans l’Église, et de sa qualité dépend l’authenticité chrétienne des chercheurs eux-mêmes, des étudiants et finalement des générations à venir.

“Que la foi pense”, selon le mot admirable de saint Augustin! A Paris, de longue date, vous vivez dans ce bouillonnement de la pensée, qui peut être si créateur, comme saint Thomas l’a montré avec éclat dans votre antique Université, dont il fut le modèle des étudiants avant d’en devenir le modèle des maîtres. Aujourd’hui comme de son temps, c’est dans la même fidélité qu’il faut construire à nouveaux frais, mais toujours en prenant comme base l’Évangile, inépuisable dans son éternelle nouveauté, et la doctrine que l’Église a clairement formulée.

6. Tel est l’engagement pastoral de l’Institut Catholique. Je pense d’abord aux laïcs qui profitent de son enseignement. Je suis heureux de les voir si nombreux, si divers. Je retrouve parmi vous un peu de l’Afrique, qui n’est encore plus chère maintenant; l’Amérique Latine, si fortement représentée ici, vers laquelle je me dirigerai bientôt. Je ne puis énumérer tous vos pays, mais je vous dis à tous mon salut affectueux. Chers amis, je souhaite que vos études à l’Institut Catholique vous permettent de vous former une conscience profondément chrétienne et ecclésiale.

Je me réjouis de savoir que la vie de prière fleurit ici. N’est-elle pas comme l’épanouissement spontané de la connaissance du Seigneur? Puisse-t-elle, avec sa grâce, aller toujours se fortifiant.

Vous ne pouvez cependant y progresser sans que se pose un jour la question dans son sens le plus large: “Comment vivrai-je pour le Christ?”. Interrogation inséparable de la prise de conscience personnelle des exigences d’une vie chrétienne authentique. Une telle interrogation mûrit lentement et ne développe que peu à peu sa force vitale. C’est elle qui contribue puissamment à orienter, selon vos convictions chrétiennes affermies par votre passage ici, votre vie familiale et professionnelle. Je prie moi aussi pour vous tous et toutes qui m’écoutez, au moment capital où vous orientez intérieurement votre vie, pour que vous sachiez accueillir cette interrogation si elle se fait plus urgente, plus immédiate: “Que dois-je faire pour le Seigneur?”. Puisse-t-il vous inspirer lui-même la réponse! En vous disant cela, j’ai déjà abordé la considération de vos responsabilités.

Premiers bénéficiaires de la formation que vous recevez, vous ne pouvez pas ignorer à quoi elle vous engage. Monseigneur d’Hulst, fondateur de l’Institut Catholique il y a plus d’un siècle maintenant, disait qu’il avait été établi “pour jeter dans le monde qui pense un ferment chrétien”.

Ceci vous crée des obligations, pour aujourd’hui et pour demain, dans vos divers pays et aussi au-delà.

7. Je viens de faire allusion à l’appel du Seigneur. Je me tourne maintenant vers les prêtres, les séminaristes, les religieux et religieuses qui poursuivent ici leur formation. Sachez que vous avez une grande place dans mon cœur et dans ma prière. Préparez-vous avec ardeur à la tache d’évangélisation qui vous attend. En France, l’Église a été depuis bien longtemps une Église missionnaire, anticipant par là les orientations du Concile Vatican II.

Sans remonter plus haut, cette activité missionnaire suffirait amplement à la gloire du siècle dernier, siècle magnifique où le dynamisme de la foi, loin de se laisser abattre devant l’ampleur de la tâche, s’est épanoui en une foule de familles chrétiennes, de vocations sacerdotales et religieuses, d’institutions de toutes sortes qui ont largement dépassé les frontières de la France.

Durant les journées que j’ai passées dans les Églises si vivantes d’Afrique, j’ai été le témoin émerveillé des moissons qui s’épanouissent, fruit du travail obscur et persévérant auquel tant de missionnaires ont sacrifié leur vie. L’Institut Catholique a été fondé à cette époque. Selon sa vocation propre, il a pris sa part de ce travail. Aujourd’hui plus que jamais, la moisson est grande! Vous vous préparez ici à entrer dans le champ du maître de la moisson. Demain, en France comme dans vos pays respectifs: vous savez combien l’Église compte sur vous.

8. J’ai dit que m’adressais spécialement aux étudiants. Mais maintenant, je veux me tourner aussi vers tous ceux qui se dévouent ici à leur service, parce qu’ils ont compris l’importance de cette tâche d’Église et y ont souvent consacré la majeure partie de leur vie: tout d’abord l’ensemble du corps professoral, qui est particulièrement nombreux et compétent, pour faire face aux multiples spécialisations; les administrateurs de l’Institut Catholique et tous ceux qui permettent à cette Maison de vivre. Je suis heureux de leur exprimer une vive gratitude.

9. Mesdames et Messieurs, chers amis, étudiants et étudiantes, je vous dis en conclusion de cette trop brève visite: soyez fedèles à l’héritage reçu. Continuez à être sensibles aux appels qui vous par viennent. Ne vous laissez pas étouffer par le poids de la sécularisation, rejetez le ferment du doute, le soupçon des sciences humaines, le matérialisme pratique envahissant... Dans ce lieu pénétré d’histoire, je veux vous inviter à partager mon espérance et vous dire ma confiance. Ici, les disciples de sainte Thérèse et de saint Jean de la Croix vous ont laissé le souvenir et l’exemple d’une vie entièrement consacrée à la contemplation de l’unique Vérité. Ici, des prêtres venus déjà d’horizons bien divers, parmi lesquels plusieurs de vos prédécesseurs dans l’Université d’alors, ont donné le témoignage de la fidélité totale. Ici, une nouvelle étape s’est ouverte, il y a un peu plus d’un siècle, avec la fondation de l’Institut Catholique.

Que l’Esprit Saint, l’Esprit de Pentecôte vous aide à clarifier ce qui est équivoque, à réchauffer ce qui est tiède, à éclairer ce qui est obscure, à être devant le monde des témoins authentiques et généreux de l’amour du Christ, car “nul ne peut vivre sans amour”.

Je forme les vœux les plus fervents pour votre enseignement, pour vos études, pour votre avenir.

De tout cœur, je prie le Seigneur de vous donner sa lumière et de vous bénir."

Homélie du Pape St Jean Paul II à la Sainte Messe à Le Bourget
dimanche 1 juin 1980 - also in Italian, Portuguese & Spanish

"Je commencerai par remercier du fond du cœur tous ceux qui ont tenu à se rassembler ici ce matin, en venant même des lointaines provinces de la France. A tous, mes souhaits les plus fervents, et en particulier aux mères de famille, en ce jour de la fête des mères. Je vous convie maintenant à vous recueillir avec moi.

1. Les paroles que nous venons d’entendre ont une double signification: elles terminent l’Evangile comme temps de la révélation du Christ, et en même temps elles l’ouvrent vers l’avenir comme temps de l’Eglise, celui d’un devoir incessant et d’une mission.

Le Christ dit: Allez!

Il indique la direction de la route: toutes les nations.
Il précise la tâche: Enseignez-les, baptisez-les.

L’Eglise se remémore ces paroles en ce jour solennel, où elle veut tout spécialement adorer Dieu dans le mystère intérieur de la Vie de la Divinité: Dieu comme Père, Fils et Saint-Esprit.

Que ces paroles constituent le fondement essentiel de notre méditation, alors que nous nous trouvons tous, par une disposition admirable de la Providence, tout près de Paris, qui est la capitale de la France, l’une des capitales de l’Europe, une parmi bien d’autres, certes, mais unique en son genre, et l’une des capitales du monde.

Dans la dernière phrase que rapporte l’Evangile, le Christ a dit: « Allez dans le monde entier » [1].

Je suis aujourd’hui avec vous, chers Frères et Sœurs, en un de ces lieux depuis lesquels, d’une manière particulière, on voit « le monde », on voit l’histoire de notre « monde » et on voit le « monde » contemporain, le lieu d’où ce monde se connaît et se juge lui-même, connaît et juge ses victoires et ses défaites, ses souffrances et ses espérances.

Permettez que je me laisse prendre, avec vous, à l’éloquence inouïe des paroles que le Christ a adressées à ses disciples. Permettez qu’à travers elles nous fixions les yeux, au moins un instant, sur le mystère insondable de Dieu, et que nous touchions ce qui, dans l’homme, est durable et par conséquent le plus humain.

Permettez que nous nous préparions de cette façon à la célébration de l’Eucharistie, en la solennité de la Sainte Trinité.

2. Le Christ a dit aux Apôtres: « Allez..., enseigne toutes les nations... ». De même qu’aujourd’hui je me trouve pratiquement dans la capitale de la France, de même, il y a un an, en ce même jour du premier dimanche après la Pentecôte, je me trouvais dans une grande prairie de l’ancienne capitale de la Pologne, à Cracovie, dans la ville où j’ai vécu et d’où le Christ m’a appelé au Siège romain de l’Apôtre Pierre. J’ai eu là-bas devant les yeux les visages connus de mes compatriotes, et j’ai eu devant les yeux toute l’histoire de ma nation, depuis son baptême. Cette histoire riche et difficile avait commencé, d’une manière admirable, presque exactement au moment où a été réalisée la dernière parole du Christ adressée aux Apôtres: « Enseignez toutes les nations, baptisez-les... ». Avec le baptême la nation est née et son histoire a commencé.

Cette nation ― la nation dont je suis le fils ― ne vous est pas étrangère. Dans les périodes les plus difficiles, surtout, de son histoire, elle a trouvé chez vous l’appui dont elle avait besoin, les principaux formateurs de sa culture, les porte-parole de son indépendance. Je ne peux pas ne pas m’en souvenir en ce moment. J’en parle avec gratitude...

Bien plus tard qu’ici, les voies missionnaires des successeurs des Apôtres ont atteint la Vistule, les Carpates, la Mer Baltique... Ici, la mission donnée par le Christ aux Apôtres après la Résurrection a trouvé très vite un commencement de réalisation, sinon de manière certaine dès l’époque apostolique, du moins dès le second siècle, avec Irénée, ce grand martyr et père apostolique, qui fut évêque de Lyon. Par ailleurs, dans le Martyrologe romain, on fait très souvent mention de Lutetia Parisiorum...

D’abord la Gaule, et ensuite la France: la Fille aînée de l’Eglise!

Aujourd’hui, dans la capitale de l’histoire de votre nation, je voudrais répéter ces paroles qui constituent votre titre de fierté: Fille aînée de l’Eglise.

Et j’aimerais, en reprenant ce titre, adorer avec vous le mystère admirable de la Providence. Je voudrais rendre hommage au Dieu vivant qui, agissant à travers les peuples, écrit l’histoire du salut dans le cœur de l’homme.

Cette histoire est aussi vieille que l’homme. Elle remonte même à sa « préhistoire », elle remonte au commencement. Quand le Christ a dit aux Apôtres: « Allez, enseignez toutes les nations... », il a déjà confirmé la durée de l’histoire du salut, et en même temps il a annoncé cette étape particulière, la dernière étape.

3. Cette histoire particulière est caché au plus intime de l’homme, elle est mystérieuse et pourtant réelle aussi dans sa réalité historique, elle est revêtue, d’une manière visible, des faits, des événements, des existences humaines, des individualités. Un très grand chapitre de cette histoire a été inscrit dans l’histoire de votre patrie, par les fils et les filles de votre nation. Il serait difficile de les nommer tous, mais j’évoquerai au moins ceux qui ont exercé la plus grande influence dans ma vie: Jeanne d’Arc, François de Sales, Vincent de Paul, Louis-Marie Grignion de Montfort, Jean-Marie Vianney, Bernadette de Lourdes, Thérèse de Lisieux, Sœur Elisabeth de la Trinité, le Père de Foucauld, et tous les autres. Ils sont tellement présents dans la vie de toute l’Eglise, tellement influents par la lumière et la puissance de l’Esprit Saint!

Ils vous diraient tous mieux que moi que l’histoire du salut a commencé avec l’histoire de l’homme, que l’histoire du salut connaît toujours un nouveau commencement, qu’elle commence en tout homme venant en ce monde. De cette façon, l’histoire du salut entre dans l’histoire des peuples, des nations, des patries, des continents.

L’histoire du salut commence en Dieu. C’est précisément ce que le Christ a révélé et a déclaré jusqu’à la fin lorsqu’il a dit: « Allez.... enseignez toutes les nations, baptisez-les au nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit ».

« Baptiser » veut dire « plonger », et le « nom » signifie la réalité même qu’il exprime. Baptiser au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit veut dire plonger l’homme dans cette Réalité même que nous exprimons par le nom de Père, Fils et Saint-Esprit, la Réalité qu’est Dieu dans sa Divinité: la Réalité tout à fait insondable, qui n’est complètement reconnaissable et compréhensible qu’à elle-même. Et en même temps, le baptême plonge l’homme dans cette Réalité qui, comme Père, Fils et Saint-Esprit, s’est ouverte à l’homme. Elle s’est ouverte réellement. Rien n’est plus réel que cette ouverture, cette communication, ce don à l’homme du Dieu ineffable. Quand nous entendons les noms du Père, du Fils et du Saint-Esprit, ils nous parlent justement de ce don, de cette « communication » inouïe de Dieu qui, en lui-même, est impénétrable à l’homme... Cette communication, ce don est du Père, il a atteint son sommet historique et sa plénitude dans le Fils crucifié et ressuscité, il demeure encore dans l’Esprit, qui « intercède pour nous en des gémissements ineffables » [2].

Les paroles que le Christ, à la fin de sa mission historique, a adressées aux Apôtres, sont une synthèse absolue de tout ce qui avait constitué cette mission, étape par étape, de l’Annonciation jusqu’à la Crucifixion... et finalement à la Résurrection.

4. Au cœur de cette mission, au cœur de la mission du Christ, il y a l’homme, tout homme. A travers l’homme, il y a les nations, toutes les nations.

La liturgie d’aujourd’hui est théocentrique, et pourtant c’est l’homme qu’elle proclame. Elle le proclame, parce que l’homme est au cœur même du mystère du Christ, l’homme est dans le cœur du Père, et du Fils et du Saint-Esprit. Et cela depuis le début. N’a-t-il pas été crée à l’image et à la ressemblance de Dieu? Hors de cela, l’homme n’a pas de sens. L’homme n’a un sens dans le monde que comme image et ressemblance de Dieu. Autrement il n’a pas de sens, et on en viendrait à dire, comme l’ont affirmé certains, que l’homme n’est qu’une « passion inutile ».

Oui. C’est l’homme qui est proclamé lui aussi par la liturgie d’aujourd’hui.

« A voir ton ciel, ouvrage de tes doigts, / la lune et les étoiles, que tu fixas, / qu’est donc l’homme, que tu en gardes mémoire, / le fils d’Adam, que tu en prennes souci? / A peine le fis-tu moindre qu’un dieu, / le couronnant de gloire et de splendeur; / tu lui as donné pouvoir sur les œuvres de tes mains, / tout fut mis par toi sous ses pieds » [3].

5. L’homme... l’éloge de l’homme... l’affirmation de l’homme.

Oui, l’affirmation de l’homme tout entier, dans sa constitution spirituelle et corporelle, dans ce qui le manifeste comme sujet extérieurement et intérieurement. L’homme adapté, dans sa structure visible, à toutes les créatures du monde visible, et en même temps intérieurement allié à la sagesse éternelle. Et cette sagesse, elle aussi, est annoncée par la liturgie d’aujourd’hui, qui chante son origine divine, sa présence perceptible dans toute l’œuvre de la création pour dire à la fin qu’elle « trouve ses délices avec les fils des hommes » [4].

Que n’ont pas fait les fils et les filles de votre nation pour la connaissance de l’homme, pour exprimer l’homme par la formulation de ses droits inaliénables! On sait la place que l’idée de liberté, d’égalité et de fraternité tient dans votre culture, dans votre histoire. Au fond, ce sont-là des idées chrétiennes. Je le dis tout en ayant bien conscience que ceux qui ont formulé ainsi, les premiers, cet idéal, ne se référaient pas à l’alliance de l’homme avec la sagesse éternelle. Mais ils voulaient agir pour l’homme.

Pour nous, l’alliance intérieure avec la sagesse se trouve à la base de toute culture et du véritable progrès de l’homme.

Le développement contemporain et le progrès auxquels nous participons sont-ils le fruit de l’alliance avec la sagesse? Ne sont-ils pas seulement une science toujours plus exacte des objets et des choses, sur laquelle se construit le progrès vertigineux de la technique? L’homme, artisan de ce progrès, ne devient-il pas toujours plus l’objet de ce processus? Et voilà que s’effondre toujours plus en lui et autour de lui cette alliance avec la sagesse, l’éternelle alliance avec la sagesse qui est elle-même la source de la culture, c’est-à-dire de la vrai croissance de l’homme.

6. Le Christ est venu au monde au nom de l’alliance de l’homme avec la sagesse éternelle. Au nom de cette alliance, il est né de la Vierge Marie et il a annoncé l’Evangile. Au nom de cette alliance, « crucifié... sous Ponce Pilate » il est allé sur la croix et il est ressuscité. Au nom de cette alliance, renouvelée dans sa mort et dans sa résurrection, il nous donne son Esprit...

L’alliance avec la sagesse éternelle continue en Lui. Elle continue au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Elle continue comme le fait d’enseigner les nations et de baptiser, comme l’Evangile et l’Eucharistie. Elle continue comme l’Eglise, c’est-à-dire le Corps du Christ, le peuple de Dieu.

Dans cette alliance, l’homme doit croître et se développer comme homme. Il doit croître et se développer à partir du fondement divin de son humanité, c’est-à-dire comme image et ressemblance de Dieu lui-même. Il doit croître et se développer comme fils de l’adoption divine.

Comme fils de l’adoption divine, l’homme doit croître et se développer à travers tout ce qui concourt au développement et au progrès du monde où il vit. A travers toutes les œuvres de ses mains et de son génie. A travers les succès de la science contemporaine et l’application de la technique moderne. A travers tout ce qu’il connaît au sujet du macrocosme et du microcosme, grâce à un équipement toujours plus perfectionné.

Comment se fait-il que, depuis un certain temps, l’homme ait découvert dans tout ce gigantesque progrès une source de menace pour lui-même? De quelle façon et par quelles voies en est-on arrivé à ce que, au cœur même de la science et de la technique modernes, soit apparue la possibilité de la gigantesque autodestruction de l’homme; à ce que la vie quotidienne offre tant de preuves de l’emploi, contre l’homme, de ce qui devait être pour l’homme et devait servir l’homme?

Comment en est-on arrivé la? L’homme en marche vers le progrès n’a-t-il pas pris un seul chemin, le plus facile, et n’a-t-il pas négligé l’alliance avec la sagesse éternelle? N’a-t-il pas pris la voie « spacieuse », en négligeant la voie « étroite » [5]?

7. Le Christ dit: « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre » [6]. Il le dit alors que le pouvoir terrestre ― le Sanhédrin, le pouvoir de Pilate ― a montré sa suprématie sur Lui, en décrétant sa mort sur la croix. Il le dit aussi après sa résurrection.

« Le pouvoir au ciel et sur la terre » n’est pas un pouvoir contre l’homme. Ce n’est même pas un pouvoir de l’homme sur l’homme. C’est le pouvoir qui permet à l’homme de se révéler à lui-même dans sa royauté, dans toute la plénitude de sa dignité. C’est le pouvoir dont l’homme doit découvrir dans son cœur la puissance spécifique, par lequel il doit se révéler à lui-même dans les dimensions de sa conscience dans la perspective de la vie éternelle. Alors se révélera en lui toute la force de baptême, il saura qu’il est « plongé » dans le Père, le Fils et le Saint-Esprit, il se retrouvera complètement lui-même dans le Verbe éternel, dans l’Amour infini.

C’est à cela que l’homme est appelé dans l’alliance avec la sagesse éternelle.

Tel est aussi ce « pouvoir » qu’a le Christ « au ciel et sur la terre ».

L’homme d’aujourd’hui a beaucoup augmenté son pouvoir sur la terre, il pense même à son expansion au-delà de notre planète.

On peut dire en même temps que le pouvoir de l’homme sur l’autre homme devient toujours plus lourd. En abandonnant l’alliance avec la sagesse éternelle, il sait de moins en moins se gouverner lui-même, il ne sait pas non plus gouverner les autres. Combien pressante est devenue la question des droits fondamentaux de l’homme!

Quel visage menaçant révèlent le totalitarisme et l’impérialisme, dans lesquels l’homme cesse d’être le sujet, ce qui équivaut à dire qu’il cesse de compter comme homme. Il compte seulement comme une unité et un objet!

Ecoutons encore une fois ce que dit le Christ par ces mots: « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre », et méditons toute la vérité de ces paroles.

8. Le Christ, à la fin, dit encore ceci: « Je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde » [7]; cela signifie donc aussi: aujourd’hui, en 1980, pour toute époque.

Le problème de l’absence du Christ n’existe pas. Le problème de son éloignement de l’histoire de l’homme n’existe pas. Le silence de Dieu à l’égard des inquiétudes du cœur et du sort de l’homme n’existe pas.

Il n’y a qu’un seul problème qui existe toujours et partout: le problème de notre présence auprès du Christ. De notre permanence dans le Christ. De notre intimité avec la vérité authentique de ses paroles et avec la puissance de son amour. Il n’existe qu’un problème, celui de notre fidélité à l’alliance avec la sagesse éternelle, qui est source d’une vrai culture, c’est-à-dire de la croissance de l’homme, et celui de la fidélité aux promesses de notre baptême au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit!

Alors permettez-moi, pour conclure, de vous interroger:
France, Fille aînée de l’Eglise, es-tu fidèle aux promesses de ton baptême?

Permettez-moi de vous demander:
France, Fille de l’Eglise et éducatrice des peuples, es-tu fidèle, pour le bien de l’homme, à l’alliance avec la sagesse éternelle?

Pardonnez-moi cette question. Je l’ai posée comme le fait le ministre au moment du baptême. Je l’ai posée par sollicitude pour l’Eglise dont je suis le premier prêtre et le premier serviteur, et par amour pour l’homme dont la grandeur définitive est en Dieu, Père Fils et Saint-Esprit."

Paroles du Pape St Jean Paul II à l'Angélus
Paris, dimanche le 1er juin 1980 - also in Italian, Portuguese & Spanish

"Chers frères et sœurs,
Aujourd’hui, dans chaque famille de France, la mère sera honorée et fêtée. Les enfants lui offriront le meilleur cadeau que leur cœur aura choisi. Il est beau que chacun se tourne spécialement vers sa mère, lorsqu’il a la chance de l’avoir encore, car c’est elle qui introduit l’homme à la vie, c’est elle qui lui apprend à aimer en l’entourant la première d’affection.

De même, nous les chrétiens, nous devons souvent nous tourner vers Marie, car par elle, grâce à l’Esprit Saint, nous avons reçu le Christ qui nous a fait connaître la tendresse du Père des cieux.

Comment pourrions-nous vivre notre baptême, sans contempler Marie, bénie entre toutes les femmes, si accueillante au don de Dieu? Le Christ nous l’a donnée pour Mère. Il l’a donnée pour Mère à l’Eglise. Elle nous montre le chemin. Bien plus, elle intercède pour nous. Spontanément chaque catholique lui confie sa prière, et même se consacre à elle pour mieux se consacrer à Dieu.

Vous connaissez bien cette belle coutume de l’Eglise de marquer le matin, le midi et le soir par une halte de prière, l’Angélus, pour redire à Marie la première salutation de l’Ange Gabriel et sa propre réponse, pour entrer nous-mêmes dans le mystère du Dieu fait homme. Souvent les cloches de vos églises continuent à vous inviter à cette prière, que nous allons dire ensemble. Que Marie veille sur chacune de vos familles, sur chacune de vos cités! Qu’elle veille sur la France!"

Rencontre de St Jean Paul II avec la Communauté Juive Francaise
Issy-les-Moulineaux, dimanche 1 juin 1980 - also in Italian & Spanish

"Chers Frères,
C’est une joie pour moi de recevoir les représentants de la nombreuse et vivante communauté juive de France. Cette communauté a en effet une longue et glorieuse histoire. Est-il besoin de rappeler ici les théologiens, les exégètes, les philosophes et les hommes publics qui l’ont distinguée dans le passé et la distinguent toujours?

Il est vrai aussi, et je tiens à la mentionner, que votre communauté a eu beaucoup à souffrir pendant les années obscures de l’occupation et de la guerre. Je rends hommage à ces victimes dont nous savons que le sacrifice n’est pas resté infructueux. C’est de là qu’est vraiment parti, grâce au courage et à la décision de quelques pionniers, dont Jules Isaac, le mouvement qui nous a conduits jusqu’au dialogue et à la collaboration présents, inspirés et promus par la Déclaration “Nostra Aetate” du Concile Vatican II.

Ce dialogue et cette collaboration sont très vivants et très actifs ici en France. Je m’en félicite. Entre le judaïsme et l’Église, il y a un rapport, comme je l’ai dit en une autre occasion à des représentants juifs, un rapport “au niveau même de leurs respectives identités religieuses” [JPII, 12 mar 1979]. Ce rapport doit être encore approfondi et enrichi par l’étude, la connaissance mutuelle, l’enseignement religieux de part et l’autre, et l’effort pour surmonter les difficultés encore existantes.

Cela nous permettra d’œuvrer ensemble pour une société libre de discriminations et de préjugés, où puissent régner l’amour et non la haine, la paix et non la guerre, la justice et non l’oppression. C’est vers cet idéal biblique qu’il nous convient de regarder toujours, puisqu’il nous unit si profondément.Je profite de cette heureuse occasion pour le réaffirmer encore devant vous et vous exprimer mon espoir de le poursuivre ensemble."

Discours de St Jean Paul II aux Évêques de France
Paris dimanche 1er juin 1980 - also in German, Italian, Portuguese & Spanish

"1. Dieu soit loué de nous avoir donné le temps de nous rencontrer un peu longuement dans le cadre de cette brève visite! J’attache une grande importance à cette rencontre. Pour des raisons de “collégialité”. Nous savons que la collégialité a un double caractère: elle est “effective”, mais elle est aussi “affective”. Et cela est profondément conforme à son origine, qu’elle a trouvée autour du Christ dans la communion des “Douze”.

Nous vivons donc un moment important de notre communion épiscopale, les Évêques de France autour de l’Évêque de Rome qui, cette fois, est leur hôte, alors qu’il les a reçus d’autres fois en diverses occasions, par exemple au cours des visites “ad limina”, spécialement en 1977 où Paul VI a fait avec vous le point sur un grand nombre de questions, d’une façon qui demeure très valable aujourd’hui. Il nous faut rendre grâce à Dieu de ce que Vatican II ait entrepris, confirmé et rénové la doctrine sur la collégialité de l’épiscopat, comme l’expression vivante et authentique du collège que, par l’institution du Christ, les Apôtres ont constitué avec Pierre à leur tête. Et nous rendons grâce aussi à Dieu de pouvoir, sur cette route, mieux accomplir notre mission: rendre témoignage à l’Évangile, et servir l’Église et aussi le monde contemporain, auquel nous avons été envoyés avec toute l’Église.

Je vous remercie vivement de m’avoir invité, d’avoir mis au point, avec un grand soin, les détails de cette pastorale, d’avoir mis en œuvre tant de préparatifs, d’avoir sensibilisé le peuple chrétien au sens de ma venue, d’avoir manifesté empressement et ouverture qui sont des attitudes si importantes pour notre mission de pasteurs et de docteurs de la foi. Je rends spécialement hommage au Cardinal Marty qui nous reçoit dans le séminaire de sa province; au Cardinal Etchegaray, Président de la Conférence épiscopale, au Cardinal Renard, primat des Gaules, au Cardinal Gouyon et au Cardinal Guyot; mais il faudrait que je nomme chaque évêque, et cela n’est pas possible. J’ai eu l’honneur de rencontrer un certain nombre d’entre vous et de collaborer avec eux dans le passé: d’abord dans les sessions du Concile, bien sûr, mais aussi dans les diverses Synodes, au Conseil des Conférences épiscopales d’Europe, ou en d’autres occasions, dont je garde un heureux souvenir. Cela nous permet de travailler de plain-pied ensemble, même si je viens désormais avec une responsabilité particulière.

2. La mission de l’Église, qui se réalise continuellement dans la perspective eschatologique, est en même temps pleinement historique. Cela se rattache au devoir de lire les “signes des temps”, qui a été si profondément pris en compte par Vatican II. Avec une grande perspicacité, le Concile a également défini quelle est la mission de l’Église dans l’étape actuelle de l’histoire. Notre tâche commune demeure donc l’acceptation et la réalisation de Vatican II, selon son contenu authentique.

Ce faisant, nous sommes guidés par la foi: c’est notre raison d’agir principale et fondamentale.

Nous croyons que le Christ, par l’Esprit Saint, était avec les Pères conciliaires, que le Concile contient, dans son magistère, ce que l’Esprit “dit à l’Église”, et qu’il le dit en même temps dans une pleine harmonie avec la Tradition et selon les exigences posées par les “signes des temps”. Cette foi est fondée sur la promesse du Christ: “Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde” [Mt 28, 20] ; sur cette foi se fonde aussi notre conviction qu’il nous faut “réaliser le Concile” tel qu’il est, et non comme certains voudraient le voir et le comprendre.

Il n’y a rien d’étonnant à ce que, dans cette étape “post conciliaire”, se soient aussi développées, avec une assez grande intensité, certaines interprétations de Vatican II qui ne correspondent pas à son magistère authentique. Il s’agit ici de deux tendances bien connues: le “progressisme” et l’“intégrisme”. Les uns sont toujours impatients d’adapter même le contenu de la foi, l’éthique chrétienne, la liturgie, l’organisation ecclésiale aux changements des mentalités, aux requêtes du “monde”, sans tenir compte suffisamment, non seulement du sens commun des fidèles, qui sont désorientés, mais de l’essentiel de la foi, déjà définie, des racines de l’Église, de son expérience séculaire, des normes nécessaires à sa fidélité, à son unité, à son universalité.

Ils ont la hantise d’“avancer”, mais vers quel “progrès” en définitive? Les autres - revalant de tels abus que nous sommes bien évidemment les premiers à réprouver et à corriger - se durcissent en s’enfermant dans une période donnée de l’Église, à un stade donné de formulation théologique ou d’expression liturgique dont ils font un absolu, sans pénétrer suffisamment le sens profond, sans considérer la totalité de l’histoire et son développement légitime, en craignant les questions nouvelles, sans admettre en définitive que l’Esprit de Dieu est à l’œuvre aujourd’hui dans l’Église, avec ses Pasteurs unis au Successeur de Pierre.

Ces faits ne sont pas étonnants. si l’on pense aux phénomènes analogues dans l’histoire de l’Église.

Mais il est d’autant plus nécessaire de concentrer toutes les forces sur l’interprétations juste, c’est à dire authentique, du magistère conciliaire, comme le fondement indispensable de l’auto-réalisation ultérieure de l’Église, pour laquelle ce magistère est la source des inspirations et des orientations justes. Les deux tendances extrêmes que je signalais entretiennent non seulement une opposition, mais une division fâcheuse et préjudiciable, comme si elles s’attisaient mutuellement au point de créer un malaise pour tous, voire un scandale, et de dépenser dans ce soupçon et cette critique réciproques tant d’énergies qui seraient si utiles à un véritable renouveau.

Il faut espérer que les uns et les autres, qui ne manquent pas de générosité ni de foi, apprennent humblement, avec leurs Pasteurs, à surmonter cette opposition entre frères, pour accepter l’interprétation authentique du Concile - car c’est là la question de fond - et pour faire face ensemble à la mission de l’Église, dans la diversité de leur sensibilité pastorale.

Certes la grande majorité des chrétiens de votre pays sont prêts à manifester leur fidélité et leur disponibilité à suivre l’Église; ils ne partagent pas ces positions extrêmes et abusives, mais un certain nombre flottent entre les deux ou en sont troublés; et le problème est aussi qu’ils risquent de devenir indifférents et de s’éloigner de la foi. L’heure vous impose d’être plus que jamais les artisans de l’unité, en veillant à la fois aux questions de fond qui sont en jeu et aux difficultés psychologiques qui empêchent la vie ecclésiale dans la vérité et dans la charité.

3. J’en viens maintenant à une autre question fondamentale: pourquoi, dans l’étape actuelle de la mission de l’Église, une concentration particulière sur l’homme est-elle nécessaire? J’ai développé cela dans l’encyclique “Redemptor Hominis”, en essayant de mettre en évidence le fait que cet accent anthropologique a une racine christologique profonde et forte.

Les causes en sont diverses. Il y a des causes visibles et perceptibles, selon les variations multiples qui dépendent par exemple du milieu, du pays, de la nation, de l’histoire, de la culture. Il existe donc certainement un ensemble spécifique de causes qui sont caractéristiques de la réalité “française” de l’Église dans le monde de ce temps. Vous êtes les mieux placés pour les connaître et les comprendre. Si je me permets d’aborder ce sujet, je le fais avec la conviction que le problème - vu l’état actuel de la civilisation d’une part, et les menaces qui pèsent sur l’humanité d’autre part - a une dimension à la fois fondamentale et universelle. Dans cette dimension universelle et en même temps locale, l’Église doit par conséquent affronter la problématique commune de l’homme comme une partie intégrante de sa mission évangélique.

Non seulement le message évangélique est adressé à l’homme, mais c’est un grand message messianique sur l’homme: c’est la révélation à l’homme de la vérité totale sur lui-même et sur sa vocation dans le Christ [cf Gaudium et Spes].

En annonçant ce message, nous sommes au centre de la réalisation de Vatican II. Et la mise en œuvre de ce message nous est d’ailleurs imposée par l’ensemble de la situation de l’homme dans le monde contemporain. Je ne voudrais pas répéter ce qui a déjà été dit dans “Gaudium et Spes” et dans “Redemptor Hominis”, auxquels il faut toujours se reporter. Toutefois, il n’est peut-être pas exagéré de dire, en ce lieu et dans ce cadre, que nous vivons une étape de tentation particulière pour l’homme.

Nous connaissons différentes étapes de cette tentation, à commencer par la première, au chapitre trois de la Genèse, jusqu’aux tentations si significatives auxquelles a été soumis le Christ lui-même: elles sont comme une synthèse de toutes les tentations nées de la triple concupiscence. La tentation actuelle cependant va plus loin (on pourrait presque dire que c’est une “méta-tentation”); elle va “au-delà” de tout ce qui, au cours de l’histoire, a constitué le thème de la tentation de l’homme, et elle manifeste en même temps, pourrait-on dire, le fond même de toute tentation. L’homme contemporain est soumis à la tentation du refus de Dieu au nom de sa propre humanité.

C’est une tentation particulièrement profonde et particulièrement menaçante du point de vue anthropologique, si l’on considère que l’homme n’a lui-même un sens que comme image et ressemblance de Dieu.

4. En tant que pasteurs de l’Église envoyés à l’homme de notre temps, nous devons être bien conscients de cette tentation, sous ses multiples aspects, non pas pour “juger l’homme”, mais pour aimer davantage encore cet homme: “aimer” veut toujours dire d’abord “comprendre”.

En même temps que cette attitude que nous pourrions appeler passive, il nous faut avoir, d’une manière d’autant plus profonde, une attitude positive, je veux dire être conscient de ce que l’homme historique est très profondément inscrit dans le mystère du Christ, être conscient de la capacité anthropologique de ce mystère, de “la largeur, la longueur, la hauteur et la profondeur”, selon l’expression de saint Paul [Eph 3, 18].

Nous devons ensuite être particulièrement disposés au dialogue. Mais il faut avant tout définir sa signification principale et ses conditions fondamentales.

Selon la pensée de Paul VI, et on peut dire aussi du Concile, le “dialogue” signifie certainement l’ouverture, la capacité de comprendre un autre jusqu’aux racines mêmes: son histoire, le chemin qu’il a parcouru, les inspirations qui l’animent. Il ne signifie ni l’indifférentisme, ni en aucune façon “l’art de confondre les concepts essentiels”; or malheureusement, cet art est très souvent reconnu comme équivalant à l’attitude du “dialogue”. Et il ne signifie pas non plus “voiler” la vérité de ses convictions, de son “credo”.

Certes, le Concile requiert de l’Église à notre époque qu’elle ait une foi ouverte au dialogue, dans les diverses cercles d’interlocuteurs dont parlait Paul VI; il requiert également que sa foi soit capable de reconnaître toutes les semences de vérité où qu’elles se trouvent. Mais, pour cette raison même, il requiert de l’Église une foi très mûre, une foi très consciente de sa propre vérité, et en même temps très profondément animés par l’amour.

Tout cela est important en raison de notre mission de pasteurs de l’Église et de prédicateurs de l’Évangile.

Il faut tenir compte du fait que ces formes modernes de la tentation de l’homme prenant l’homme comme absolu atteignent aussi la communauté de l’Église, deviennent aussi des formes de sa tentation, et cherchent ainsi à la détourner de l’auto-réalisation à laquelle elle a été appelée par l’Esprit de Vérité précisément par le Concile de notre siècle.

D’une part, nous nous trouvons face à la menace de l’athéisation “systématique”, et en un certain sens “forcée” au nom du progrès de l’homme; mais d’autre part il y a ici une autre menace, intérieure à l’Église: elle consiste à vouloir, de multiples façons, “se conformer au monde” dans son aspect actuel “évolué”.

On sait combien ce désir se distingue radicalement de ce qu’a enseigné le Christ; il suffit de rappeler la comparaison évangélique du levain et celle du sel de la terre, pour mettre en garde les Apôtres contre la ressemblance avec le monde.

Il ne manque pas toutefois de pionniers ni de “prophètes” de cette orientation du “progrès” dans l’Église.

5. C’est dire l’ampleur de la tâche des pasteurs en matière de “discernement”, entre ce qui constitue un vrai “renouveau” et ce qui, sous le manteau, abrite les tendances de la “sécularisation” contemporaine et de la “laïcisation”, ou encore la tendance au “compromis” avec un système dont on ne connaît peut-être pas toutes les prémisses.

C’est dire aussi combien grande est la tâche des pasteurs pour “conserver le dépôt”, pour rester fidèle au mystère du Christ inscrit dans l’ensemble de l’histoire de l’homme et aussi pour rester fidèle à ce merveilleux “sens surnaturel de la foi” du peuple de Dieu tout entier, qui en général n’est pas l’objet de publicité dans les mass-media, et qui s’exprime cependant dans la profondeur des cœurs et des consciences avec la langue authentique de l’Esprit. Notre ministère doctrinal et pastoral doit rester surtout au service de ce sensus fidelium, comme l’a rappelé la Constitution “Lumen Gentium” [cf LG, 12].

A une époque où l’on parle tant du “charisme prophétique” - en n’utilisant pas toujours ce concept conformément à son sens exact - il nous faut profondément rénover et reconstruire la conscience du charisme prophétique lié au ministère épiscopal des maîtres de la foi et des “guides du troupeau”, lesquels incarnent dans la vie, selon une analogie adéquate, les paroles du Christ sur le “Bon Pasteur”.

Le Bon Pasteur se soucie du pâturage, de la nourriture des brebis. Ici, je pense tout particulièrement aux publications théologiques, répandues très vite et au loin, et dans beaucoup de milieux, et dont l’essentiel est vulgarisé dans les revues: ce sont elles qui, selon leurs qualités, leur profondeur, leur sens de l’Église, éduquent et approfondissent la foi, ou au contraire l’ébranlent ou la dissolvent par leur partialité ou leurs méthodes. Les publications françaises ont souvent eu, elles ont toujours, une portée internationale, même auprès des jeunes Églises. Votre charisme prophétique vous fait un devoir de veiller particulièrement à leur fidélité doctrinale, à leur qualité ecclésiale.

6. La question fondamentale que nous devons nous poser, nous, évêques sur lesquels pèse une responsabilité particulière en ce qui concerne la vérité de l’Évangile et la mission de l’Église, est celle de la crédibilité de cette mission et de notre service. En ce domaine, nous sommes parfois interrogés et jugés sévèrement: l’un d’entre vous n'écrivait-il pas: “Notre époque aura été dure à l’égard des évêques”? Et par ailleurs nous sommes prêts à nous juger nous-mêmes sévèrement, et à juger sévèrement la situation religieuse du pays et les résultats de notre pastorale. L’Église en France n’a pas été exempte de tels jugements: il suffit de se remémorer le célèbre livre de l’Abbé Godin: “France, pays de mission?”, ou encore l’affirmation bien connue: “L’Eglise a perdu la classe ouvrière”.

Ces jugements demandent toutefois que l’on observe une modération perspicace. Il faut aussi penser à long terme, car c’est essentiel pour notre mission. Maison ne peut pas nier que l’Église en France ait entrepris, et entreprenne, de grands efforts en vue “d’atteindre ceux qui sont loin”, surtout dans les milieux ouvriers et ruraux déchristianisés.

Ces efforts doivent conserver pleinement un caractère évangélique, apostolique et pastoral. Il n’est pas possible de succomber aux “défis de la politique”. Nous ne pouvons pas non plus accepter de nombreuses résolutions qui prétendent être seulement “justes”. Nous ne pouvons pas nous laisser enfermer dans visions d’ensemble qui sont en réalité unilatérales. Il est vrai que les mécanismes sociaux, et aussi leur caractéristique politique et économique, semblent confirmer ces visions d’ensemble et certains faits douloureux: “pays de mission”, “perte de la classe ouvrière”. Il semble toutefois que nous devons être prêts non seulement à l’autocritique, mais aussi à la “critique” des mécanismes eux-mêmes. L’Église doit être prête à défendre les droits des hommes au travail, dans chaque système économique et politique.

On ne peut surtout pas oublier la très grande contribution de l’Église et du catholicisme français dans le domaine missionnaire de l’Église par exemple, ou le domaine de la culture chrétienne. On ne peut pas accepter que ces chapitres soient clos! Bien plus, on ne peut accepter que, dans ces domaines, l’Église en France change la qualité de sa contribution et l’orientation qu’elle avait prise et qui mérite une crédibilité totale.

Il faudrait évidemment considérer ici toute une série de tâches élémentaires à l’intérieur de l’Église, en France même, par exemple la catéchèse, la pastorale de la famille, l’œuvre des vocations, les séminaires, l’éducation catholique, la théologie. Tout cela dans une grande synthèse de cette “crédibilité” qui est si nécessaire pour l’Église en France, comme partout d’ailleurs, et pour le bien commun de l’Église universelle.

7. Votre responsabilité s’étend en effet - comme chez les autres épiscopats, mais d’une manière diverse - au-delà de “votre” Église, au-delà de la France. Cela, vous devez l’accepter, et vous ne pouvez pas vous en affranchir. Là encore, il faut une vision vraiment universelle de l’Église et du monde, et particulièrement précise, je dirais “sans erreur”.

Vous ne pouvez pas agir seulement en fonction des circonstances qui se sont jadis présentées devant vous et qui vous sont encore offertes. Vous devez avoir un “plan de solidarité” précis et exact, à l’égard de ceux qui ont un droit particulier à compter sur votre solidarité et à l’attendre de vous. Vous devez avoir les yeux largement ouverts vers l’Occident et vers l’Orient, vers le Nord et vers le Sud. Vous devez donner le témoignage de votre solidarité à ceux qui souffrent de la faim et de l’injustice, à cause de l’héritage du colonialisme ou de la répartition défectueuse des biens matériels. Mais vous devez aussi être très sensibles à tous les dommages qui sont faits à l’esprit humain: à la conscience, aux convictions religieuses, etc.

N’oubliez pas que l’avenir de l’Évangile et de l’Église s’élabore peut-être de manière particulière là où les hommes subissent parfois, pour leur foi et pour les conséquences de la foi, des sacrifices dignes des premiers chrétiens. Vous ne pouvez pas garder le silence là-dessus face à votre société et à votre Église. Il faut en ce domaine une particulière solidarité du témoignage et de la prière commune!

Il y a là un chemin sûr pour renfoncer la crédibilité de l’Église dans votre pays, et il ne doit pas être délaissé. Vous êtes insérés en effet dans un système de vases communicants, même si, dans ce système, vous êtes indubitablement une composante particulièrement vénérable, particulièrement importante et influente. Cela crée beaucoup de devoirs! Le chemin vers l’avenir de l’Église en France - le chemin vers cette grande conversion, peut-être, dont évêques, prêtres et fidèles sentent le besoin - passe par l’acceptation de ces devoirs!

Mais face aux négations qui sont le fait de beaucoup, face aux désespoirs qui, à la suite des nombreuses vicissitudes historiques, semblent former le visage spirituel de la société contemporaine, ne vous reste-t-il pas toujours la même puissante ossature de l’Évangile et de la sainteté, qui constitue un patrimoine particulier de l’Église en France?

Le christianisme n’appartient-il pas de façon immanente au “génie de votre nation”?

La France n’est-elle pas toujours “la Fille aînée de l’Église”?"

Discours de St Jean Paul II aux Seminaristes
Paris, dimanche 1er juin 1980 - also in Italian, Portuguese & Spanish

"Chers amis séminaristes,
1. Je ne pouvais achever cet après-midi sans passer un moment avec vous, faire connaissance de vos visages, ni vous exhorter au nom du Seigneur. Quelle joie de vous rencontrer, vous les jeunes en formation dans la région parisienne! On m’a dit qu’étaient rassemblés ici les élèves du Séminaire Saint-Sulpice, ceux du Séminaire universitaire des Carmes et les membres de différents groupes d’acheminement. C’est bien. Je suis heureux que l’on puisse compter sur votre disponibilité à servir, sur votre générosité. En vous adressant ces quelques mots, vous me permettrez de m’adresser en même temps à tous vos confrères français qui, ailleurs dans ce pays, mais aussi dans mon diocèse de Rome, suivent la même voie.

Vous le savez, je viens d’avoir une longue séance de travail avec vos évêques. Ce fut un entretien particulièrement important, au cours duquel nous avons pu, nous qui portons solidairement la charge de toutes les Églises, nous mettre en face de nos responsabilités pour les assumer selon ce qui plaît à Dieu. Et maintenant, il semble tout naturel de poursuivre en quelque façon une telle conversation, avec ceux qui se préparent à devenir les collaborateurs de l’ordre épiscopal, et à être ainsi associés, dans la personne du Christ, à la prédication de l’Évangile et à la conduite du peuple de Dieu. Vous êtes encore jeunes, certainement, mais déjà vous pressentez bien des choses. Vous comprenez que votre don doit être total et que, plus vous irez, plus vous découvrirez la nécessité de le rendre - si j’ose dire - plus total encore. C’est donc à ce niveau que je me situerai avec vous, en tenant compte évidemment du fait qu’un itinéraire comme le vôtre demande du temps, une longue maturation spirituelle, intellectuelle et pastorale, et que le simple désir de devenir prêtre ne suffit pas en soi à correspondre aux exigences du sacerdoce.

2. L’une de ces exigences, la plus fondamentale, est que vous soyez profondément enracinés en Jésus-Christ. Je vous y invite de tout mon cœur. Si vous pouviez apprendre, par la prière et la contemplation, à vivre, prêcher, aimer et souffrir comme le Christ, il semble que les grandes lignes de votre mission se préciseraient peu à peu, et que vous éprouveriez aussi un besoin vital de rejoindre les hommes et de leur apporter ce dont ils ont vraiment besoin. Dans une telle démarche se trouve déjà l’âme de l’apostolat, de sorte que l’“agir” est indissolublement lié à l’“être”, et réciproquement, sans qu’il soit utile de poursuivre de vains débats, ni bon de privilégier l’un au détriment de l’autre. L’Église entend vous former dans une unité intérieure complète, où la mission requiert l’intimité avec Dieu, et où celle-ci appelle celle-là.

Ne voulez-vous pas être, vous-mêmes, de “bons pasteurs”? Le bon Pasteur donne sa vie, et il donne sa vie pour ses brebis. Eh bien! il faut découvrir le sens du sacrifice de soi, relié au sacrifice du Christ, et vous offrir pour les autres qui attendent de vous ce témoignage. Cela peut se dire à tous les fidèles, mais à plus forte raison et à un titre spécial aux prêtres et aux futurs prêtres.

Puissent votre participation quotidienne à l’Eucharistie et les efforts que vous accomplirez pour faire grandir en vous la dévotion eucharistique, vous aider sur ce chemin!

3. Je vous parlais il y a un instant d’unité à l’intérieur de vous-mêmes. A mon sens, elle permet d’acquérir ce que l’on pourrait appeler la sagesse pastorale. L’un des fruits du décret conciliaire de Vatican II sur la formation au sacerdoce fut assurément de créer les conditions d’une meilleure préparation pastorale des candidats. Grâce à l’équilibre intérieur réalisé en vous, vous devez pouvoir affiner votre jugement sur les hommes, sur les choses, sur les situations, les regarder à la Lumière de Dieu et non avec les yeux du siècle. Cela vous amènera à une perception profonde des problèmes, des urgences multiples de la mission, et en même temps cela vous poussera vers le bon objectif. Vous subirez moins ainsi la tentation de “célébrer” uniquement ce que vivent nos contemporains, ou au contraire d’expérimenter sur ceux-ci des idées pastorales peut-être généreuses, mais personnelles et sans la garantie de l’Église: on ne fait pas d’expériences sur les hommes. Et vous prendrez à cœur, par le fait même, votre travail intellectuel indispensable aujourd’hui comme après l’ordination, afin de transmettre aux autres tout le contenu de la foi en une synthèse exacte, harmonieuse et facile à assimiler.

Est-il d’ailleurs nécessaire de préciser que le prêtre est un parmi d’autres? Il ne peut pas être à lui seul tout à tous. Son ministère s’exerce au sein d’un presbyterium, autour d’un évêque. Tel est déjà un peu votre cas, dans la mesure où se renforcent progressivement vos liens avec votre diocèse, où l’on vous insère dans des équipes pastorales, pour développer en vous la capacité d’ouvrer en Église. Et si votre cheminement personnel - ou l’accent mis parfois sur tel ou tel aspect de votre préparation - vous rendent plus aptes à un type de ministère déterminé, auprès d’une catégorie plus particulière de population, vous n’en serez pas moins fondamentalement envoyés à tous, avec le souci pastoral de tous et la volonté de collaborer avec tous, sans aucune exclusive de tendance ou de milieu. Vous devez être capables aussi d’accepter tout ministère qui vous sera confié, sans subordonner votre acceptation à la conformité avec les convenances ou des projets personnels. En la matière, ce sont les besoins de l’Église qui sont prioritaires, et c’est à eux qu’il faut s’adapter.

Ceci paraît absolument essentiel à vos Évêques et à moi-même, en considération de la charge dont la Providence nous a investis et à laquelle vous serez un jour associes.

4. Mes chers Fils, vous voyez l’ampleur de la tâche, l’ampleur des besoins. Vous n’êtes guère nombreux, et pourtant les efforts entrepris depuis plusieurs années commencent à donner des résultats visibles. Je ne vous dirai pas que la générosité des laïcs permettra de pallier le manque de prêtres. C’est tout à fait d’un autre ordre. Chez les laïcs, vous aurez toujours à développer le sens de la responsabilité et à les éduquer à prendre toute leur place dans la communauté. Mais ce que Dieu à mis en vos cœurs par son appel correspond à une vocation spécifique. Essayez de mieux donner le témoignage de votre foi et de votre joie. Vous êtes les témoins des vocations sacerdotales auprès des adolescents et des jeunes de votre âge. Ah! Si vous saviez rendre compte de l’espérance qui est en vous, en montrer que la mission ne peut attendre, en France et plus encore en d’autres pays plus défavorisés! Je vous encourage de toutes mes forces à être les premiers apôtres des vocations.

5. Je veux encourager aussi et remercier vos maîtres et vos éducateurs à tous les niveaux: directeurs de séminaires, délégués diocésains, prêtres des paroisses, des aumôneries et des mouvements qui concourent à votre formation, et ceux qui vous ont permis de discerner l’appel du Seigneur. Vous leur devez beaucoup. L’Église leur doit beaucoup. En ce lieu, j’aimerais rendre spécialement hommage aux prêtres de la Compagnie de Saint-Sulpice, qui ont su mériter l’estime de tous dans leur service du sacerdoce.

Vos éducateurs ont une tâche difficile. Il faut que l’on sache, en France, que je leur accorde ma confiance et leur donne mon appui fraternel. Ils veulent former des prêtres de qualité. Qu’ils poursuivent et développent encore leurs efforts, en s’appuyant sur les textes du Concile, sur les excellentes “Rationes” qui ont été préparées à la demande du Saint-Siège, et sur les documents récents publiés par la Congrégation pour l’Éducation catholique et qu’ils vous ont, je n’en doute pas, largement distribués et commentés.

Un très grand merci à vous tous, chers Confrères et chers Fils. Je vous donne rendez-vous tout à l’heure, au Parc des Princes, avec les jeunes de la région parisienne, et je vous bénis avec ma profonde affection."

Discours du Pape St Jean Paul II aux Jeunes de France
Paris, dimanche 1er juin 1980 - also in Italian, Portuguese & Spanish

"Merci, merci, chers jeunes de France, d’être venus ce soir pour cette veillée avec le Pape! Merci de votre confiance! Merci à tous ceux aussi qui m’ont écrit! La rencontre avec la jeunesse est toujours un temps fort de mes visites pastorales. Merci de ce que vous avez préparé ce soir pour les yeux et pour le cœur! Vous me donnez maintenant votre témoignage, vous professez votre foi. Et moi, ensuite, je parlerai de votre vie de jeunes, en ayant présentes à l’esprit vos questions, et je professerai avec vous toute la foi de l’Eglise.

Chers jeunes de France,
1. Merci infiniment d’être venus si nombreux, si joyeux, si confiants, si unis entre vous! Merci aux jeunes de Paris et de la région parisienne! Merci aux jeunes qui sont venus avec enthousiasme des quatre coins de France! J’aurais tant aimé serrer la main de chacun d’entre vous, rencontrer son regard, lui dire une parole personnelle et amicale. Cette impossibilité matérielle n’est pas un obstacle à la profonde communion des esprits et des cœurs. Vos échanges de témoignages en sont la preuve. Votre assemblée réjouit mes yeux et bouleverse mon cœur. Votre assemblée de jeunes a voulu être digne des foules de jeunes que j’ai déjà rencontrées au cours de mes voyages apostoliques, au Mexique d’abord, puis en Pologne, en Irlande, aux Etas-Unis, et tout récemment en Afrique.

Je puis vous le confier: Dieu m’a fait la grâce - comme à tant d’évêques et de prêtres - d’aimer passionnément les jeunes, assurément différents d’un pays à l’autre, mais tellement semblables dans leurs enthousiasmes et leurs déceptions, leurs aspirations et leurs générosités! Ceux d’entre vous qui ont eu la possibilité de nouer contacts et amitiés avéc la jeunesse d’une autre province, d’un autre pays, d’un autre continent que les leurs, comprennent peut-être mieux et partagent certainement ma foi dans la jeunesse, parce qu’elle est partout, aujourd’hui comme hier, porteuse de grandes espérances pour le monde et pour l’Eglise. Jeunes de France, chrétiens convaincus ou sympathisants envers le christianisme, je voudrais, en cette soirée inoubliable, que nous fassions tous ensemble une ascension, une véritable cordée en direction des sommets à la fois difficiles et tonifiants de la vocation de l’homme, de l’homme chrétien. Je veux en effet partager avec vous, comme un ami avec ses amis, mes propres convictions d’homme et de serviteur de la foi et de l’unité du peuple de Dieu.

2. Vos problèmes et vos souffrances de jeunes me sont connus, au moins à un plan général: une certaine instabilité inhérente à votre âge et augmentée par l’accélération des mutations de l’histoire, une certaine défiance à l’égard des certitudes, exacerbée par le savoir appris à l’école et l’ambiance fréquente de critique systématique, l’inquiétude de l’avenir et les difficultés d’insertion professionnelle, l’excitation et la surabondance des désirs dans une société qui fait du plaisir le but de la vie, le sentiment pénible d’impuissance à maitriser les conséquences équivoques ou néfastes du progrès, les tentations de révolte, d’évasion ou de démission. Tout cela, vous le savez, au point d’en être saturés. Je préfère, avec vous, gagner les hauteurs. Je suis persuadé que vous voulez sortir de cette atmosphère débilitante et approfondir ou redécouvrir le sens d’une existence véritablement humaine parce que ouverte à Dieu, en un mot votre vocation d’homme dans le Christ.

3. L’être humain est un être corporel. Cette affirmation toute simple est lourde de conséquences. Si matériel qu’il soit, le corps n’est pas un objet parmi d’autres objets. Il est d’abord quelqu’un, en ce sens qu’il est une manifestation de la personne, un moyen de présence aux autres, de communication, d’expression extrêmement variée. Le corps est une parole, un langage. Quelle merveille et quel risque en même temps!

Jeunes gens et jeunes filles, ayez un très grand respect de votre corps et du corps des autres! Que votre corp soit au service de votre moi profond! Que vos gestes, vos regards, soient toujours le reflet de votre âme! Adoration du corps? Non, jamais! Mépris du corps? Pas davantage. Maîtrise du corps! Oui! Transfiguration du corps! Plus encore!

Il vous arrive souvent d’admirer cette merveilleuse transparence de l’âme chez beaucoup d’hommes et de femmes dans l’accomplissement quotidien de leurs tâches humaines. Pensez à l’étudiant ou au sportif qui mettent toutes leurs énergies physiques au service de leur idéal respectif. Pensez au papa et à la maman dont le visage penché sur leur enfant respire si profondément les joies de la paternité et de la maternité. Pensez au musicien ou à l’acteur identifiés aux auteurs qu’ils font revivre. Voyez le trappiste ou le chartreux, la carmélite ou la clarisse radicalement livrés à la contemplation et laissant transparaître Dieu.

Je vous souhaite vraiment de relever le défi de ce temps et d’être tous et toutes des champions de la maîtrise chrétienne du corps. Le sport bien compris, et qui renaît aujourd’hui au-delà du cercle des professionnels, est un très bon adjuvant.

Cette maîtrise est déterminante pour l’intégration de la sexualité à votre vie de jeunes et d’adultes. Il est difficile de parler de la sexualité à l’epoque actuelle, marquée par un défoulement qui n’est pas sans explication mais qui est. hélas, favorisé par une véritable exploitation de l’instinct sexuel.

Jeunes de France, l’union des corps a toujours été le langage le plus fort que deux êtres puissent se dire l’un à l’autre. Et c’est pourquoi un tel langage, qui touche au mystère sacré de l’homme et de la femme, exige qu’on n’accomplisse jamais les gestes de l’amour sans que les conditions d’une prise en charge totale et définitive de l’autre soient assurées, et que l’engagement en soit pris publiquement dans le mariage. Jeunes de France, gardez ou retrouvez une saine vision des valeurs corporelles! Contemplez davantage le Christ Rédempteur de l’homme! Il est le Verbe fait chair que tant d’artistes ont peint avec réalisme pour nous signifier clairement qu’il a tout assumé de la nature humaine, y compris la sexualité, en la sublimant dans la chasteté.

4. L’esprit est la donnée originale qui distingue fondamentalment l’homme du monde animal et qui lui donne un pouvoir de maîtrise sur l’univers. Je ne résiste pas à vous citer votre incomparable écrivain français Pascal: “L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature; mais c’est un roseau pensant. Il ne faut pas que l’univers entier s’arme pour l’écraser...; mais quand l’univers l’écraserait, l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue, parce qu’il sait qu’il meurt; et l’avantage que l’univers a sur lui, l’univers n’en sait rien. Toute notre dignité consiste donc en la pensée...; travaillons donc à bien penser”[1].

En parlant ainsi de l’esprit, j’entends l’esprit capable de comprendre, de vouloir, d’aimer. C’est proprement par là que l’homme est homme. Sauvegardez à tout prix en vous et autour de vous le domaine sacré de l’esprit! Vous savez que dans le monde contemporain, il existe encore, hélas, des systèmes totalitaires qui paralysent l’esprit, portent gravement atteinte à l’intégrité, à l’identité de l’homme, en le réduisant à l’état d’objet, de machine, en le privant de sa force de rebondissement intérieur, de ses élans de liberté et d’amour. Vous savez aussi qu’il existe des systèmes économiques qui, tout en se flattant de leur formidable expansion industrielle, accentuent en même temps la dégradation, la décomposition de l’homme.

Même les mass-media, qui devraient contribuer au développement intégral des hommes et à leur enrichissement réciproque dans une fraternité croissante, ne sont pas sans provoquer non plus un martèlement et même l’envoûtement des intelligences et des imaginations qui nuisent à la santé de l’esprit, du jugement et du cœur, déforment chez l’homme la capacité de discerner ce qui est sain de ce qui est malsain. Oui, à quoi bon des réformes sociales et politiques même très généreuses, si l’esprit, qui est aussi conscience, perd sa lucidité et sa vigueur?

Pratiquement, dans ce monde tel qu’il est et que vous ne devez pas fuir, apprenez de plus en plus à réfléchir, à penser! Les études que vous faites doivent être un moment privilégié d’apprentissage à la vie de l’esprit. Démasquez les slogans, les fausses valeurs, les mirages, les chemins sans issue! Je vous souhaite l’esprit de recueillement, d’intériorité. Chacun et chacune de vous, à son niveau, doit favoriser le primat de l’esprit et même contribuer` à remettre en honneur ce qui a valeur d’éternité plus encore que d’avenir. En vivant ainsi, croyants ou non-croyants, vous êtes tout proches de Dieu. Dieu est Esprit!

5. Vous valez aussi ce que vaut votre cœur. Toute l’histoire de l’humanité est l’histoire du besoin d’aimer et d’être aimé. Cette fin de siècle - surtout dans les régions d’évolution sociale accélérée - rends plus difficile l’épanouissement d’une saine affectivité. C’est sans doute pourquoi beaucoup de jeunes et de moins jeunes recherchent l’ambiance de petits groupes, afin d’échapper à l’anonymat et parfois à l’angoisse, afin de retrouver leur vocation profonde aux relations interpersonnelles. A en croire une certaine publicité, notre époque serait même éprise de ce que l’on pourrait appeler un doping du cœur.

Il importe en ce domaine, comme dans les précédents, de voir clair. Quel que soit l’usage qu’en font les humains, le cœur - symbole de l’amitié et de l’amour - a aussi ses normes, son éthique. Faire place au cœur dans la construction harmonieuse de votre personnalité n’a rien à voir avec la sensiblerie ni même la sentimentalité. Le cœur, c’est l’ouverture de tout l’être à l’existence des autres, la capacité de les deviner, de les comprendre. Une telle sensibilité, varie et profonde, rend vulnérable. C’est pourquoi certains sont tentés de s’en défaire en se durcissant.

Aimer, c’est donc essentiellement se donner aux autres. Loin d’être une inclination instinctive, l’amour est une décision consciente de la volonté d’aller vers les autres. Pour pouvoir aimer en vérité, il faut se détacher de bien des choses et surtout de soi, donner gratuitement, aimer jusqu’au bout. Cette dépossession de soi - œuvre de longue haleine - est épuisante et exaltante. Elle est source d’équilibre. Elle est le secret du bonheur.

Jeunes de France, levez plus souvent le yeux vers Jésus-Christ! Il est l’Homme qui a le plus aimé, et le plus consciemment, le plus volontairement, le plus gratuitement! Méditez le testament du Christ: “Il n’y a pas de plus grande preuve d’amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime”. Contemplez l’Homme-Dieu, l’homme au cœur transpercé! N’ayez pas peur! Jésus n’est pas venu condamner l’amour mais libérer l’amour de ses équivoques et de ses contrefaçons. C’est bien Lui qui a retourné le cœur de Zachée, de la Samaritaine, et qui opère aujourd’hui encore, par le monde entier, de semblables conversions. Il me semble que, ce soir, le Christ murmure à chacun et à chacune d’entre vous: “Donne moi ton cœur! ... Je le purifierai, je le fortifierai, je l’orienterai vers tous ceux qui en ont besoin: vers ta propre famille, vers ta communauté scolaire ou universitaire, vers ton milieu social, vers les malaimés, vers les étrangers qui vivent sur le sol de France, vers les habitants du monde entier qui n’ont pas de quoi vivre et se développer, vers les plus petits d’entre les hommes. L’amour exige le partage!”.

Jeunes de France, c’est l’heure plus que jamais de travailler la main dans la main à la civilisation de l’amour, selon l’expression chère à mon grand prédécesseur Paul VI. Quel chantier gigantesque! Quelle tâche enthousiasmante!

Au plan du cœur, de l’amour, j’ai encore une confidence à vous faire. Je crois de toutes mes forces que beaucoup parmi vous sont capables de risquer le don total, au Christ et à leurs frères, de toutes leurs puissances d’aimer. Vous comprenez parfaitement que je veux parler de la vocation au sacerdoce et à la vie religieuse. Vos villes et vos villages de France attendent des ministres au cœur brûlant pour annoncer l’Evangile, célébrer l’Eucharistie, réconcilier les pécheurs avec Dieu et avec leurs frères. Ils attendent aussi des femmes radicalement consacrées au service des communautés chrétiennes et de leurs besoins humains et spirituels. Votre réponse éventuelle à cet appel se situe bien dans l’axe de l’ultime question de Jésus à Pierre: “M’aimes-tu?”.

6. J’ai parlé des valeurs du corps, de l’esprit et du cœur. Mais en même temps j’ai laissé entrevoir une dimension essentielle sans laquelle l’homme retombe prisonnier de lui-même ou des autres: c’est l’ouverture à Dieu. Oui, sans Dieu, l’homme perd la clef lui-même, il perd la clef de son histoire. Car, depuis la création, il porte en lui la ressemblance de Dieu. Celle-ci, reste en lui à l’état de vœu implicite et de besoin inconscient, malgré le péché. Et l’homme est destiné à vivre avec Dieu. La encore, le Christ va se révéler notre chemin. Mais ce mystère nous demande peut-être une attention plus grande.

Jésus-Christ, le Fils de Dieu fait homme, a vécu tout ce qui fait la valeur de notre nature humaine, corps, esprit et cœur, dans une relation aux autres pleinement libre, marquée du sceau de la vérité et remplie d’amour. Toute sa vie, autant que ses paroles, a manifesté cette liberté, cette vérité, cet amour, et spécialement le don volontaire de sa vie pour les hommes. Il a pu proclamer ainsi la charte d’un monde bienheureux, oui bienheureux, sur le chemin de la pauvreté, de la douceur, de la justice, de l’espérance, de la miséricorde, de la pureté, de la paix, de la fidélité jusque dans la persécution, et deux mille ans après, cette charte est inscrite au cœur de notre rassemblement. Mais le Christ n’a pas seulement donné l’exemple et enseigné. Il a effectivement libéré des hommes et des femmes de ce qui tenait captif leur corps, leur esprit et leur cœur. Et depuis qu’il est mort et ressuscité pour nous, il continue à le faire, pour les hommes et les femmes de toute condition et de tout pays, du moment qu’ils lui donnent leur foi. Il est le Sauveur de l’homme. Il est le Rédempteur de l’homme. “Ecce homo”, disait Pilate, sans bien comprendre la portée de ses paroles: “Voilà l’homme”.

Comment osons-nous dire cela, chers amis? La vie terrestre du Christ a été brève, plus brève encore son activité publique. Mais sa vie est unique, sa personnalité est unique au monde. Il n’est pas seulement un frère pour nous, un ami, un homme de Dieu. Nous reconnaissons en lui le Fils unique de Dieu, celui qui ne fait qu’un avec Dieu le Père et que le Père a donné au monde. Avec l’Apôtre Pierre, dont je suis l’humble Successeur, je professe: “Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant”. Et c’est bien parce que le Christ partage à la: fois la nature divine et notre nature humaine que l’offrande de sa vie, dans sa mort et sa résurrection, nous atteint, nous les hommes d’aujourd’hui, nous sauve, nous purifie, nous libère, nous élève: “Le Fils de Dieu s’est uni d’une certaine manière à tout homme”. Et j’aime redire ici le souhait de ma première encyclique: “Que tout homme puisse retrouver le Christ afin que le Christ puisse parcourir la route de l’existence, en compagnie de chacun, avec la puissance de vérité sur l’homme et sur le monde contenue dans le mystère de l’Incarnation et de la Rédemption, avec la puissance de l’amour qui en rayonne”[2].

Si le Christ libère et élève notre humanité, c’est qu’il l’introduit dans l’alliance avec Dieu, avec le Père, avec le Fils, avec le Saint-Esprit. Nous fêtions ce matin la Sainte Trinité. Voilà la véritable ouverture à Dieu à laquelle chaque cœur humain aspire même sans le savoir et que le Christ offre au croyant. Il s’agit d’un Dieu personnel et pas seulement du Dieu des philosophes et des savants, mais du Dieu révélé dans la Bible, Dieu d’Abraham, Dieu de JésusChrist, celui qui est au cœur de notre histoire. C’est le Dieu qui peut saisir toutes les ressources de votre corps, de votre esprit, de votre cœur, pour leur faire porter du fruit, en un mot qui peut saisir tout votre être pour le renouveler dans le Christ, dès maintenant et au-delà de la mort.

Voilà ma foi, voilà la foi de l’Eglise depuis les origines, la seule qui est fondée sur le témoignage des Apôtres, la seule qui résiste aux flottements, la seule qui sauve l’homme. Je suis sûr que beaucoup d’entre vous en ont déjà fait l’expérience. Puissent-ils trouver dans ma venue un encouragement à l’approfondir par tous les moyens que l’Eglise met à leur disposition.

D’autres sans doute sont plus hésitants à adhérer pleinement à cette foi. Certains se disent en recherche à ce sujet. Certains s’estiment incroyants et peut-être incapables de croire, ou indifférents à la foi. D’autres refusent encore un Dieu dont le visage leur a été mal présenté. D’autres enfin, ébranlés par les retombées des philosophies du soupçon qui présentent la religion comme illusion ou aliénation, sont peut-être tentés de construire un humanisme sans Dieu. A tous ceux-là, je souhaite pourtant que, par honnêteté, ils laissent au moins leur fenêtre ouverte sur Dieu. Autrement ils risquent de passer à côté de la route de l’homme qu’est le Christ, de s’enfermer dans des attitudes de révolte, de violence, de se contenter de soupirs d’impuissance ou de résignation. Un monde sans Dieu se construit tôt ou tard contre l’homme. Certes, bien des influences sociales ou culturelles, bien des événements personnels ont pu incomber votre chemin de foi, ou vous en détourner.

Mais en fait, si vous le voulez, au milieu de ces difficultés que je comprends, vous avez encore finalement beaucoup de chance, dans votre pays de liberté religieuse, pour déblayer ce chemin et accéder, avec la grâce de Dieu, à la foi! Vous en avez les moyens! Les prenez-vous vraiment? Au nom de tout l’amour que je vous porte, je n’hésite pas à vous inviter: “Ouvrez toutes grandes vos portes au Christ!”. Que craignez-vous? Faites-lui confiance. Risquez de le suivre. Cela demande évidemment que vous sortiez de vous-mêmes, de vos raisonnements, de votre “sagesse”, de votre indifférence, de votre suffisance, des habitudes non chrétiennes que vous avez prises peut-être. Oui, cela demande des renoncements, une conversion, qu’il vous faut d’abord oser désirer, demander, dans la prière et commencer à pratiquer. Laissez le Christ être pour vous le Chemin, la Vérité et la Vie. Laissez-le être votre salut et votre bonheur. Laissez-le saisir votre vie tout entière pour qu’elle atteigne avec lui toutes ses dimensions, pour que toutes vos relations, activités, sentiments, pensées soient intégrés en lui, on pourrait dire “christifiés”. Je souhaite qu’avec le Christ vous reconnaissiez Dieu comme la source et la fin de votre existence.

Voilà les hommes et les femmes dont le monde a besoin, dont la France a besoin. Vous aurez personnellement le bonheur promis dans les Béatitudes et vous serez, en toute humilité et respect des autres, et au milieu d’eux, le ferment dont parle l’Evangile. Vous bâtirez un monde nouveau; vous préparerez un avenir chrétien. C’est un chemin de croix, oui, c’est aussi un chemin de joie, car c’est un chemin d’espérance.

Avec toute ma confiance et toute mon affection j’invite les jeunes de France à relever la tête et à marcher ensemble sur ce chemin, la main dans la main du Seigneur. “Jeune fille, lève-toi! Jeune homme, lève-toi!”."

Dialogue de St Jean Paul II avec les Jeunes réunis en Parc des Princes
Paris, dimanche 1 juin 1980 - also in Italian, Portuguese & Spanish

"Chers jeunes de France,
1. Je vous remercie de cette rencontre que vous avez voulu organiser comme une sorte de dialogue. Vous avez voulu parler avec le Pape. Et ceci est très important pour deux raisons.

La première raison est que cette manière de faire nous renvoie directement au Christ: en lui, se déroule continuellement un dialogue: l’entretien de Dieu avec l’homme et de l’homme avec Dieu.

Le Christ - vous l’avez entendu - est le Verbe, la Parole de Dieu. Il est le Verbe éternel. Ce Verbe de Dieu, comme l’Homme, n’est pas la parole d’un “grand monologue”, mais il est la Parole du “dialogue incessant” qui se déroule dans l’Esprit Saint. Je sais que cette phrase est difficile à comprendre, mais je la dis quand même, et je vous la laisse pour que vous la méditiez.

N’avons-nous pas célébré ce matin le mystère de la Sainte Trinité?

La deuxième raison est celle-ci: le dialogue répond à ma conviction personnelle que, être le serviteur du Verbe, de la Parole, veut dire “annoncer” au sens de “répondre”. Pour répondre, il faut connaître les questions. C’est pour cela qu’il est bon que vous les ayez posées; autrement, j’aurais dû les deviner pour pouvoir vous parler, pour vous répondre! (c’est votre question numéro 21).

[Je suis arrivé à cette conviction, non seulement à cause de mon expérience d’autrefois comme professeur, à travers les cours ou les groupes de travail, mais surtout à travers mon expérience de prédicateur; en faisant l’homélie, et surtout en prêchant des retraites. Et la plupart du temps, c’est à des jeunes que je m’adressais; ce sont des jeunes que j’aidais à rencontrer le Seigneur, à l’écouter, et aussi à lui répondre.]

2. En m’adressant à vous maintenant, je voudrais le faire de manière à pouvoir répondre, au moins indirectement, à toutes vos questions. ......

C’est pour cela que je ne peux pas le faire en les prenant l’une après l’autre; Forcément, mes réponses ne pourraient alors être que schématiques!

Permettez-moi donc de choisir la question qui me semble la plus importante, la plus centrale, et de partir de celle-là. De cette manière, j’espère que vos autres questions apparaîtront peu à peu.

Votre question centrale concerne Jésus-Christ. Vous voulez m’entendre parler de Jésus-Christ, et vous me demandez qui est. pour moi, Jésus-Christ (c’est votre 13ième question).

Permettez que je vous retourne aussi la question et que je dise: pour vous, qui est Jésus-Christ? De cette manière, et sans esquiver la question, je vous donnerai aussi ma réponse en vous disant ce qu’Il est pour moi, parce que je suis un de vous.

3. L’Evangile tout entier est le dialogue avec l’homme, avec les diverses générations, avec les nations, avec les diverses traditions... mais il est toujours et continuellement un dialogue avec l’homme, avec chaque homme, un, unique, absolument singulier.

En même temps, on trouve beaucoup de dialogues dans l’Evangile. Parmi ceux-ci, je retiens comme particulièrement éloquent le dialogue du Christ avec le jeune homme.

Je vais vous lire le texte, parce que vous ne vous le rappelez peut-être pas tous très bien. C’est au chapitre 19ième de l’évangile de Matthieu.

“Voici qu’un homme s’aprocha de Jésus et lui dit: "Maître, que dois-je faire de bon pour obtenir la vie eternelle?". Il lui dit: "Qu’as tu à m’interroger sur ce qui est bon? Nul n’est bon que Dieu seul. Si tu veux entrer dans la vie, observe les commandements". "Lesquels?", lui dit-il. Jésus reprit: "Tu ne tuera pas, tu ne commettras pas d’adultère, tu ne voleras pas, tu ne porteras pas de faux témoignage, honore ton père et ta mère, et tu aimeras ton prochain comme toi-même". "Tout cela, lui dit le jeune homme, je l’ai observé depuis ma jeunesse; que ne manque-t-il encore?" Jésus lui déclara: "Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes et donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les cieux; puis viens, et suis-moi." Entendant cette parole, le jeune homme s’en alla tout triste, car il avait de grands biens."

Pourquoi le Christ dialogue-t-il avec ce jeune homme? La réponse se trouve dans le récit évangélique. Et vous, vous me demandez pourquoi, partout où je vais, je veux rencontrer les jeunes (c’est même votre première question).

Et je vous réponds: parce que “le jeune” indique l’homme qui, d’une manière particulière, d’une manière décisive, est en train de “se former”, de "se faire". Cela ne veut pas dire que l’homme ne se forme pas durant toute sa vie: on dit que “l’éducation commence déjà avant la naissance” et dure jusqu’au dernier jour. Cependant la jeunesse, du point de vue de la formation, est un période particulièrement importante, riche et décisive. Et si vous réfléchissez au dialogue du Christ avec le jeune homme, vous trouverez la confìrmation de ce que je viens de vous dire.

Les questions du jeune homme sont essentielles. Les réponses du Christ le sont aussi.

4. Ces questions et ces réponses ne sont pas seulement essentielles pour le jeune homme en question, importantes pour sa situation d’alors; elles sont également de première importance et essentielles pour aujourd’hui. C’est pourquoi, à la question de savoir si l’Evangile peut répondre aux problèmes des hommes d’aujourd’hui (c’est votre 9ième question), je réponds: non seulement il en est capable, mais il faut aller bien plus loin: lui seul,
l’Evangile seul leurs donne une réponse totale; qui va jusqu’au fond des choses et complètement.

J'ai dit en commençant que le Christ est le Verbe, la Parole d’un dialogue incessant. Il est le dialogue, les dialogues avec tout homme, bien que certains ne le fassent pas, que tous ne sachent pas comment le conduire - et il y en a aussi qui refusent explicitement ce dialogue. Ils s’éloignent... Et pourtant... peut-être ce dialogue est-il en cours avec eux aussi. Je suis convaincu qu’il en est ainsi.

Plus d’une fois ce dialogue “se dévoile” d’une manière inattendue et surprenante.

5. Je retiens aussi votre question de savoir pourquoi, dans les divers pays où je vais, et aussi à Rome, je parle avec les divers chefs d’Etat (question numéro 2).

Simplement parce que le Christ parle avec tous les hommes, avec tout homme. En outre je pense, n’en doutez-pas, qu’il n’a pas moins de choses à dire aux hommes qui ont de si grandes responsabilités sociales qu’au jeune homme de l’Evangile, et qu’à chacun d’entre vous.

A votre question de savoir de quoi je parle lorsque je m’entretiens avec des chefs d’Etat, je répondrai que je leur parle, très souvent, justement des jeunes. En effet, c’est de la jeunesse que dépend “le jour de demain”. [.....ad lib] Ces derniers mots sont tirés d’une chanson que les jeunes de ma patrie, les jeunes de votre âge chantent souvent: “C’est de nous que dépend le jour de demain”. Moi aussi je l’ai chantée plus d’une fois avec eux. D’ailleurs, je prenais généralement beaucoup de plaisir à chanter des chansons avec les jeunes, pour la musique et pour les paroles, pour les textes. [... ad lib] J’évoque ce souvenir parce que vous m’avez aussi posé des questions sur ma patrie (c’est votre 7ième question), mais pour répondre à cette question, c’est bien longuement que je devrais parler!

Et vous demandez aussi ce que la France pourrait apprendre de la Pologne, et ce que la Pologne aurait à apprendre de la France. [.... ad lib]

On retient habituellement que la Pologne a appris davantage de la France que celle-ci de la Pologne. Historiquement, la Pologne est plus jeune de plusieurs siècles. Je pense cependant que la France pourrait aussi apprendre diverses choses. La Pologne n’a pas eu une histoire facile, particulièrement au cours des derniers siècles. Les Polonais ont “payé”, et pas seulement un peu, pour être Polonais, et aussi pour être chrétiens... Cette réponse est un peu “autobiographique”, vous m’en excuserez, mais c’est vous qui l’avez provoquée. Permettez-moi, cependant, d’élargir cette réponse autobiographique à l’aide de quelques autres questions que vous avez posées.

Par exemple lorsque vous demandez si l’Eglise, qui est “occidentale” peut être vraiment l’Eglise “africaine” ou “asiatique” (c'est votre 20ième question).

6. Evidemment, cette question est plus large et va plus loin que celle dont j’ai parlé tout à l’heure au sujet de l’Eglise en France ou en Pologne. En effet, l’une et l’autre sont “occidentales”, appartenant au domaine de la même culture européenne et latine, mais ma réponse sera la même. Par sa nature, l’Eglise est une et universelle. [... ad lib] Elle devient l’Eglise de chaque nation, ou des continents ou des races, au fur et à mesure que ces sociétés acceptent l’Evangile et en font, pour ainsi dire, leur propriété. Il y a peu de temps, je suis allé en Afrique. Tout indique que les jeunes Eglises de ce continent ont bien conscience d’être africaines. En tout cas elles veulent bien
être devenir africaines. Et elles aspirent consciemment à faire le lien entre le christianisme et les traditions de leurs cultures. En Asie, et surtout en Extrême-Orient, on estime souvent que le christianisme est la religion “occidentale”, et pourtant, je ne doute pas que les Eglises qui ont pris racine là-bas ne soient des Eglises “asiatiques”.

7. Revenons maintenant à notre sujet principal, au dialogue du Christ avec le jeune homme.

En réalité, je dirais volontiers que nous sommes resté tout le temps dans son contexte.

Le jeune homme demande donc: “Maître, que dois-je faire de bon pour obtenir la vie éternelle?” [Mt 19, 16].

Or vous posez la question: Peut-on être heureux dans le monde d’aujourd’hui? (c’est votre 12ième question).

En vérité, vous posez la même question que ce jeune homme! Le Christ répond - à lui et aussi à vous, à chacun d’entre vous - : on le peut. C’est bien en effet ce qu’il répond, même si ses paroles sont celles-ci: “Si tu veux entrer dans la vie, observe les commandements” [Mt 19, 17]. Et il répondra encore plus tard: “Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres et suis-moi” [Mt 19, 21].

Ces paroles signifient que l’homme ne peut être heureux que dans la mesure où il est capable d’accepter les exigences que lui pose sa propre humanité, sa dignité d’homme. Les exigences que lui pose en
même temps Dieu.

8. Ainsi donc, le Christ ne répond pas seulement à la question de savoir si on peut être heureux - mais il dit davantage: comment on peut être heureux, à quelle condition. Cette réponse est tout à fait originale, et elle ne peut pas être dépassée, elle ne peut jamais être périmée. Vous devez bien y réfléchir, et vous l’adapter à vous-mêmes. La réponse du Christ comprend deux parties. Dans la première, il s’agit d’observer les commandements. Ici, je ferai une digression à cause d’une de vos questions sur les principes que l’Eglise enseigne dans le domaine de la morale sexuelle (c’est la 17ième).

Vous exprimez votre préoccupation en voyant qu’ils sont difficiles, et que les jeunes pourraient, précisément pour cette raison, se détourner de l’Eglise. Je vous répondrai comme suit: si vous pensez à cette question de manière plus profonde, et si vous allez jusqu’au fond du problème, je vous assure que vous vous rendrez compte d’une seule chose: dans ce domaine, l’Eglise pose seulement les exigences qui sont étroitement liées à l’amour humain,
à l’amour matrimonial et conjugal vrai, c’est-à-dire responsable.

Elle exige ce que requiert la dignité de la personne et l’ordre social communautaire, fondamental. Je ne nie pas que ce ne soient des exigences. Mais c’est justement en cela que se trouve le point essentiel du problème: à savoir que l’homme se réalise lui-même seulement dans la mesure où il sait s’imposer des exigences à lui-même. Dans le cas contraire, il s’en va “tout triste”, comme nous venons de le lire dans l’évangile. La permissivité morale ne rend pas les hommes heureux. La société de consommation ne rend pas les hommes heureux. Elles ne l’ont jamais fait.
[... ad lib]

9. Dans le dialogue du Christ avec le jeune, il y a, comme je l’ai dit, deux étapes. Dans la première étape, il s’agit des commandements du Décalogue, c’est-à-dire des exigences fondamentales de toute moralité humaine. Dans la seconde étape, le Christ dit: “Si tu veux être parfait... viens et suis-moi” [Mt 19, 21].

Ce “viens et suis-moi” est un point central et culminant de tout cet épisode. Ces paroles indiquent qu’on ne peut pas apprendre le christianisme comme une leçon composée de chapitres nombreux et divers, mais qu’il faut toujours le lier avec une Personne, avec une personne vivante: avec Jésus-Christ. Jésus-Christ est le guide. On peut l’imiter de diverses manières et dans des mesures diverses. On peut de diverses manières et dans des mesures diverses faire de Lui la “Règle” de sa propre vie.

Chacun de nous est comme un “matériau” particulier dont on peut - en suivant le Christ - tirer cette forme concrète, unique et absolument singulière de la vie qu’on peut appeler la vocation chrétienne. Sur ce point, on a dit beaucoup de choses au dernier Concile, en ce qui concerne la vocation des laïcs.

10. Ceci ne change rien au fait que ce “suis-moi” du Christ, dans le cas précis, est et demeure la vocation sacerdotale ou la vocation à la vie consacrée selon les conseils évangéliques. Je le dis parce que vous avez posé la question (la 10ième) sur ma propre vocation sacerdotale. Je chercherai à vous répondre brièvement, en suivant la trame de votre question.

Je dirai donc d’abord: il y a deux ans que je suis Pape; plus de vingt ans que je suis évêque, et cependant le plus important pour moi demeure toujours le fait d’être prêtre. Le fait de pouvoir chaque jour célébrer l’Eucharistie. De pouvoir renouveler le propre sacrifice du Christ, en rendant en lui toutes choses au Père: le monde, l’humanité, et moi-même. C’est en cela, en effet, que consiste une juste dimension de l’Eucharistie. Et c’est pourquoi j’ai toujours vivant dans ma mémoire ce développement intérieur à la suite duquel “j’ai entendu” l’appel du Christ au sacerdoce. Ce “viens et suis-moi” particulier.

En vous confiant ceci, je vous invite à bien prêter l’oreille, chacun et chacune d’entre vous, à ces paroles évangéliques. C’est par là que se formera jusqu’au fond votre humanité, et que se définira la vocation chrétienne de chacun d’entre vous. Et peut-être à votre tour entendrez-vous aussi l’appel au sacerdoce ou à la vie religieuse. La France, jusqu’à il y a peu de temps encore, était riche de ces vocations. Elle a donné entre autres à l’Eglise tant de missionnaires et tant de religieuses missionnaires! Certainement, le Christ continue à parler sur les bords de la Seine, et Il adresse toujours le même appel. Ecoutez attentivement. Il faudra toujours qu’il y ait dans l’Eglise ceux qui “ont été choisis parmi les hommes” [Heb 5, 1], ceux que le Christ établit, d’une manière particulière, “pour le bien des hommes” et qu’il envoie aux hommes.

11. Vous avez aussi posé la question sur la prière (la 4ième). Il y a plusieurs définitions de la prière. Mais on l’appelle le plus souvent un colloque, une conversation, un entretien avec Dieu. En conversant avec quelqu’un, non seulement nous parlons, mais aussi nous écoutons. La prière est donc aussi une écoute. Elle consiste à se mettre à l’écoute de la voix intérieure de la grâce. A l’écoute de l’appel. Et alors, comme vous me demandez comment le Pape prie, je vous réponds: comme tout chrétien: il parle et il écoute. Parfois, il prie sans paroles, et alors il écoute d’autant plus. Le plus important est précisément ce qu’il “entend”. Et il cherche aussi à unir la prière à ses obligations, à ses activités, à son travail, et à unir son travail à la prière. Et de cette manière, jour après jour, il cherche à accomplir son “service”, son “ministère”, qui lui vient de la volonté du Christ et de la tradition vivante de l’Eglise.

12. Vous me demandez aussi comment je vois ce service maintenant que j’ai été appelé depuis deux ans à être Successeur de Pierre (question numéro 6). Je le vois surtout comme une maturation dans le sacerdoce et comme la permanence dans la prière, avec Marie, la Mère du Christ, de la manière dont les Apôtres étaient assidus à la prière, dans le Cénacle de Jérusalem, quand ils ont reçu l’Esprit Saint.

En plus de cela, vous trouverez ma réponse à cette question à partir des questions suivantes. Et par-dessus tout celle concernant la réalisation du Concile Vatican II (question 14). Vous demandez si elle est possible? Et je vous réponds: non seulement la réalisation du Concile est possible, mais elle est nécessaire. Et cette réponse est avant tout la réponse de la foi. C’est la première réponse que j’ai donnée, au lendemain de mon élection, devant les cardinaux réunis dans la Chapelle Sixtine. [.. ad lib]

C’est la réponse que je me suis donnée à moi-même et aux autres, d’abord comme évêque et comme cardinal, et c’est la réponse que je donne continuellement. C’est le problème principal. Je crois qu’à travers le Concile se sont réalisées pour l’Eglise à notre époque les paroles du Christ par lesquelles il a promis à son Eglise l’Esprit de vérité, qui conduira les esprits et les cœurs des Apôtres et de leurs successeurs, en leur permettant de demeurer dans la vérité et de guider l’Eglise dans la vérité, en réalisant à la lumière de cette vérité “les signes des temps”.

C’est justement ce que le Concile a fait en fonction de besoins de notre temps, de notre époque. Je crois que, grâce au Concile, l’Esprit Saint "a parl
é" à l’Eglise et “parle” à l’Eglise. Je dis cela en reprenant l’expression de saint Jean. Notre devoir est de comprendre de manière ferme et honnête ce que “dit l’Esprit”, et de le réaliser, en évitant les déviations hors de la route que le Concile a tracée à tant de points de vue.

13. Le service de l’évêque, et en particulier celui du Pape, est lié à une responsabilité particulière pour ce que dit l’Esprit: il est lié pour l’ensemble de la foi de l’Eglise et de la morale chrétienne. En effet, c’est cette foi et cette morale qu’ils doivent enseigner dans l’Eglise, les évêques avec le Pape, en veillant à la lumière de la tradition toujours vivante sur leur conformité avec la parole de Dieu révélée. Et c’est pourquoi ils doivent parfois constater aussi que certaines opinions ou certaines publications manifestent qu’elles manquent de cette conformité. Elles ne constituent pas une doctrine authentique de la foi chrétienne et de la morale. J’en parle parce que vous l’avez demandé (question numéro 5). Si nous avions plus de temps, on pourrait consacrer à ce problème un exposé plus développé - d’autant plus que, dans ce domaine, les informations fausses et les explications erronées ne manquent pas, mais il faut nous contenter aujourd’hui de ces quelques mots. [... ad lib]

14. L’œuvre de l’unité des chrétiens, j’estime qu’elle est une des plus grandes et des plus belles tâches de l’Eglise pour notre époque.

Vous voudriez savoir si j’attends cette unité et comment je me la représente? Je vous répondrai la même chose qu’à propos de la mise en œuvre du Concile. Là aussi, je vois un appel particulier de l’Esprit Saint. Pour ce qui concerne sa réalisation, les diverses étapes de cette réalisation, nous trouvons dans l’enseignement du Concile tous les éléments fondamentaux. Ce sont eux qu’il faut mettre en œuvre, chercher leurs applications concrètes, et surtout prier toujours avec ferveur, avec constance, avec humilité. L’union des chrétiens ne peut se réaliser autrement que par une maturation profonde dans la vérité, et par une conversion constante des cœurs. Tout cela, nous devons le faire dans la mesure de nos capacités humaines, en reprenant tous les “processus historiques” qui ont duré des siècles. Mais en définitive, cette union, pour laquelle nous ne devons ménager ni nos efforts ni nos travaux, sera le don du Christ à son Eglise. Tout comme c’est déjà un de ses dons que nous soyons entrés sur le chemin de l’unité.

15. En poursuivant la liste de vos questions, je vous réponds: j’ai déjà parlé très souvent des devoirs de l’Eglise dans le domaine de la justice et de la paix (15ième question), prenant ainsi le relais de l’activité de mes grands prédécesseurs Jean XXIII et Paul VI. Demain en particulier, j’ai l’intention de prendre la parole au siège de l’UNESCO, à Paris,
à ce sujet.

Je me réfère à tout cela parce que vous demandez: que pouvons-nous faire pour cette cause, nous les jeunes? Pouvons-nous faire quelque chose pour empêcher une nouvelle guerre, une catastrophe qui serait incomparable, plus terrible que la précédente? Je pense que, dans la formulation même de vos questions, vous trouverez la réponse attendue. Lisez ces questions. Méditez-le. Faite-sen un programme communautaire, un programme de vie.

Vous les jeunes, vous avez déjà la possibilité de promouvoir la paix et la justice, là où vous êtes, dans votre monde. Cela comprend déjà des attitudes précises de bienveillance dans le jugement, de vérité sur vous mêmes et sur les autres, un désir de justice basé sur le respect des autres, de leurs différences, de leurs droits importants; ainsi se prépare pour demain un climat de fraternité lorsque vous aurez de plus grandes responsabilités dans la société. Si l’on veut faire un monde nouveau et fraternel, il faut préparer des hommes nouveaux.

16. Et maintenant la question sur le Tiers-Monde (numéro 8). C’est une grande question historique, culturelle, de civilisation. Mais c’est surtout un problème moral. Vous demandez à juste titre quelles doivent être les relations entre notre pays et les pays du Tiers-Monde: de l’Afrique et de l’Asie. Il y a là, en effet, de grandes obligations de nature morale. Notre monde “occidental” est en même temps “septentrional” [... ad lib] (européen ou atlantique). Ses richesses et son progrès doivent beaucoup aux ressources et aux hommes de ces continents, Afrique surtout.

Dans-la nouvelle situation dans laquelle nous nous trouvons après le Concile, il ne peut pas ne chercher là-bas que les sources d’un enrichissement ultérieur et de son propre progrès. Notre monde doit consciemment, et en s’organisant pour cela, servir leur développement. Tel est peut-être le problème le plus important en ce qui concerne la justice et la paix dans le monde d’aujourd’hui et de demain. La solution de ce problème dépend de la génération actuelle, et elle dépendra de votre génération et de celles qui suivront. Ici aussi, il s’agit de continuer le témoignage rendu au Christ et à l’Eglise par plusieurs générations antérieures de missionnaires religieux et laïcs, entre autres, en grand mesure, des missionaires de votre pays, de la France.

17. La question: comment être aujourd’hui témoin du Christ? (numéro 18). C’est la question fondamentale, la continuation de la méditation que nous avons placée au centre de notre dialogue, l’entretien avec le jeune. Le Christ dit: “Suis-moi”. C’est ce qu’il a dit à Simon, le fils de Jonas, auquel il a donné le nom de Pierre; à son frère André; aux fils de Zébédée; a Nathanaël. Il dit “suis-moi”, pour répéter ensuite, après la résurrection, “vous serez mes témoins” [Act 1, 8].

Pour être témoin du Christ, pour lui rendre témoignage, il faut d’abord le suivre. Il faut apprendre à le connaître, il faut se mettre, pour ainsi dire, à son école, pénétrer tout mystère. C’est une tâche fondamentale et centrale. Si nous ne le faisons pas, si nous ne sommes pas prêts à le faire constamment et honnêtement, notre témoignage risque de devenir superficiel et extérieur. Il risque de ne plus être un témoignage. Si au contraire nous restons attentifs à cela, le Christ lui-même nous enseignera, par son Esprit, ce que nous avons à faire, comment nous comporter, en quoi et comment nous engager, comment conduire le dialogue avec le monde contemporain, ce dialogue que Paul VI a appelé le dialogue du salut.

18. Si vous me demandez par conséquent: “Que devons-nous faire dans l’Eglise, surtout nous, les jeunes?”, je vous répondrai: apprendre à connaître Christ. Constamment. Apprendre le Christ. En Lui se trouvent vraiment les trésors insondables de la sagesse et de la science. En Lui l’homme, sur lequel pèsent ses limites, ses vices, sa faiblesse et son péché, devient vraiment “l’homme nouveau”: il devient l’homme “pour les autres”, il devient aussi la gloire de Dieu, parce que la gloire de Dieu, comme l’a dit au deuxième siècle saint Irénée de Lyon, évêque et martyr, c’est “l’homme vivant”.

L’expérience de deux millénaires nous enseigne que dans cette œuvre fondamentale, la mission de tout le peuple de Dieu, il n’existe aucune différence essentielle entre l’homme et la femme. Chacun dans son genre, selon les caractéristiques spécifiques de la féminité et de la masculinité devient cet “homme nouveau”, c’est-à-dire cet homme “pour les autres”, et comme homme vivant il devient la gloire de Dieu. Si cela est vrai, tout comme il est vrai que l’Eglise, au sens hiérarchique, est dirigée par les successeurs des Apôtres et donc par les hommes, il est certainement d’autant plus vrai que, au sens charismatique, les femmes la “conduisent” tout autant, et peut-être encore plus: je vous invite à penser souvent à Marie, la Mère du Christ. [... ad lib ... Ave Maria sung .... ad lib]

Alors, avant de terminer je dois vous dire encore comment j'ai prepare ses discours-dialogues. On m'a envoye le programme en disant il faut parler aux jeunes. Alors, on a prepare un discours, un message solide, et ensuite les organisateurs m'ont envoyes votre programme, vos questions. Alors, il fallait le changer et preparer ses discours que vous avez entendu mais le discours-monologue reste toujours et je voudrais bien vous le laisser a l'etudier, a lier. Je pense que les organisateurs l'acceptent bien de vous l'envoyer. [... ad lib ....] On s'apercoit que nous sommes presque a minuit et on m'attend a onze heures a Montmartre!

19. Avant de conclure ce témoignage basé sur vos questions, je voudrais encore remercier très spécialement les nombreux représentants de la jeunesse française qui, avant mon arrivée à Paris, m’ont envoyé des milliers de lettres. Je vous remercie d’avoir manifesté ce lien, cette communion, cette coresponsabilité. Je souhaite que ce lien, cette communion, cette coresponsabilité se poursuivent, s’approfondissent et se développent après notre rencontre de ce soir.

Je vous demande aussi de renforcer votre union avec les jeunes de l’ensemble de l’Eglise et du monde, dans l’esprit de cette certitude que le Christ est notre chemin, la Vérité et la Vie [cf Jn 14, 6].

Unissons-nous maintenant dans cette prière que Christ Lui-même nous a enseignée, en chantant le “Notre Père”, et recevez tous pour vous, pour les garçons et les filles de votre âge, pour vos familles et pour les hommes qui souffrent le plus, la bénédiction de l’évêque de Rome, et de tous l'
évêques ici presents.

Notre Père qui est aux cieux, / que ton nom soit sanctifié, / que ton règne vienne, / que ta volonté soit faite / sur la terre comme au ciel. / Donne-nous aujourd’hui / notre pain de ce jour. / Pardonne-nous nos offenses, / comme nous pardonnons aussi / à ceux qui nous ont offensés. / Et ne nous soumets pas à la tentation, / mais délivre-nous du mal. / Amen."

Visite de St Jean Paul II au Sacré Coeur de Montmartre
Paris, dimanche 1er juin 1980 - also in Italian, Portuguese & Spanish

"1. “Reste avec nous, Seigneur, car le jour est sur son déclin” [cf Lc 24, 29].

Les disciples d’Emmaüs avaient le cœur déjà tout brûlant au-dedans d’eux-mêmes après avoir entendu expliquer sur le chemin, les merveilles du plan de salut révélé dans les Écritures. Par la fraction du pain, le Seigneur achève de se révéler à eux, ressuscité, dans la plénitude de son amour.

Nous sommes à Montmartre, dans la basilique du Sacré-Cœur, consacrée à la contemplation de l’amour du Christ présent dans le Saint-Sacrement.

Nous sommes au soir du premier juin, premier jour du mois particulièrement consacré à la méditation, à la contemplation de l’amour du Christ manifesté par son Sacré-Cœur.

Ici, jour et nuit, des chrétiens se rassemblent et se succèdent pour rechercher “les insondables richesses du Christ” [cf Eph 3, 8-19].

2. Nous venons ici à la rencontre du Cœur transpercé pour nous d’où jaillissent l’eau et le sang.

C’est l’amour rédempteur, qui est à l’origine du salut, de notre salut, qui est à l’origine de l’Église.

Nous venons ici contempler l’amour du Seigneur Jésus: sa bonté compatissante pour tous durant sa vie terrestre; son amour de prédilection pour les petits, les malades, les affligés. Contemplons son cœur brûlant d’amour pour son Père, dans la plénitude du Saint-Esprit. Contemplons son amour infini, celui du Fils éternel, qui nous conduit jusqu’au mystère même de Dieu.

3. Maintenant encore, aujourd’hui, le Christ vivant nous aime et nous présente son cœur comme la source de notre rédemption: “Semper vivens ad interpellandum pro nobis” [Heb 7, ]. A chaque instant, nous sommes enveloppés, le monde entier est enveloppé, dans l’amour de ce cœur “qui a tant aimé les hommes et qui en est si peu aimé”.

“Je vis, dit saint Paul, dans la foi au Fils de Dieu, qui m’a aimé, et qui s’est livré pour moi” [Gal 2, 20]. La méditation de l’amour du Seigneur passe nécessairement par celle de sa passion: “Il s’est livré pour moi”. Ceci implique que chacun prenne conscience non seulement du péché du monde en général, mais de ce péché par lequel chacun est réellement en cause, négativement, dans les souffrances du Seigneur.

25Cette méditation de l’amour manifesté dans la passion doit aussi nous conduire à vivre conformément aux exigences du baptême, à cette purification de notre être par l’eau jaillie du cœur du Christ; à vivre conformément à l’appel qu’il nous adresse chaque jour par sa grâce. Puisse-t-il nous donner maintenant “de veiller et de prier” pour ne plus succomber à la tentation. Qu’il nous donne d’entrer spirituellement dans son mystère; d’avoir en nous, comme dit encore saint Paul, les sentiments qui étaient dans le Christ Jésus... “qui s’est fait obéissant jusqu’à la mort” [Phil 2, 5-8].

Par là, nous sommes appelés à répondre pleinement à son amour, à lui consacrer nos activités, notre apostolat, toute notre vie.

4. Ce mystère de l’amour du Christ, nous ne sommes pas appelés à le méditer et à le contempler seulement; nous sommes appelés à y prendre part. C’est le mystère de la Sainte Eucharistie, centre de notre foi, centre du culte que nous rendons à l’amour miséricordieux du Christ manifesté dans son Sacré-Cœur, mystère qui est adoré ici nuit et jour, dans cette basilique, qui devient par là-même un de ces centres d’où l’amour et la grâce du Seigneur rayonnent mystérieusement mais réellement sur votre cité, sur votre pays et sur le monde racheté.

Dans la sainte Eucharistie, nous célébrons la présence toujours nouvelle et active de l’unique sacrifice de la Croix dans lequel la Rédemption est un événement éternellement présent, indissolublement lié à l’intercession même du Sauveur.

Dans la sainte Eucharistie, nous communions au Christ lui-même, unique prêtre et unique hostie, qui nous entraîne dans le mouvement de son offrande et de son adoration, Lui qui est la source de toute grâce.

Dans la sainte Eucharistie - c’est aussi le sens de l’adoration perpétuelle - nous entrons dans ce mouvement de l’amour d’où découle tout progrès intérieur et toute efficacité apostolique: “Quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes” [Jn 12, 32].

Chers Frères et Sœurs, ma joie est grande de pouvoir finir cette journée dans ce haut lieu de la prière eucharistique, au milieu de vous, réunis par l’amour envers le divin Cœur. Priez-le. Vivez de ce message qui, de l’Évangile de saint Jean à Paray-le-Monial, nous appelle à entrer dans son mystère. Puissions-nous tous “puiser avec joie aux sources du salut” [Is 12, 3], celles qui découlent de l’amour du Seigneur, mort et ressuscité pour nous.

C’est à lui que je recommande aussi ce soir votre pays et toutes vos intentions apostoliques. De grand cœur, je vous donne ma Bénédiction."

Discours de St JPII avec des Organisations Internationales Catholiques
Paris, lundi 2 juin 1980 - also in Italian, Portuguese & Spanish

"Mes chers frères et sœurs dans le Christ,
1. Dans le cadre de ma visite à l’UNESCO, j’ai tenu à rencontrer aussi les représentants des Organisations Internationales Catholiques (OIC) et du Centre catholique international pour l’UNESCO. Je sais que vous suivez de près, selon le statut qui vous est accordé en tant qu’organisation non-gouvernementale, les activités de cette Organisation des Nations Unies. Je vous remercie de votre présence et de votre intérêt.

Comme je l’ai fait à New York à l’occasion de ma visite à l’Organisation des Nations Unies, je veux souligner par ma présence à l’UNESCO l’intérêt que le Saint-Siège porte à la vie des organisations internationales, aux rencontres où se discutent les problèmes majeurs du monde contemporain, et aux multiples efforts de coopération internationale qui visent à promouvoir à l’échelle du monde une vie en commun empreinte de justice et de respect pour les droits inaliénables de l’homme. Car, comme mon prédécesseur Jean XXIII, qui fut un des premiers Observateurs permanents du Saint-Siège auprès de l’UNESCO, le disait dans son encyclique “Pacem in Terris”, la socialisation au niveau mondial est un fait. Et cette réalité exige plus que jamais qu’un nouvel ordre de relations internationales puisse s’établir sur la base d’une éthique de justice, de respect de la personne humaine, de reconnaissance de la souveraineté de chaque nation, et de solidarité.

2. Dans ce contexte, il est nécessaire de promouvoir des échanges entre les peuples afin de permettre à chacun d’entre eux de se donner une identité propre, fondée sur une conception dynamique de la culture, qui plonge ses racines dans le passé, se nourrit de divers apports historiques et devient créatrice de nouvelles expressions tout en restant à la fois fidèle à ses valeurs propres et ouverte à celles d’autrui comme à un avenir de progrès.

L’Église ne peut pas rester étrangère à cette entreprise, elle qui, en raison de sa condition particulière, n’est pas liée à des perspectives de pouvoir politique ou d’intérêt économique, mais est inspirée uniquement par la mission que le Christ lui a confiée.

En effet, forte de son mandat du Christ d’annoncer l’Évangile à tous les peuples, l’Église est présente dans toutes les nations et les cultures comme le sacrement universel de salut et d’unité pour le genre humain: par elle, l’humanité est réconciliée avec le Père; par elle, la fraternité dans le Christ est ouverte à tous les hommes; par elle enfin, l’Évangile féconde les énergies morales et religieuses et apporte une contribution originale à l’établissement d’une culture, d’une civilisation fondée sur la primauté de l’esprit, la justice et l’amour.

3. Dans cette perspective, j’exprime mon estime et mes encouragements à tous les catholiques qui assument leur responsabilité propre dans la vie internationale, soit, comme beaucoup d’entre vous ici, au service de l’UNESCO, soit, tout particulièrement, dans les organisations catholiques internationales, qui ont bien compris quel rôle important elles ont à jouer dans ce domaine.

En effet, qu’il s’agisse de l’étude des grands problèmes internationaux ou de la sensibilisation et de la formation de l’opinion à leur égard, une contribution irremplaçable est fournie par les organisations catholiques internationales à travers leur statut d’organisation non-gouvernementale, comme aussi par les centres de la Conférence des OIC.

Je ne sous-estime nullement la nécessité de capacités techniques pour aborder les problèmes délicats et complexes qui se posent le domaine international. Mais votre contribution propre doit consister dans l’effort pour mettre toujours au cœur de ces problèmes, où se joue le destin des hommes et des peuples, une dimension éthique et religieuse qui est une composante fondamentale de la réalité humaine. Aucune solution n’est possible par des négociations au niveau politique, économique ou technique - aussi nécessaires qu’elles soient - si elle ne s’inspire pas de ces dimensions fondamentales. Que le respect et la tolérance, la volonté de collaboration loyale et de dialogue ne soient jamais un alibi pour dissimuler ou minimiser la contribution originale qui doit être la vôtre, à partir de la vérité du Christ, source de la vérité sur l’homme et sur sa dignité.

4. Cette contribution sera d’autant plus efficace qu’elle pourra se fonder sur les expériences et les réflexions qui vous parviennent de la base de vos organisations et mouvements, dans les divers lieux, pays et continents. C’est là un aspect positif des OIC. De par leur structure et l’origine de leurs membres, elles sauront à la fois dépasser les horizons d’un nationalisme ou d’un régionalisme limités, tout en évitant aussi une vision et une pratique imparfaites de l’internationalisme, vu comme le privilège de l’élite des puissants ou le domaine exclusif de spécialistes. Par l’extension de leur présence dans tous les milieux géographiques et culturels, par la densité de leurs circuits locaux et nationaux de coordination et d’information, par leur profonde communion avec l’Église à tous les niveaux où se réalise la coopération internationale, les organisations internationales catholiques donnent déjà et doivent donner toujours davantage un témoignage et une contribution importante à l’édification de la cité des hommes et du Royaume de Dieu.

Chers amis, chers frères et sœurs, que le Seigneur vous bénisse, vous et vos familles, qu’il bénisse votre travail à l’UNESCO, et tous les Christifideles des Organisations catholiques que vous représentez."

Discours du Pape St Jean Paul II à l'UNESCO
L'Organisation des Mantions Unies pour l'Education, la Science et la Culture
Paris, lundi 2 juin 1980 - also in German, Italian, Portuguese & Spanish

"Monsieur le Président de la Conférence générale, Monsieur le Président du Conseil exécutif,
Monsieur le Directeur général, Mesdames, Messieurs,

1. Je désire d'abord exprimer mes remerciements très cordiaux pour l’invitation que Monsieur Amadou Mahtar-M’Bow, Directeur général de l’Organisation des Nations Unies pour l’Éducation, la Science et la Culture, m’a adressée à plusieurs reprises, et déjà dès la première des visites qu'il m’a fait l’honneur de me rendre. Nombreuses sont les raisons pour lesquelles je suis heureux de pouvoir répondre aujourd’hui à cette invitation, que j’ai aussitôt hautement appréciée.

Pour les aimables paroles de bienvenue qu’ils viennent de prononcer à mon intention, je remercie Monsieur Napoléon Leblanc, Président de la Conférence générale, Monsieur Chams Eldine ElWakil, Président du Conseil exécutif, et Monsieur Amadou Mahtar-M’Bow, Directeur général de l’Organisation. Je veux saluer aussi tous ceux qui sont rassemblés ici pour la cent neuvième session du Conseil exécutif de l’UNESCO. Je ne saurais cacher ma joie de voir réunis en cette occasion tant de délégués des Nations du monde entier, tant de personnalités éminentes, tant de compétences, tant d’illustres représentants du monde de la culture et de la science.

Par mon intervention, j’essaierai d’apporter ma modeste pierre à l’édifice que vous construisez avec assiduité et persévérance, Mesdames et Messieurs, par vos réflexions et vos résolutions dans tous les domaines qui sont de la compétence de l’UNESCO.

2. Qu’il me soit permis de commencer en me rapportant aux origines de votre Organisation. Les événements qui ont marqué la fondation de l’UNESCO m’inspirent joie et gratitude envers la Providence: la signature de sa constitution le 16 novembre 1945; l’entrée en vigueur de cette constitution et l’établissement de l’Organisation le 4 novembre 1946; l’accord entre l’UNESCO et l’Organisation des Nations Unies approuvé par l’Assemblée Générale de l’ONU en la même année. Votre Organisation est en effet l’œuvre des Nations qui furent, après la fin de la terrible deuxième guerre mondiale, poussées par ce qu’on pourrait appeler un désir spontané de paix, d’union et de réconciliation. Ces Nations cherchèrent les moyens et les formes d’une collaboration capable d’établir, d’approfondir et d’assurer de manière durable cette nouvelle entente.

L’UNESCO est donc née, comme l’Organisation des Nations Unies, parce que les peuples savaient qu’à la base des grandes entreprises destinées à servir la paix et le progrès de l’humanité sur l’ensemble du globe, il y avait la nécessité de l’union des nations, du respect réciproque, et de la coopération internationale.

3. Prolongeant l’action, la pensée et le message de mon grand prédécesseur le Pape Paul VI, j’ai eu l’honneur de prendre la parole devant l’Assemblée Générale des Nations Unies, au mois d’octobre dernier, à l’invitation de Monsieur Kurt Waldheim, Secrétaire général de l’ONU. Peu après, le 12 novembre 1979, j’ai été invité par Monsieur Edouard Saouma, Directeur général de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture à Rome. En ces circonstances, il m’a été donné de traiter de questions profondément liées à l’ensemble des problèmes qui se rapportent à l’avenir pacifique de l’homme sur la terre. En effet, tous ces problèmes sont intimement liés. Nous nous trouvons en présence, pour ainsi dire, d’un vaste système de vases communicants: les problèmes de la culture, de la science et de l’éducation ne se présentent pas, dans la vie des nations et dans les relations internationales, de manière indépendante des autres problèmes de l’existence humaine, comme ceux de la paix ou de la faim. Les problèmes de la culture sont conditionnés par les autres dimensions de l’existence humaine, tout comme, à leur tour, ceux-ci les conditionnent.

4. Il y quand même ― et je l’ai souligné dans mon discours à l’ONU en me référant à la Déclaration Universelle des droits de l’homme ― une dimension fondamentale, qui est capable de bouleverser jusque dans leurs fondements les systèmes qui structurent l’ensemble de l’humanité et de libérer l’existence humaine, individuelle et collective, des menaces qui pèsent sur elle. Cette dimension fondamentale, c’est l’homme, l’homme dans son intégralité, l’homme qui vit en même temps dans la sphère des valeurs matérielles et dans celle des valeurs spirituelles. Le respect des droits inaliénables de la personne humaine est à la base de tout [cf Discours à l'ONU, n 7 & 13]
].

Toute menace contre les droits de l’homme, que ce soit dans le cadre de ses biens spirituels ou dans celui de ses biens matériels, fait violence à cette dimension fondamentale. C’est pourquoi, dans mon discours à la FAO, j’ai souligné qu’aucun homme, aucun pays ni aucun système du monde ne peut rester indifférent devant la « géographie de la faim » et les menaces gigantesques qui en suivront si l’orientation entière de la politique économique, et en particulier la hiérarchie des investissements, ne changent pas de manière essentielle et radicale. C’est pourquoi aussi j’insiste, en me référant aux origines de votre Organisation, sur la nécessité de mobiliser toutes les forces qui orientent la dimension spirituelle de l’existence humaine, qui témoignent du primat du spirituel dans l’homme ― de ce qui correspond à la dignité de son intelligence, de sa volonté et de son cœur ― pour ne pas succomber de nouveau à la monstrueuse aliénation du mal collectif qui est toujours prêt à utiliser les puissances matérielles dans la lutte exterminatrice des hommes contre les hommes, des nations contre les nations.

5. A l’origine de l’UNESCO, comme aussi à la base de la Déclaration Universelle des droits de l’homme, se trouvent donc ces premières nobles impulsions de la conscience humaine, de l’intelligence et de la volonté. J’en appelle à cette origine, à ce commencement, à ces prémisses et à ces premiers principes. C’est en leur nom que je viens aujourd’hui à Paris, au siège de votre Organisation, avec une prière: qu’au terme d’une étape de plus de trente ans de vos activités, vous vouliez vous unir encore davantage autour de ces idéaux et des principes qui se trouvèrent au commencement. C’est en leur nom aussi que je me permettrait maintenant de vous proposer quelques considérations vraiment fondamentales, car c’est seulement à leur lumière que resplendit pleinement la signification de cette institution qui a pour nom UNESCO, Organisation des Nations Unies pour l’Éducation, la Science et la Culture.

6. Genus humanum arte et ratione vivit [cf St Thomas, commentant Aristote, dans Post analyt, 1]. Ces paroles d’un des plus grands génies du christianisme, qui fut en même temps un continuateur fécond de la pensée antique, portent au-delà du cercle et de la signification contemporaine de la culture occidentale, qu’elle soit méditerranéenne ou atlantique. Elles ont une signification qui s’applique à l’ensemble de l’humanité où se rencontrent les diverses traditions qui constituent son héritage spirituel et les diverses époques de sa culture. La signification essentielle de la culture consiste, selon ces paroles de saint Thomas d’Aquin, dans le fait qu’elle est une caractéristique de la vie humaine comme telle. L’homme vit d’une vie vraiment humaine grâce à la culture. La vie humaine est culture en ce sens aussi que l’homme se distingue et se différencie à travers elle de tout ce qui existe par ailleurs dans le monde visible: l’homme ne peut pas se passer de culture.

La culture est un mode spécifique de l’« exister » et de l’« être » de l’homme. L’homme vit toujours selon une culture qui lui est propre, et qui, à son tour, crée entre les hommes un lien qui leur est propre lui aussi, en déterminant le caractère inter-humain et social de l’existence humaine. Dans l’unité de la culture comme mode propre de l’existence humaine, s’enracine en même temps la pluralité des cultures au sein de laquelle l’homme vit. Dans cette pluralité, l’homme se développe sans perdre cependant le contact essentiel avec l’unité de la culture en tant que dimension fondamentale et essentielle de son existence et de son être.

7. L’homme qui, dans le monde visible, est l’unique sujet ontique de la culture, est aussi son unique objet et son terme. La culture est ce par quoi l’homme en tant qu’homme devient davantage homme, « est » davantage, accède davantage à l’« être ». C’est là aussi que se fonde la distinction capitale entre ce que l’homme est et ce qu’il a, entre l’être et l’avoir. La culture se situe toujours en relation essentielle et nécessaire à ce qu’est l’homme, tandis que sa relation à ce qu’il a, à son « avoir », est non seulement secondaire, mais entièrement relative.

Tout l’« avoir » de l’homme n’est important pour la culture, n’est un facteur créateur de la culture, que dans la mesure où l’homme, par l’intermédiaire de son « avoir », peut en même temps « être plus pleinement comme homme, devenir plus pleinement homme dans toutes les dimensions de son existence, dans tout ce qui caractérise son humanité. L’expérience des diverses époques, sans en exclure l’époque présente, démontre qu’on pense à la culture et qu’on en parle d’abord en relation avec la nature de l’homme, puis seulement de manière secondaire et indirecte en relation avec le monde de ses produits.

Ceci n’enlève rien au fait que nous jugions le phénomène de la culture à partir de ce que l’homme produit, ou que nous tirions de cela en même temps des conclusions sur l’homme. Une telle approche ― mode typique du processus de connaissance « a posteriori » ― contient en elle-même la possibilité de remonter, en sens inverse, vers les dépendances ontico-causales. L’homme, et l’homme seul, est « acteur », ou « artisan », de la culture; l’homme, et l’homme seul, s’exprime en elle et trouve en elle son propre équilibre. L'homme intégral, sujet de la culture

8. Nous tous ici présents, nous nous rencontrons sur le terrain de la culture, réalité fondamentale qui nous unit et qui est à la base de l’établissement et des finalités de l’UNESCO. Nous nous rencontrons par le fait même autour de l’homme et, en un certain sens, en lui, en l’homme. Cet homme, qui s’exprime et s’objective dans et par la culture, est unique, complet et indivisible. Il est à la fois sujet et artisan de la culture. On ne peut dès lors l’envisager uniquement comme la résultante de toutes les conditions concrètes de son existence, comme la résultante ― pour ne citer qu’un exemple ― des relations de production qui prévalent à une époque déterminée. Ce critère des relations de production ne serait-il alors aucunement une clé pour la compréhension de l’historicité de l’homme, pour la compréhension de sa culture et des multiples formes de son développement?

Certes, ce critère constitue bien une clé, et une clé précieuse même, mais il n’est pas la clé fondamentale, constitutive. Les cultures humaines reflètent, cela ne fait aucun doute, les divers systèmes de relations de production; cependant, ce n’est pas tel ou tel système qui est à l’origine de la culture, mais c’est bien l’homme, l’homme qui vit dans le système, qui l’accepte ou qui cherche à le changer. On ne peut penser une culture sans subjectivité humaine et sans causalité humaine; mais dans le domaine culturel, l’homme est toujours le fait premier: l’homme est le fait primordial et fondamental de la culture.

Et cela, l’homme l’est toujours: dans l’ensemble intégral de sa subjectivité spirituelle et matérielle.

Si la distinction entre culture spirituelle et culture matérielle est juste en fonction du caractère et du contenu des produits dans lesquels la culture se manifeste, il faut constater en même temps que, d’une part, les œuvres de la culture matérielle font apparaître toujours une « spiritualisation » de la matière, une soumission de l’élément matériel aux forces spirituelles de l’homme, c’est-à-dire à son intelligence et à sa volonté, ― et que, d’autre part, les œuvres de la culture spirituelle manifestent, d’une manière spécifique, une « matérialisation » de l’esprit, une incarnation de ce qui est spirituel.

Dans les œuvres culturelles, cette double caractéristique semble être également primordiale et également permanente.

Voici donc, en guise de conclusion théorique, une base suffisante pour comprendre la culture à travers l’homme intégral, à travers toute la réalité de sa subjectivité. Voici aussi ― dans le domaine de l’agir ― la base suffisante pour chercher toujours dans la culture l’homme intégral, l’homme tout entier, dans toute la vérité de sa subjectivité spirituelle et corporelle; la base qui est suffisante pour ne pas superposer à la culture ― système authentiquement humain, synthèse splendide de l’esprit et du corps ― des divisions et des oppositions préconçues. En effet, qu’il s’agisse d’une absolutisation de la matière dans la structure du sujet humain, ou, inversement, d’une absolutisation de l’esprit dans cette même structure, ni l’une ni l’autre n’expriment la vérité de l’homme et ne servent sa culture.

9. Je voudrais m’arrêter ici à une autre considération essentielle, à une réalité d’un ordre bien divers. Nous pouvons l’aborder en notant le fait que le Saint-Siège est représenté à l'UNESCO par son Observateur permanent, dont la présence se situe dans la perspective de la nature même du Siège Apostolique. Cette présence est. d’une façon plus large encore, en consonance avec la nature et la mission de l’Église catholique et, indirectement, avec celle de tout le christianisme. Je saisis l’occasion qui m’est offerte aujourd’hui pour exprimer une conviction personnelle profonde.

La présence du Siège Apostolique auprès de votre Organisation ― bien que motivée aussi par la souveraineté spécifique du Saint-Siège ― trouve, par-dessus tout, sa raison d’être dans le lien organique et constitutif qui existe entre la religion en général et le christianisme en particulier, d’une part, et la culture, d’autre part. Cette relation s’étend aux multiples réalités qu’il faut définir comme des expressions concrètes de la culture aux diverses époques de l’histoire et dans tous les points du globe. Il ne sera certainement pas exagéré d’affirmer en particulier que, à travers une multitude de faits, l’Europe tout entière ― de l’Atlantique à l’Oural ― témoigne, dans l’histoire de chaque nation comme dans celle de la communauté entière, du lien entre la culture et le christianisme.

En rappelant cela, je ne veux en aucune manière diminuer l’héritage des autres continents, ni la spécificité et la valeur de ce même héritage qui dérive des autres sources de l’inspiration religieuse, humaniste et éthique. Bien plus, à toutes les cultures de l’ensemble de la famille humaine, des plus anciennes à celles qui nous sont contemporaines, je désire rendre l’hommage le plus profond et sincère. C’est en pensant à toutes les cultures que je veux dire à haute voix ici, à Paris, au siège de l’UNESCO, avec respect et admiration: « Voici l’homme! ». Je veux proclamer mon admiration devant la richesse créatrice de l'esprit humain, devant ses efforts incessants pour connaître et pour affermir l’identité de l’homme: de cet homme qui est présent toujours dans toutes les formes particulières de culture.

10. En parlant au contraire de la place de l’Église et du Siège Apostolique auprès de votre Organisation, je ne pense pas seulement à toutes les œuvres de la culture dans lesquelles, au cours des deux derniers millénaires, s’exprimait l’homme qui avait accepté le Christ et l’Évangile, ni aux institutions de différentes sortes qui sont nées de la même inspiration dans les domaines de l’éducation, de l’instruction, de la bienfaisance, de l’assistance sociale et en tant d’autres. Je pense surtout, Mesdames et Messieurs, au lien fondamental de l’Évangile, c’est-à-dire du message du Christ et de l’Église, avec l’homme dans son humanité même. Ce lien est en effet créateur de culture dans son fondement même. Pour créer la culture, il faut considérer, jusqu’en ses dernières conséquences et intégralement, l’homme comme une valeur particulière et autonome, comme le sujet porteur de la transcendance de la personne. Il faut affirmer l’homme pour lui-même, et non pour quelque autre motif ou raison: uniquement pour lui-même! Bien plus, il faut aimer l’homme parce qu’il est homme, il faut revendiquer l’amour pour l’homme en raison de la dignité particulière qu’il possède. L’ensemble des affirmations concernant l’homme appartient à la substance même du message du Christ et de la mission de l’Église, malgré tout ce que les esprits critiques ont pu déclarer en la matière, et tout ce qu’ont pu faire les divers courants opposés à la religion en général et au christianisme en particulier.

Au cours de l’histoire, nous avons déjà été plus d’une fois, et nous sommes encore, les témoins d’un processus, d’un phénomène très significatif. Là où ont été supprimées les institutions religieuses, là où les idées et les œuvres nées de l’inspiration religieuse, et en particulier de l’inspiration chrétienne, on été privées de leur droit de cité, les hommes retrouvent à nouveau ces mêmes données hors des chemins institutionnels, par la confrontation qui s’opère, dans la vérité et l’effort intérieur, entre ce qui constitue leur humanité et ce qui est contenu dans le message chrétien.

Mesdames et Messieurs, vous voudrez bien me pardonner cette affirmation. En la proposant, je n’ai voulu offenser absolument personne. Je vous prie de comprendre que, au nom de ce que je suis, je ne pouvais m’abstenir de donner ce témoignage. Il porte aussi en lui cette vérité ― qui ne peut être passée sous silence ― sur la culture, si l’on cherche en elle tout ce qui est humain, ce en quoi l’homme s’exprime ou par quoi il veut être le sujet de son existence. Et en parlant, je voulais en même temps manifester d’autant plus ma gratitude pour les liens qui unissent l’UNESCO au Siège Apostolique, ces liens dont ma présence aujourd’hui veut être une expression particulière.

11. De tout cela se dégage un certain nombre de conclusions capitales. En effet, les considérations que je viens de faire montrent à l’évidence que la tâche première et essentielle de la culture en général, et aussi de toute culture, est l’éducation. L’éducation consiste en effet à ce que l’homme devienne toujours plus homme, qu’il puisse « être » davantage et pas seulement qu’il puisse « avoir » davantage, et que par conséquent, à travers tout ce qu’il « a », tout ce qu’il « possède », il sache de plus en plus pleinement « être » homme. Pour cela il faut que l’homme sache « être plus » non seulement « avec les autres », mais aussi « pour les autres ».

L’éducation a une importance fondamentale pour la formation des rapports inter-humains et sociaux. Ici aussi, j’aborde un ensemble d’axiomes sur le terrain duquel les traditions du christianisme issues de l’Évangile rencontrent l’expérience éducative de tant d’hommes bien disposés et profondément sages, si nombreux dans tout les siècles de l’histoire. Ils ne manquent pas non plus à notre époque, ces hommes qui se révèlent grands, simplement par leur humanité qu’ils savent partager avec les autres, en particulier avec les jeunes.

En même temps, les symptômes des crises de tous genres auxquelles succombent les milieux et les sociétés par ailleurs les mieux pourvus ― crises qui affectent avant tout les jeunes générations ― témoignent à l’envi que l’œuvre d’éducation de l’homme ne s’accomplit pas seulement à l’aide des institutions, à l’aide des moyens organisés et matériels, fussent-ils excellents. Ils manifestent aussi que le plus important est toujours l’homme, l’homme et son autorité morale qui provient de la vérité de ses principes et de la conformité de ses actions avec ces principes.

12. En tant que l’Organisation mondiale la plus compétente dans tous les problèmes de la culture, l’UNESCO ne peut pas négliger cette autre question absolument primordiale: que faire pour que l’éducation de l’homme se réalise surtout dans la famille?

Quel est l’état de la moralité publique qui assurera à la famille, et surtout aux parents, l’autorité morale nécessaire à cette fin? Quel type d’instruction? Quelles formes de législation soutiennent cette autorité ou, au contraire, l’affaiblissent ou la détruisent? Les causes de succès et d’insuccès dans la formation de l’homme par sa famille se situent toujours à la fois à l’intérieur même du milieu créateur fondamental de la culture qu’est la famille, et aussi à un niveau supérieur, celui de la compétence de l’État et de ses organes, dont elles demeurent dépendantes. Ces problèmes ne peuvent pas ne pas provoquer réflexion et sollicitude dans le forum où se rencontrent les représentants qualifiés des États.

Il n’y a pas de doute que le fait culturel premier et fondamental est l’homme spirituellement mûr, c’est-à-dire l’homme pleinement éduqué, l’homme capable de s’éduquer lui-même et d’éduquer les autres. Il n’y a pas de doute non plus que la dimension première et fondamentale de la culture est la saine moralité: la culture morale.

13. Certes, on trouve dans ce domaine de nombreuses questions particulières, mais l’expérience montre que tout se tient, et que ces questions se situent dans des systèmes évidents de dépendance réciproque. Par exemple, dans l’ensemble du processus de l’éducation, de l’éducation scolaire en particulier, un déplacement unilatéral vers l’instruction au sens étroit du mot n’est-il pas intervenu?

Si l’on considère les proportions prises par ce phénomène, ainsi que l’accroissement systématique de l’instruction qui se réfère uniquement à ce que possède l’homme, n’est-ce pas l’homme lui-même qui se trouve de plus en plus obscurci? Cela entraîne alors une véritable aliénation de l’éducation: au lieu d’œuvrer en faveur de ce que l’homme doit « être », elle travaille uniquement en faveur de ce dont l’homme peut se prévaloir dans le domaine de l’« avoir », de la « possession ».

L’étape ultérieure de cette aliénation est d’habituer l’homme, en le privant de sa propre subjectivité, à être objet de manipulations multiples: les manipulations idéologiques ou politiques qui se font à travers l’opinion publique; celles qui s’opèrent à travers le monopole ou le contrôle, par les forces économiques ou par les puissances politiques, des moyens de communication sociale; la manipulation, enfin, qui consiste à enseigner la vie en tant que manipulation spécifique de soi-même.

Les impératives apparents de notre société

Il semble que de tels dangers en matière d’éducation menacent surtout les sociétés à civilisation technique plus développée. Ces sociétés se trouvent devant la crise spécifique de l’homme qui consiste en un manque croissant de confiance à l’égard de sa propre humanité, de la signification du fait d’être homme, et de l’affirmation et de la joie qui en dérivent et qui sont source de création.

La civilisation contemporaine tente d’imposer à l’homme une série d’impératifs apparents, que ses porte-parole justifient par le recours au principe du développement et du progrès. Ainsi, par exemple, à la place du respect de la vie, « l’impératif » de se débarrasser de la vie et de la détruire; à la place de l’amour qui est communion responsable des personnes, « l’impératif » du maximum de jouissance sexuelle en dehors de tout sens de la responsabilité; à la place du primat de la vérité dans les actions, le « primat » du comportement en vogue, du subjectif, et du succès immédiat.

En tout cela s’exprime indirectement une grande renonciation systématique à la saine ambition qu’est l’ambition d’être homme. N’ayons pas d’illusions: le système formé sur la base de ces faux impératifs, de ces renoncements fondamentaux, peut déterminer l’avenir de l’homme et l’avenir de la culture.

14. Si, au nom de l’avenir de la culture, il faut proclamer que l’homme a le droit d’« être » plus, et si pour la même raison il faut exiger un sain primat de la famille dans l’ensemble de l’œuvre de l’éducation de l’homme à une véritable humanité, il faut aussi situer dans la même ligne le droit de la Nation; il faut le placer lui aussi à la base de la culture et de l’éducation.

La Nation est en effet la grande communauté des hommes qui sont unis par des liens divers, mais surtout, précisément, par la culture. La Nation existe « par » la culture et « pour » la culture, et elle est donc la grande éducatrice des hommes pour qu’ils puissent « être davantage » dans la communauté.

Elle est cette communauté qui possède une histoire dépassant l’histoire de l’individu et de la famille.

C’est aussi dans cette communauté, en fonction de laquelle toute famille éduque, que la famille commence son œuvre d’éducation par ce qui est le plus simple, la langue, permettant ainsi à l’homme qui en est à ses débuts d’apprendre à parler pour devenir membre de la communauté qu’est sa famille et sa Nation. En tout ce que je proclame maintenant et que je développerai encore davantage, mes mots traduisent une expérience particulière, un témoignage particulier en son genre.

Je suis fils d’une Nation qui a véçu les plus grandes expériences de l’histoire, que ses voisins ont condamnée à mort à plusieurs reprises, mais qui a survécu et qui est restée elle-même. Elle a conservé son identité, et elle a conservé, malgré les partitions et les occupations étrangères, sa souveraineté nationale, non en s’appuyant sur les ressources de la force physique, mais uniquement en s’appuyant sur sa culture. Cette culture s’est révélée en l’occurrence d’une puissance plus grande que toutes les autres forces.

Ce que je dis ici concernant le droit de la Nation au fondement de sa culture et de son avenir n’est donc l’écho d’aucun « nationalisme », mais il s’agit toujours d’un élément stable de l’expérience humaine et des perspectives humanistes du développement de l’homme. Il existe une souveraineté fondamentale de la société qui se manifeste dans la culture de la Nation. Il s’agit de la souveraineté par laquelle, en même temps, l’homme est suprêmement souverain. Et quand je m’exprime ainsi, je pense également, avec une émotion intérieure profonde, aux cultures de tant de peuples antiques qui n’ont pas cédé lorsqu’ils se sont trouvés confrontés aux civilisations des envahisseurs: et elles restent encore pour l’homme la source de son « être » d’homme dans la vérité intérieure de son humanité.

Je pense aussi avec admiration aux cultures des nouvelles sociétés, de celles qui s’éveillent à la vie dans la communauté de la propre Nation, ― tout comme ma Nation s’est éveillée à la vie il y a dix siècles ― et qui luttent pour maintenir leur propre identité et leurs propres valeurs contre les influences et les pressions de modèles proposés de l’extérieur.

15. En m’adressant à vous, Mesdames et Messieurs, vous qui vous réunissez en ce lieu depuis plus de trente ans maintenant au nom de la primauté des réalités culturelles de l’homme, des communautés humaines, des peuples et des Nations, je vous dis: veillez, par tous les moyens à votre disposition, sur cette souveraineté fondamentale que possède chaque Nation en vertu de sa propre culture.

Protégez-la comme la prunelle de vos yeux pour l’avenir de la grande famille humaine. Protégez-la! Ne permettez pas que cette souveraineté fondamentale devienne la proie de quelque intérêt politique ou économique. Ne permettez pas qu’elle devienne victime des totalitarismes, impérialismes ou hégémonies, pour lesquels l’homme ne compte que comme objet de domination et non comme sujet de sa propre existence humaine.

Pour ceux-là aussi, la Nation ― leur propre Nation ou les autres ― ne compte que comme objet de domination et appât d’intérêts divers, et non comme sujet: le sujet de la souveraineté provenant de la culture authentique qui lui appartient en propre. N’y a-t-il pas, sur la carte de l’Europe et du monde, des Nations qui ont une merveilleuse souveraineté historique provenant de leur culture, et qui sont pourtant en même temps privées de leur pleine souveraineté? N’est-ce pas un point important pour l’avenir de la culture humaine, important surtout à notre époque, quand il est tellement urgent d’éliminer les restes du colonialisme?

16. Cette souveraineté qui existe et qui tire son origine de la culture propre de la Nation et de la société, du primat de la famille dans l’œuvre de l’éducation, et enfin de la dignité personnelle de tout homme, doit rester le critère fondamental dans la manière de traiter ce problème important pour l’humanité d’aujourd’hui qu’est le problème de moyens de communication sociale (de l’information qui leur est liée, et aussi de ce qu’on appelle la « culture de masse »).

Vu que ces moyens sont les moyens « sociaux » de la communication, ils ne peuvent être des moyens de domination sur les autres, de la part des agents du pouvoir politique comme de celle des puissances financières qui imposent leur programme et leur modèle.

Ils doivent devenir le moyen ― et quel important moyen! ― d’expression de cette société qui se sert d’eux, et qui en assure aussi l’existence. Ils doivent tenir compte des vrais besoins de cette société. Ils doivent tenir compte de la culture de la Nation et de son histoire. Ils doivent respecter la responsabilité de la famille dans le domaine de l’éducation. Ils doivent tenir compte du bien de l’homme, de sa dignité. Ils ne peuvent pas être soumis au critère de l’intérêt, du sensationnel et du succès immédiat, mais, en tenant compte des exigences de l’éthique, ils doivent servir à la construction d’une vie « plus humaine ».

17. Genus humanum arte et ratione vivit. On affirme au fond que l’homme est lui-même par la vérité, et devient davantage lui-même par la connaissance toujours plus parfaite de la vérité. Je voudrais ici rendre hommage, Mesdames et Messieurs, à tous les mérites de votre Organisation, et en même temps à l’engagement et à tous les efforts des États et des Institutions que vous représentez, sur la voie de la popularisation de l’instruction à tous les degrés et à tous les niveaux, sur la voie de l’élimination de l’analphabétisme qui signifie le manque de toute instruction même la plus élémentaire, manque douloureux non seulement du point de vue de la culture élémentaire des individus et des milieux, mais aussi du point de vue du progrès socio-économique.

Il y a des indices inquiétants de retard en ce domaine, lié à une distribution des biens souvent radicalement inégale et injuste: pensons aux situations dans lesquelles il existe, à côté d’une oligarchie ploutocratique peu nombreuse, des multitudes de citoyens affamés vivant dans la misère. Ce retard peut être éliminé non pas par la voie de luttes sanguinaires pour le pouvoir, mais surtout par la voie de l’alphabétisation systématique à travers la diffusion et la popularisation de l’instruction. Un effort ainsi orienté est nécessaire si on désire opérer ensuite les changements qui s’imposent dans le domaine socio-économique.

L’homme, qui « est plus » grâce aussi à ce qu’il « a », et à ce qu’il « possède », doit savoir posséder, c’est-à-dire disposer et administrer les moyens qu’il possède, pour son bien propre et pour le bien commun. A cet effet, l’instruction est indispensable.

18. Le problème de l’instruction a toujours été étroitement lié à la mission de l’Église. Au cours des siècles, elle a fondé des écoles à tous les niveaux; elle a donné naissance aux Universités médiévales en Europe: à Paris comme à Sologne, à Salamanque comme à Heidelberg, à Cracovie comme à Louvain. A notre époque aussi elle offre la même contribution partout où son activité en ce domaine est demandée et respectée. Qu’il me soit permis de revendiquer en ce lieu pour les familles catholiques le droit qui appartient à toutes les familles d’éduquer leurs enfants en des écoles qui correspondent à leur propre vision du monde, et en particulier le droit strict des parents croyants à ne pas voir leurs enfants soumis, dans les écoles, à des programmes inspirés par l’athéisme. Il s’agit là en effet d’un des droits fondamentaux de l’homme et de la famille.

19. Le système de l’enseignement est lié organiquement au système des diverses orientations données à la façon de pratiquer et de populariser la science, ce à quoi servent les établissements d’enseignement de haut niveau, les universités et aussi, vu le développement actuel de la spécialisation et des méthodes scientifiques, les instituts spécialisés. Il s’agit là d’institutions dont il serait difficile de parler sans une émotion profonde. Ce sont les bancs de travail, auprès desquels la vocation de l’homme à la connaissance, ainsi que le lien constitutif de l’humanité avec la vérité comme but de la connaissance, deviennent une réalité quotidienne, deviennent, en un certain sens, le pain quotidien de tant de maîtres, coryphées vénérés de la science, et autour d’eux, des jeunes chercheurs voués à la science et à ses applications, comme aussi de la multitude des étudiants qui fréquentent ces centres de la science et de la connaissance.

Nous nous trouvons ici comme aux degrés les plus élevés de l’échelle que l’homme, depuis le début, gravit vers la connaissance de la réalité du monde qui l’entoure, et vers celle des mystères de son humanité. Ce processus historique a atteint à notre époque des possibilités inconnues autrefois; il a ouvert à l’intelligence humaine des horizons insoupçonnés jusque-là. Il serait difficile d’entrer ici dans le détail car, sur le chemin de la connaissance, les orientations de la spécialisation sont aussi nombreuses qu’est riche le développement de la science.

L’UNESCO lieu de rencontre de la culture humaine

20. Votre Organisation est un lieu de rencontre, d’une rencontre qui englobe, dans son sens le plus large, tout le domaine si essentiel de la culture humaine. Cet auditoire est donc l’endroit tout indiqué pour saluer tous les hommes de science, et rendre hommage particulièrement à ceux qui sont ici présents, et qui ont obtenu pour leurs travaux la plus haute reconnaissance et les plus éminentes distinctions mondiales. Qu’il me soit permis dès lors d’exprimer aussi certains souhaits qui, je n’en doute pas, rejoignent la pensée et le cœur des membres de cette auguste assemblée.

Autant nous édifie dans le travail scientifique ― nous édifie et aussi nous réjouit profondément ― cette marché de la connaissance désintéressée de la vérité que le savant sert avec le plus grand dévouement et parfois au risque de sa santé et même de sa vie, autant doit nous préoccuper tout ce qui est en contradiction avec les principes de désintéressement et d’objectivité, tout ce qui ferait de la science un instrument pour atteindre des buts qui n’ont rien à voir avec elle. Oui, nous devons nous préoccuper de tout ce qui propose et présuppose ces seuls buts scientifiques en exigeant des hommes de science qu’ils se mettent à leur service sans leur permettre de juger et de décider, en toute indépendance d’esprit, de l’honnêteté humaine et éthique de tels buts, ou en les menaçant d’en porter les conséquences quand ils refusent d’y contribuer.

Ces buts non scientifiques dont je parle, ce problème que je pose, ont-ils besoin de preuves ou de commentaires? Vous savez à quoi je me réfère; qu’il suffise de faire allusion au fait que parmi ceux qui furent cités devant les tribunaux internationaux, à la fin de la dernière guerre mondiale, il y avait aussi des hommes de science. Mesdames et Messieurs, je vous prie de me pardonner ces paroles, mais je ne serais pas fidèle aux devoirs de ma charge si je ne les prononçais pas, non pas pour revenir sur le passé, mais pour défendre l’avenir de la science et de la culture humaine; plus encore, pour défendre l’avenir de l’homme et du monde! Je pense que Socrate qui, dans sa rectitude peu commune, a pu soutenir que la science est en même temps vertu morale, devrait en rabattre de sa certitude s’il pouvait considérer les expériences de notre temps.

Adresser la science en défense de la vie de l'homme

21. Nous nous en rendons compte, Mesdames et Messieurs, l’avenir de l’homme et du monde est menacé, radicalement menacé, en dépit des intentions, certainement nobles, des hommes de savoir, des hommes de science. Et il est menacé parce que les merveilleux résultats de leurs recherches et de leurs découvertes, surtout dans le domaine des sciences de la nature, ont été et continuent d’être exploités ― au préjudice de l’impératif éthique ― à des fins qui n’ont rien à voir avec les exigences de la science, et jusqu’à des fins de destruction et de mort, et ceci à un degré jamais connu jusqu’ici, causant des dommages vraiment inimaginables.

Alors que la science est appelée à être au service de la vie de l’homme, on constate trop souvent qu’elle est asservie à des buts qui sont destructeurs de la vraie dignité de l’homme et de la vie humaine. C’est le cas lorsque la recherche scientifique elle-même est orientée vers ces buts ou quand ses résultats sont appliqués à des fins contraires au bien de l’humanité. Ceci se vérifie aussi bien dans le domaine des manipulations génétiques et des expérimentations biologiques que dans celui des armements chimiques, bactériologiques ou nucléaires.

Deux considérations m’amènent à soumettre particulièrement à votre réflexion la menace nucléaire que pèse sur le monde d’aujourd’hui et qui, si elle n’est pas conjurée, pourrait conduire à la destruction des fruits de la culture, des produits de la civilisation élaborée à travers des siècles par les générations successives d’hommes qui ont cru dans la primauté de l’esprit et qui n’ont ménagé ni leurs efforts ni leurs fatigues. La première considération est celle-ci. Des raisons de géopolitique, des problèmes économiques de dimension mondiale, de terribles incompréhensions, des orgueils nationaux blessés, le matérialisme de notre époque et la décadence des valeurs morales ont mené notre monde à une situation d’instabilité, à un équilibre fragile qui risque d’être détruit d’un moment à l’autre à la suite d’erreurs de jugement, d’information ou d’interprétation.

Une autre considération s’ajoute à cette inquiétante perspective. Peut-on, de nos jours, être encore sûr que la rupture de l’équilibre ne porterait pas à la guerre, et à une guerre qui n’hésiterait pas à recourir aux armes nucléaires? Jusqu’à présent on a dit que les armes nucléaires ont constitué une force de dissuasion qui a empêché l’éclatement d’une guerre majeure, et c’est probablement vrai.

Mais on peut en même temps se demander s’il en sera toujours ainsi. Les armes nucléaires, de quelque ordre de grandeur ou de quelque type qu’elles soient, se perfectionnent chaque année davantage, et elles s’ajoutent à l’arsenal d’un nombre croissant de pays. Comment pourra-t-on être sûr que l’usage d’armes nucléaires, même à des fins de défense nationale ou dans des conflits limités, n’entraînera pas une escalade inévitable, portant à une destruction que l’humanité ne pourra ni envisager, ni accepter? Mais ce n’est pas à vous, hommes de science et de culture, que je dois demander de ne pas fermer les yeux sur ce qu’une guerre nucléaire peut représenter pour l’humanité entière [cf Homélie pour la Journée mondiale de la paix, 1er janvier 1980].

22. Mesdames et Messieurs, le monde ne pourra pas poursuivre longtemps sur cette voie. A l’homme qui a pris conscience de la situation et de l’enjeu, qui s’inspire aussi du sens élémentaire des responsabilités qui incombent à chacun, une conviction s’impose, qui est en même temps un impératif moral: il faut mobiliser les consciences! Il faut augmenter les efforts des consciences humaines à la mesure de la tension entre le bien et le mal à laquelle sont soumis les hommes à la fin du vingtième siècle. Il faut se convaincre de la priorité de l’éthique sur la technique, du primat de la personne sur les choses, de la supériorité de l’esprit sur la matière [cf Redemptor Hominis, 16]. La cause de l’homme sera servie si la science s’allie à la conscience. L’homme de science aidera vraiment l’humanité s’il conserve « le sens de la transcendance de l’homme sur le monde et de Dieu sur l’homme » [Discours à l'Académie Pontificale des Sciences, 10 novembre 1979, n 4].

Ainsi, saisissant l’occasion de ma présence aujourd’hui au siège de l’UNESCO, moi, fils de l’humanité et Évêque de Rome, je m’adresse directement à vous, hommes de science, à vous qui êtes réunis ici, à vous les plus hautes autorités dans tous les domaines de la science moderne. Et je m’adresse, à travers vous, à vos collègues et amis de tous les pays et de tous les continents.

Je m’adresse à vous au nom de cette menace terrible qui pèse sur l’humanité, et, en même temps, au nom de l’avenir et du bien de cette humanité dans le monde entier. Et je vous supplie: déployons « ous nos efforts pour instaurer et respecter, dans tous les domaines de la science, le primat de l’éthique. Déployons surtout nos efforts pour préserver la famille humaine de l’horrible perspective de la guerre nucléaire!

J’ai abordé ce sujet devant l’Assemblée Générale de l’Organisation des Nations Unies, à New York, le 2 octobre de l’année dernière. Je vous en parle aujourd’hui à vous. Je m’adresse à votre intelligence et à votre cœur, par-dessus les passions, les idéologies et les frontières. Je m’adresse à tous ceux qui, par leur pouvoir politique ou économique, pourraient être et sont souvent amenés à imposer aux hommes de science les conditions de leur travail et son orientation. Je m’adresse avant tout à chaque homme de science individuellement et à toute la communauté scientifique internationale.

Tous ensemble vous êtes une puissance énorme: la puissance des intelligences et des consciences!

Montrez-vous plus puissants que les plus puissants de notre monde contemporain! Décidez-vous à faire preuve de la plus noble solidarité avec l’humanité: celle qui est fondée sur la dignité de la personne humaine. Construisez la paix en commençant par le fondement: le respect de tous les droits de l’homme, ceux qui sont liés à sa dimension matérielle et économique comme ceux qui sont liés à la dimension spirituelle et intérieure de son existence en ce monde. Puisse la sagesse vous inspirer! Puisse l’amour vous guider, cet amour qui étouffera la menace grandissante de la haine et de la destruction! Hommes de science, engagez toute votre autorité morale pour sauver l’humanité de la destruction nucléaire.

23. Il m’a été donné de réaliser aujourd’hui un des désirs les plus vifs de mon cœur. Il m’a été donné de pénétrer, ici même, à l’intérieur de l’Aréopage qui est celui du monde entier. Il m’a été donné de vous dire à tous, à vous, membres de l’Organisation des Nations Unies pour l’Éducation, la Science et la Culture, à vous qui travaillez pour le bien et pour la réconciliation des hommes et des peuples à travers tous les domaines de la culture, de l’éducation, de la science et de l’information, de vous dire et de vous crier du fond de l’âme: Oui! l’avenir de l’homme dépend de la culture! Oui! la paix du monde dépend de la primauté de l’Esprit! Oui! l’avenir pacifique de l’humanité dépend de l’amour!

Votre contribution personnelle, Mesdames et Messieurs, est importante, elle est vitale. Elle se situe dans l’approche correcte des problèmes à la solution desquels vous consacrez votre service.

Ma parole finale est celle-ci: Ne cessez pas. Continuez. Continuez toujours."

Palabras del Santo Padre Juan Pablo II
en la Capilla de la Escuela Militar antes de Dejar Paris
lunes 2 de junio de 1980 - only in Spanish

"Queridos hermanos y hermanas:
Dentro de poco debo dejar París, y antes quiero dar las gracias a las autoridades y sobre todo a las personas que me han ayudado a vivir estos tres días en París.

Pero antes de pronunciar el discurso de despedida, es mejor dar las gracias aquí, ante el Señor, en este lugar tan bien elegido por vuestro cardenal arzobispo. Porque sólo ante El puedo deciros gracias, un gracias que tiene muchos significados, un gracias que quiere decir "el Señor os recompense". Habéis trabajado muy bien para preparar esta visita; y siento de verdad haber dado todo este trabajo a tantas personas: excusadme: soy culpable..., soy culpable. Pero hay veces en que se dice "felix culpa", y sobre todo se debe decir esta frase estando ante la Eucaristía, "felix culpa".

Ahora me debo dirigir a vuestro arzobispo, no para decirle que es culpable, sino para decirle que él, de manera especial, tiene parte en esta "felix culpa"! Debo agradeceros, hermano mío querido, arzobispo de París, esta iniciativa, por haberme invitado a vuestra capital, a vuestra Iglesia. Y pienso que debemos dar gracias al Señor que nos ha ido llevando desde el principio y nos ha concedido llegar hasta este momento, un momento de "charla". Como dice el cardenal Marty, ha sido el Señor quien ha confiado a Roma la misión de estar presente en todos los sitios, de estar presente sobre todo en París por muchas razones; y me siento feliz de haber hecho realidad — gracias a la invitación de varias Organizaciones y sobre todo a la invitación fraterna del cardenal Marty— esta presencia de Roma en París. Espero que gracias a ello, París estará todavía más presente en Roma. En agradecimiento sólo tengo para ofreceros una bendición en nombre de la Santísima Trinidad, y quisiera dárosla colegialmente con vuestro arzobispo cardenal y los otros obispos presentes... Bien, recemos el Padrenuestro. Por vuestro medio agradezco a todos los parisienses esta extraordinaria acogida. Hasta otra vez; pero pienso que si Roma está ahora presente en París y París en Roma, es inútil decirse "hasta otra vez"."

Discours du Pape St Jean Paul II au Départ de Paris
lundi 2 juin 1980 - also in Italian, Portuguese & Spanish

"Mon voyage touche à sa fin, pour ce qui est de la capitale. Je suis très heureux de tous les contacts dont il m’a permis de bénéficier; je commence à avoir l’habitude de programmes chargés, mais je crois que, cette fois-ci, on ne pouvait pas faire beaucoup plus! J’ai apprécié les occasions qui m’ont été offertes d’exprimer ce que me dictent mes responsabilités. J’ai aussi “enregistré” beaucoup de témoignages; ce que j’ai vu et entendu sera pour moi matière à d’autres réflexions et surtout l’objet de prière. C’est une riche expérience!

Mais c’est à vous, journalistes, qu’il est revenu de rapporter les faits, de décrire les choses, de mettre en relief l’essentiel, disons de témoigner en toute vérité de l’événement et d’en faire saisir le véritable enjeu. J’espère que c’est ce que vous avez fait. C’est ce qui fait l’honneur de votre fonction et ses contraintes, dont j’ai souvent eu l’occasion de parler. Aujourd’hui, je voulais seulement vous remercier, et remercier avec vous tous les agents de communications sociales, de la presse, de la radio, de la télévision. En France, votre compétence et votre équipement vous permettent des réalisations techniquement très soignées. Vous avez un public exigeant! Je vous offre tous mes vœux, avec ma gratitude.

Je dois aussi dire un très grand merci à tous les membres de la police, en confiant à ceux qui la représentent ici de s’en faire l’interprète auprès de leurs collègues. Il vous revenait, non pas seulement de veiller sur moi, mais d’assurer le bon ordre des foules innombrables, surtout hier au Bourget, et je suis très conscient du surcroît de travail qui vous a été demandé à cette occasion. Je m’excuse auprès de vous et de vos familles. Ce fut votre honneur d’assurer la meilleure hospitalité au Pape et de servir en même temps le peuple français dans son désir de participer à ces rassemblements, car c’est bien le peuple français qui l’a spontanément voulu. Sans prolonger, je voudrais que vous sachiez que j’apprécie votre service public souvent trop peu reconnu. Voici quelques mois, j’ai eu l’occasion de le dire à Rome à un groupe de policiers français, pèlerins de “Police et humanisme”. Tels sont bien les sentiments que j’ai toujours envers vos personnes et envers votre fonction.

Mais beaucoup d’autres personnes ont dû travailler intensément depuis plusieurs semaines pour ce voyage, pour prévoir les détails avec la précision française. Outre celles de la Nonciature que j’ai déjà remerciées, je pense à celles du Secrétariat de l’épiscopat et de tous les services qui ont collaboré avec ce Secrétariat pour coordonner l’ensemble. Je ne voudrais oublier aucun de ceux qui se sont dévoués discrètement, au-delà du travail ordinaire, pour faire face à l’événement. Je prie le Seigneur de récompenser tout ce que vous avez fait pour son Serviteur et pour vos frères, et de tout cœur je bénis vos familles et ceux qui vous sont chers."

Homélie de St Jean-Paul II à la Sante Messe à Lisieux
lundi 2 juin 1980 - also in Italian, Portuguese & Spanish

Antes de comenzar la ceremonia, el obispo de la diócesis presentó al Papa la bienvenida de la gente de provincias, en especial de Bretaña, y recordó la visita a este lugar del joven sacerdote Wojtyla recién acabada la segunda guerra mundial. Juan Pablo II respondió improvisando estas palabras:

"Al terminar mi viaje con esta peregrinación a Lisieux, doy gracias a Dios por haber concedido a la Iglesia a la joven carmelita que llegó a ser patrona de las misiones y de los misioneros, Teresa del Niño Jesús, que vino a ayudarnos a encender de nuevo el fervor misionero por la oración y la acción. Tenemos necesidad todos, quienquiera que seamos, de encontrar nuestro puesto en la Iglesia. Es lo que quería Teresa: que pudiéramos exclamar como ella: Si, he encontrado mi puesto en la Iglesia, y este puesto me lo habéis dado Vos, Dios mío; yo seré el amor. Si Teresa realizó su vocación con fidelidad constante a pesar de sus debilidades, es porque tuvo confianza en la misericordia incansable de Dios. Creemos como ella que el perdón de Dios es más potente que nuestro pecado. Por ello, preparémonos con confianza a celebrar esta Eucaristía reconociéndonos pecadores. "

* * *

"1. Je suis très heureux qu'il me soit donné de venir à Lisieux à l’occasion de ma visite dans la capitale de la France. Je suis ici en pèlerinage avec vous tous, chers Frères et Sœurs, qui êtes venus vous aussi de bien des régions de France, auprès de celle que nous aimons tant, la "petite Thérèse", dont la voie vers la sainteté est étroitement liée au Carmel de Lisieux. Si les personnes versées dans l’ascèse et la mystique, et ceux qui aiment les saints, ont pris l’habitude d’appeler cette voie de Sœur Thérèse de l’Enfant-Jésus "la petite voie", il est tout à fait hors de doute que l’Esprit de Dieu, qui l’a guidée sur cette voie, la fait avec la même générosité que celle par laquelle il a guidé autrefois sa Patronne la "grande Thérèse" d’Avila, et par laquelle il a guidé ― et continue de guider ― tant d’autres saints dans son Eglise. Gloire Lui soit donc rendue éternellement!

L’Eglise se réjouit de cette merveilleuse richesse des dons spirituels, si splendides et si variés, comme le sont toutes les œuvres de Dieu dans l’univers visible et invisible. Chacun d’eux reflète à la fois le mystère intérieur de l’homme, et il correspond aux besoins des temps dans l’histoire de l’Eglise et de l’humanité. Il faut le dire de sainte Thérèse de Lisieux qui, jusqu’à une époque récente, fut en effet notre sainte "contemporaine". C’est ainsi que je la vois personnellement, dans le cadre de ma vie. Mais est-elle toujours la sainte "contemporaine"? N’a-t-elle pas cessé de l’être pour la génération qui arrive actuellement à maturité dans l’Eglise? Il faudrait le demander aux hommes de cette génération. Qu’il me soit toutefois permis de noter que les saints ne vieillissent pratiquement jamais, qu’ils ne tombent jamais dans la "prescription". Ils restent continuellement les témoins de la jeunesse de l’Eglise. Ils ne deviennent jamais des personnages du passé, des hommes et des femmes d’"hier". Au contraire: ils sont toujours les hommes et les femmes du "lendemain", les hommes de l’avenir évangélique de l’homme et de l’Eglise, les témoins "du monde futur".

2. "En effet, tous ceux qu’anime l’Esprit de Dieu sont fils de Dieu. Aussi bien n’avez-vous pas reçu un esprit d’esclaves pour retomber dans la crainte; vous avez reçu un esprit de fils adoptifs qui nous fait nous écrier: Abba! Père!" [Rom 8, 14-15].

Il serait peut-être difficile de trouver paroles plus synthétiques, et en même temps plus saisissantes, pour caractériser le charisme particulier de Thérèse Martin, c’est-à-dire ce qui constitue le don tout à fait spécial de son cœur, et qui est devenu, par son cœur, un don particulier pour l’Eglise. Le don merveilleux dans sa simplicité, universel et en même temps unique. De Thérèse de Lisieux, on peut dire avec conviction que l’Esprit de Dieu a permis à son cœur de révéler directement, aux hommes de notre temps, le mystère fondamental, la réalité de l’Evangile: le fait d’avoir reçu réellement "un esprit de fils adoptifs qui nous fait nous écrier: Abba! Père!" La "petite voie" est la voie de la "sainte enfance". Dans cette voie, il y a quelque chose d’unique, un génie de sainte Thérèse de Lisieux. Il y a en même temps la confirmation et le renouvellement de la vérité la plus fondamentale et la plus universelle. Quelle vérité du message évangélique est en effet plus fondamentale et plus universelle que celle-ci: Dieu est notre Père et nous sommes ses enfants?

Cette vérité la plus universelle qui soit, cette réalité, a été également "relue" de nouveau avec la foi, l’espérance et l’amour de Thérèse de Lisieux. Elle a été en certain sens redécouverte avec l’expérience intérieure de son cœur et la forme prise par toute sa vie, seulement 24 années de sa vie. Lorsqu’elle mourut ici, au Carmel, victime de la tuberculose dont elle portait depuis longtemps les bacilles, c’était presque un enfant. Elle a laissé le souvenir de l’enfant: de la sainte enfance. Et toute sa spiritualité a confirmé encore une fois la vérité de ces paroles de l’Apôtre: "Aussi bien n’avez-vous pas reçu un esprit d’esclaves pour retomber dans la crainte; vous avez reçu un esprit de fils adoptifs... " Oui. Thérèse fut l’enfant. Elle fut l’enfant "confiant" jusqu’à l’héroïsme, et par conséquent "libre" jusqu’à l’héroïsme. Mais c’est justement parce que ce fut jusqu’à l’héroïsme, qu’elle seule connut la saveur intérieure et aussi le prix intérieur de cette confiance qui empêche de "retomber dans la crainte"; de cette confiance qui, jusque dans les obscurités et les souffrances les plus profondes de l’âme, permet de s’écrier: "Abba! Père!"

Oui, elle a connu cette saveur et ce prix. Pour qui lit attentivement son Histoire d’une âme, il est évident que cette saveur de la confiance filiale provient, comme le parfum des roses, de la tige qui porte aussi des épines. Si en effet "nous sommes enfants, nous sommes donc héritiers; héritiers de Dieu et cohéritiers du Christ, puisque nous souffrons avec Lui pour être aussi glorifiés avec Lui" [Rom 8, 17]. C’est pour cela, précisément, que la confiance filiale de la petite Thérèse, sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus mais aussi "de la Sainte-Face", est si "héroïque", parce qu'elle provient de la fervente communion aux souffrances du Christ.

Et quand je vois devant moi tous ces malades et infirmes, je pense qu’ils sont associés eux aussi, comme Thérèse de Lisieux, à la passion du Christ, et que, grâce à leur foi en l’amour de Dieu, grâce a leur propre amour, leur offrande spirituelle obtient mystérieusement pour l’Eglise, pour tous les autres membres du Corps mystique du Christ, un surcroît de vigueur. Qu’ils n’oublient jamais cette belle phrase de sainte Thérèse: "Dans le cœur de l’Eglise ma Mère je serai l’amour". Je prie Dieu de donner à chacun de ces amis souffrants, que j’aime avec une affection toute spéciale, le réconfort et l’espérance.

3. Avoir confiance en Dieu comme Thérèse de Lisieux veut dire suivre la "petite voie" où nous guide l’Esprit de Dieu: il guide toujours vers la grandeur à laquelle participent les fils et les filles de l’adoption divine. Déjà comme enfant, comme enfant de douze ans, le Fils de Dieu a déclaré que sa vocation était de s’occuper des choses de son Père [cf Lc 2, 49]. Etre enfant, devenir comme un enfant, veut dire entrer au centre même de la plus grande mission à laquelle l’homme ait été appelé par le Christ, une mission qui traverse le cœur même de l'homme. Elle le savait parfaitement, Thérèse.

Cette mission tire son origine de l’amour éternel du Père. Le Fils de Dieu comme homme, d’une manière visible et "historique", et l’Esprit Saint, de façon invisible et "charismatique", l’accomplissent dans l’histoire de l’humanité.

Lorsque, au moment de quitter le monde, le Christ dit aux Apôtres: "Allez dans le monde entier, et enseignez l’Evangile à toute créature" [Mc 16, 15], il les insère, par la force de son mystère pascal, dans le grand courant de la Mission éternelle. A partir du moment où il les a laissés pour aller vers le Père, il commence en même temps à venir "de nouveau dans la puissance de l’Esprit Saint" que le Père envoie en son nom. Plus profondément que toutes les vérités sur l’Eglise, cette vérité a été mise en relief dans la conscience de notre génération par le Concile Vatican II. Grâce à cela, nous avons tous beaucoup mieux compris que l’Eglise est constamment "en état de mission", ce que veut dire le fait que toute l’Eglise est missionnaire. Et nous avons également mieux compris ce mystère particulier du cœur de la petite Thérèse de Lisieux, laquelle, à travers sa "petite voie", a été appelée à participer aussi pleinement et aussi fructueusement à la mission la plus élevée. C’est justement cette "petitesse" qu’elle aimait tant, la petitesse de l’enfant, qui lui a ouvert largement toute la grandeur de la Mission divine du salut, qui est la mission incessante de l’Eglise.

Ici, dans son Carmel, dans la clôture du couvent de Lisieux, Thérèse s’est sentie spécialement unie à toutes le missions et aux missionnaires de l’Eglise dans le monde entier. Elle s’est sentie elle-même "missionnaire", présente par la force et la grâce particulières de l’Esprit d’amour à tous le postes missionnaires, proche de tous les missionnaires, hommes et femmes, dans le monde. Elle a été proclamée par l’Eglise la patronne des missions, comme saint François Xavier, qui voyagea inlassablement en Extrême-Orient: oui, elle, la petite Thérèse de Lisieux, enfermée dans la clôture carmélitaine, apparemment détachée du monde.

Je suis heureux de pouvoir venir ici peu de temps après ma visite dans le continent africain, et, face à cette admirable "missionnaire", de rendre au Père de la vérité et de l’amour éternels tout ce qui, dans la puissance du Fils et de l’Esprit Saint, est déjà le fruit du travail missionnaire de l’Eglise parmi les hommes et les peuples du continent noir. Je voudrais en même temps, si je puis m’exprimer ainsi, me faire prêter par Thérèse de Lisieux, le regard perspicace de sa foi, sa simplicité et sa confiance, en un mot la "petitesse" juvénile de son cœur, pour proclamer devant toute l’Eglise combien la moisson est abondante, et pour demander comme elle, pour demander au Maître de la moisson d’envoyer, avec une générosité plus grande encore, des ouvriers dans sa moisson [cf Mt 9, 37-38]. Qu’Il les envoie malgré tous les obstacles et toutes le difficultés qu’Il rencontre dans le cœur de l’homme, dans l’histoire de l’homme.

En Afrique, j’ai bien souvent pensé: quelle foi, quelle énergie spirituelle avaient donc ces missionnaires du siècle dernier ou de la première moitié de ce siècle, et tous ces Instituts missionnaires qui se sont fondés, pour partir sans hésiter dans ces pays alors inconnus, dans le seul but de faire connaître l’Evangile, de faire naître l’Eglise! Ils y voyaient avec raison une œuvre indispensable au salut. Sans leur audace, sans leur sainteté, les Eglises locales dont nous venons de célébrer le centenaire, et qui sont désormais guidées surtout par des évêques africains, n'auraient jamais existé. Chers Frères et Sœurs, ne perdons pas cet élan!

En fait, je sais que vous ne voulez pas vous y résoudre. Je salue parmi vous les anciens évêques missionnaires, témoins du zèle dont je parlais. La France a encore beaucoup de missionnaires de par le monde, prêtres, religieux, religieuses et laïcs, et certains Instituts se sont ouverts à la mission.

Je vois ici les membres du chapitre des Missions Etrangères de Paris, et j’évoque le bienheureux Théophane Vénard dont le martyre en Extrême-Orient fut une lumière et un appel pour Thérèse. Je pense aussi à tous les prêtres français qui consacrent au moins quelques années au service des jeunes Eglises, dans le cadre de Fidei donum. Aujourd’hui, on comprend d’ailleurs mieux la nécessité d’un échange fraternel entre les jeunes et les vieilles Eglises, au bénéfice des deux. Je sais par exemple que les Œuvres pontificales missionnaires, en liaison avec la Commission épiscopale des Missions à l’extérieur, ne visent pas seulement à susciter l’entraide matérielle, mais à former l’esprit missionnaire des chrétiens de France, et je m’en réjouis. Cet élan missionnaire ne peut surgir et porter des fruits qu’à partir d’une plus grande vitalité spirituelle, du rayonnement de la sainteté.

4. "Le beau existe afin qu’il nous enchante pour le travail", a écrit Cyprian Norwid, l’un des plus grands poètes et penseurs qu'ait donné la terre polonaise, et qu’a reçu ― et conservé au cimetière de Montmorency ― la terre française...

Rendons grâces au Père, au Fils et au Saint-Esprit pour les saints. Rendons grâces pour sainte Thérèse de Lisieux. Rendons grâces pour la beauté profonde, simple et pure, qui s’est manifestée en elle à l’Eglise et au monde. Cette beauté enchante. Et Thérèse de Lisieux a un don particulier pour enchanter par la beauté de son âme. Même si nous savons tous que cette beauté fut difficile et qu’elle a grandi dans la souffrance, elle ne cesse de réjouir de son charme particulier les yeux de nos âmes.

Elle enchante, donc, cette beauté, cette fleur de la sainteté qui a grandi sur ce sol; et son charme ne cesse de stimuler nos cœurs à travailler: "Le beau existe afin qu’il nous enchante pour le travail". Pour le travail le plus important, dans lequel l’homme apprend à fond le mystère de son humanité. Il découvre en lui-même ce que signifie avoir reçu "un esprit de fils adopti", radicalement différent d’ " un esprit d’esclave", et il commence à s’écrier de tout son être: "Abba! Père!" [Rom 8, 15].

Par les fruits de ce magnifique travail intérieur se construit l’Eglise, le Règne de Dieu sur la terre, dans sa substance la plus profonde et la plus fondamentale. Et le cri "Abba! Père!", qui résonne largement dans tous les continents de notre planète, revient aussi par son écho dans la clôture carmélitaine silencieuse, à Lisieux, vivifiant toujours de nouveau le souvenir de la petite Thérèse, laquelle, par sa vie brève et cachée mais si riche, a prononcé avec une force particulière: "Abba! Père!" Grâce à elle, l’Eglise entière a retrouvé toute la simplicité et toute la fraîcheur de ce cri, qui a son origine et sa source dans le cœur du Christ lui-même."

Discours de JPII aux Sœurs Contemplatives du Carmel de Lisieux
lundi 2 juin 1980 - also in Italian, Portuguese & Spanish

"Mes chères Sœurs,
1. Paix et joie dans le Christ Jésus! A vous qui entourez: l’humble successeur de l’Apôtre Pierre!

Et, à travers vous, à toutes les moniales qui vivent sur la terre de France!

Je dois dire d’abord ma profonde émotion de pouvoir prier près de la châsse qui contient les restes de sainte Thérèse. J’ai déjà exprimé longuement mon action de grâce et mon attachement pour la “voie spirituelle” qu’elle a adoptée et offerte à toute l’Église. J’éprouve maintenant une grande joie à visiter ce Carmel qui a été le cadre de sa vie et de sa mort, de sa sanctification, au milieu de ses Sœurs, et qui doit demeurer un haut lieu de prière et de sanctification pour les carmélites et pour tous les pèlerins. C’est de là que je voudrais vous affermir toutes, quelle que soit votre famille spirituelle, dans votre vie contemplative, absolument vitale pour l’Église et pour l’humanité.

2. Tout en aimant profondément notre époque, il faut bien reconnaître que la pensée moderne enferme facilement dans le subjectivisme tout ce qui concerne les religions, la foi des croyants, les sentiments religieux. Et cette vision n’épargne pas la vie monastique. A tel point que l’opinion publique, et hélas! parfois quelques chrétiens plus sensibles au seul engagement concret, sont tentés de considérer votre vie contemplative comme une évasion du réel, une activité anachronique et même inutile. Cette incompréhension peut vous faire souffrir, vous humilier même. Je vous dirai comme le Christ: “Ne craignez pas, petit troupeau” [cf Lc 12, 22]. D’ailleurs un certain renouveau monastique, qui se manifeste à travers votre pays, doit vous maintenir dans l’espérance.

Mais j’ajoute également: relevez le défi du monde contemporain et du monde de toujours, en vivant plus radicalement que jamais le mystère même de votre condition tout à fait originale, qui est folie aux yeux du monde et sagesse dans l’Esprit Saint: l’amour exclusif du Seigneur et de tous vos frères humains en Lui. Ne cherchez même pas à vous justifier! Tout amour, dès lors qu’il est authentique, pur et désintéressé, porte en lui-même sa justification.

Aimer de façon gratuite est un droit inaliénable de la personne, même - et il faudrait dire surtout - lorsque l’Aimé est Dieu lui-même. A la suite des contemplatifs et des mystiques de tous les temps, continuez d’attester avec force et humilité la dimension transcendante de le personne humaine, créée à la ressemblance de Dieu et appelée à une vie d’intimité avec Lui.

Saint Augustin, au terme de méditations faites autant avec son cœur qu’avec son intelligence pénétrante, nous assure que la béatitude de l’homme est là: dans la contemplation amoureuse de Dieu! C’est pourquoi la qualité de votre appartenance d’amour au Seigneur, aussi bien au plan personnel qu’au plan communautaire, est d’une extrême importance. La densité et le rayonnement de votre vie “cachéé en Dieu” doivent poser question aux hommes et aux femmes d’aujourd’hui, doivent poser question aux jeunes qui cherchent si souvent le sens de la vie.

En vous rencontrant ou en vous voyant, il faudrait que tout visiteur, hôte ou retraitant de vos monastères puisse dire ou du moins sentir qu’il a rencontré Dieu, qu’il a connu une épiphanie du Mystère de Dieu qui est Lumière et Amour! Les temps que nous vivons ont besoin de témoins autant que d’apologistes! Soyez, pour votre part, ces témoins très humbles et toujours transparents!

3. Laissez-moi encore vous assurer - au nom de la tradition constante de l’Église - que non seulement votre vie peut annoncer l’Absolu de Dieu, mais qu’elle possède un merveilleux et mystérieux pouvoir de fécondité spirituelle [cf Perfectae Caritatis, 7]. Pourquoi? Parce que votre oblation d’amour est intégrée par le Christ lui-même à son œuvre de Rédemption universelle, un peu comme les vagues se fondent dans les profondeurs de l’océan. En vous voyant, je pense à la Mère du Christ, je pense aux saintes femmes de l’Évangile, debout au pied de la croix du Seigneur et communiant à sa mort salvatrice, mais également messagères de sa résurrection. Vous avez choisi de vivre, ou plutôt le Christ vous a choisies pour vivre avec lui son Mystère pascal à travers le temps et l’espace. Tout ce que vous êtes, tout ce que vous faites chaque jour, qu’il s’agisse de l’office psalmodié ou chanté, de la célébration de l’Eucharistie, des travaux en cellule ou en équipes fraternelles, du respect de la clôture et du silence, des mortifications choisies ou imposées par la règle, tout est assumé, sanctifié, utilisé par le Christ pour la Rédemption du monde. Pour que vous n’ayez aucun doute à ce sujet, l’Église - au nom même du Christ - a pris un jour possession de toutes vos puissances de vivre et d’aimer. C’était votre profession monastique. Renouvelez-la souvent! Et, à l’exemple des saints, consacrez-vous, immolez-vous toujours davantage, sans même chercher à savoir comment Dieu utilise votre collaboration. Alors qu’à la base de toute action, il y a un but et donc une limitation, une finitude, la gratuité de votre amour est à l’origine de la fécondité contemplative. Une comparaison très moderne me vient à l’esprit: vous embrasez le monde du feu de la vérité et de l’amour révélés, un peu comme les maîtres de l’atome allument les fusées spatiales: à distance.

4. Je voudrais enfin ajouter deux encouragements qui me semblent opportuns. Le premier concerne la fidélité au charisme de vos fondatrices ou fondateurs. La bonne fraternité et la coopération qui existent davantage qu’autrefois entre les monastères ne doivent pas conduire à un certain nivellement des instituts contemplatifs. Que chaque famille spirituelle veille bien à son identité particulière en vue du bien de l’Église entière. Ce qui se fait dans un endroit n’est pas nécessairement à imiter ailleurs.

Mon second encouragement est le suivant. Dans une civilisation de plus en plus mobile, sonore et parlante, les zones de silence et de repos deviennent une nécessité vitale. Les monastères - dans leur style original - ont donc plus que jamais la vocation de demeurer des lieux de paix et d’intériorité. Ne laissez pas les pressions internes ou externes porter atteinte à vos traditions et à vos moyens de recueillement. Efforcez-vous plutôt d’éduquer vos hôtes et vos retraitants à la vertu du silence. Vous savez certainement que j’ai eu l’occasion de rappeler aux participants à la session plénière de la Congrégation pour les Religieux, le 7 mars dernier, l’observance rigoureuse de la clôture monastique. Je faisais mémoire à ce sujet des paroles très fortes de mon prédécesseur Paul VI: “La clôture n’isole pas les âmes contemplatives de la communion du Corps mystique. Bien plus, elle les met au cœur de l’Église”. Aimez votre séparation du monde, tout à fait comparable au désert biblique. Paradoxalement, ce désert n’est pas le vide. C’est là que le Seigneur parle à votre cœur et vous associe étroitement à son œuvre de salut.

Telles sont les convictions que je tenais à vous confier très simplement, mes chères Sœurs. Vous en ferez le meilleur usage, j’en suis persuadé. Vous priez beaucoup pour la fécondité de mon ministère. Soyez très vivement remerciées! Sachez bien que le Pape rejoint aussi et très souvent, par le cœur et la prière, les monastères de France et du monde entier. Je souhaite et je demande au Seigneur, par l’intercession de la sainte Carmélite de Lisieux, que des vocations solides et nombreuses viennent augmenter et renouveler vos diverses communautés contemplatives. Je vous bénis de tout cœur, au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit."

Discours du Pape Saint Jean-Paul II à la Présidence des Supérieures Majeures et au Comité Permanente des Religieux du Carmel de Lisieux
Lisieux, lundi 2 juin 1980 - also in Italian, Portuguese & Spanish

"Les entretiens qu’il m’a été donné d’avoir, samedi à Paris, avec les religieuses engagées dans les tâches d’évangélisation, et tout à l’heure en ce Carmel, avec un groupe important de contemplatives, étaient dans ma pensée destinés à tous les moines et toutes les moniales, à tous les religieux et à toutes les religieuses de France, qui consument leur vie consacrée au Christ, dans le service ecclésial de la prière ou de l’apostolat.

A vous, chers Frères et Sœurs, qui avez été choisis pour porter la responsabilité de vos Instituts, je veux adresser un encouragement spécial et important.

Le Concile a très heureusement rappelé que toute autorité dans l’Église était un service et devait être vécue dans l’esprit même du Seigneur Jésus [cf Lc 22, 27]. Cette norme évangélique et impérative ne saurait vous faire abdiquer vos responsabilités propres. La formule “tous responsables”, qui a connu un grand succès depuis une bonne décennie, est valable en un certain sens seulement. Vous êtes gravement responsables en dernier lieu de l’esprit religieux de vos sujets, de leur rendement apostolique, de la fidélité de vos Instituts à leur idéal spécifique et de la qualité de leur témoignage dans l’Église et le monde d’aujourd’hui.

Je sais d’autre part tout le travail de recherches et d’expériences que vos Congrégations ont accompli depuis le Concile. Le bilan comporte d’heureuses orientations. Veillez bien à ce que la vie religieuse soit une “éphiphanie” du Christ. Le monde moderne a besoin de signes. La nuit privée d’étoiles est source d’angoisse. En un mot, accréditez partout dans vos familles religieuses que le temps de la mise en œuvre, calme et persévérante, des constitutions révisées et approuvées, est arrivé. Chers Frères et Sœurs, je fais confiance à votre sagesse et à votre courage. J’invoque sur vous-mêmes et sur vos Instituts, les plus abondantes Bénédictions du Seigneur."

Discours du Pape Saint Jean-Paul II au Départ de la France
Deauville, lundi 2 juin 1980 - also in Italian, Portuguese & Spanish

"Monsieur le Premier Ministre,
Le moment est venu, déjà, de quitter la France, au terme d’une visite qui restera pour moi inoubliable, à tout point de vue. Je ne sais quel souvenir sera le plus marquant. Chaque cérémonie, chaque rencontre portait son caractère propre et fut chargée d’intensité, dans les cercles les plus restreints comme dans la chaleur des foules. Peut-être est-ce finalement le sentiment d’avoir pu rejoindre l’âme de la France et du Peuple français, que j’emporterai avec moi tel un bien particulièrement précieux.

Ce fut un accueil tout à fait exceptionnel, digne de l’hospitalité de la France. Je veux ici, une dernière fois, exprimer ma gratitude aux hommes et aux femmes de ce pays, aux familles, aux travailleurs, aux jeunes, à tous sans aucune exception, et je le fais du fond du cœur. Je remercie à un titre spécial les Autorités civiles qui ont collaboré avec tant de bienveillance à la réalisation du programme, et d’abord Son Excellence Monsieur le Président de la République et l’ensemble du Gouvernement.

A mes Frères et Fils de l’Église catholique, évêques, prêtres, religieux, religieuses, laïcs, je laisse en les quittant le don qui nous a été fait d’une communion plus forte, au service de notre mission d’annoncer l’Évangile. Cette mission, nous allons la reprendre avec une énergie nouvelle, à la mesure de ta tâche. Dieu soit loué de nous permettre de lui rendre ainsi témoignage!

Adieu, cher Peuple de France, ou plutôt au revoir. Je t’offre mes souhaits les plus fervents et je te bénis au nom du Seigneur."